Chapitre 4

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J'observe discrètement Alfred. Cela fait un mois que nous sommes allés en famille au théâtre et que j'ai eu ma première « crise ». Mais ce n'était que le début... J'ai dû rester alitée quasiment une semaine après l'épisode de la bataille de mousse au chocolat pour maux de crâne persistants. Et je ne parle pas là de petits maux de crâne, de ceux que l'on s'invente pour échapper à une journée de cours - que j'évite, soit dit en passant, de louper au maximum - mais bien d'une sacrée douleur à l'intérieur de ma fichue boîte crânienne.

Alfred se tourne vers moi, voit que je l'observe et me sourit. Je n'ai aucune idée de l'origine de ces maux de crâne horribles mais je suis sûre d'une chose ; ils sont liés à l'étrange vision que j'ai eue le jour de la représentation théâtrale. Enfin une affaire intéressante qui amène un peu de piquant dans mon existence, certes peu banale, mais trop routinière à mon goût.

Déterminée, je me rapproche du gentil et érudit brun qui me sert de petit copain et enfouis mon visage dans le creux formé par son épaule et son cou. Il me prend délicatement la main et y trace des formes circulaires à l'aide de son index. Son petit massage est très agréable. Je souffle énergiquement dans son cou pour lui communiquer mon bien-être.

Je connais Alfred depuis mes plus jeunes années. Nous étions dans la même classe au niveau qui correspond au primaire et nous avons peu à peu sympathisé à fil des ans. Il a toujours été très doux et prévenant avec tout le monde, à la manière de Jehan, c'est sans doute pour ça que j'ai voulu me rapprocher de lui. Sans nous côtoyer vraiment, nous savions l'un l'autre que chacun était intelligent et perspicace, nous connaissions notre valeur. Nous sortons maintenant ensemble depuis quelques mois, je ne sais dire combien exactement, je ne vois pas d'intérêt à savoir la date exacte. Tant que nous sommes bien à deux, le reste n'a pas d'importance.

Nous nous levons du banc sur lequel nous étions assis pour nous diriger vers le gymnase du lycée. La pause de l'après-midi est finie et c'est l'heure du cours de sport.

***

« Tu es fait comme un rat ! » je lance à Eduard, le grand type rigolo de la classe. Il ne bronche pas car il sait que j'aurai le dessus sur lui quoiqu'il arrive. En lutte, je ne me laisse pas faire, et sûrement pas par de grands et musclés garçons de son calibre, même si je sais qu'Eduard n'est pas spécialement violent.

« Félicitations encore une fois, Afynn. Ta force brute m'étonnera toujours. Tu as beau être svelte et musclée, si je devais faire une comparaison, je dirais que tu tiens plus du cheval que du taureau... » remarque Mme Hardwest, celle que je qualifierais comme le meilleur professeur de sport que j'ai connu. Ses impressions sont souvent justifiées et ses remarques, pertinentes. Elle est toujours impressionnée par mes résultats sportifs et ça crève les yeux qu'elle m'apprécie et m'admire énormément pour ça. Mais bon, je suis une Winslo, fidèle à moi-même et à mon sang, je me dois de représenter une certaine... perfection ! Ce qui ne me rend pas pour autant vaniteuse ou hautaine, bien au contraire, j'essaye de rester humble et digne.

***

Je reconduis Alfred chez lui, trop fière de lui montrer mes nouveaux talents de conductrice chevronnée. La circulation est assez fluide et le temps est sec et dégagé. Ma tête commence à me faire mal et je pile soudainement. Alfred lâche un juron et me houspille. Ma vue est complètement altérée : encore une fois, tout est quasiment noir autour de moi, cependant, je distingue le squelette de mon petit copain et plein d'autres détails imperceptibles directement à l'œil nu. Je pense tout de suite : « Rayons X ! ». Oui, la perception que j'ai de ce qui m'entoure me fait irrémédiablement penser à des images de radiographie, en rayons X. Et c'est absolument horrible. Sauf que j'ai beau cligner des yeux, inspirer-expirer calmement et sortir de la voiture pour respirer plus tranquillement, je finis par me taper la tête avec la paume de ma main, désorientée. Le spectacle que j'offre aux badauds dans la rue doit être à la fois hilarant et effrayant. Les conducteurs qui ont été obligés d'arrêter leur véhicule derrière le mien sortent pour s'enquérir de mon état.

Aussi soudainement qu'elle est apparue, cette vision X se dissipe et je retrouve mes esprits. Je remercie les conducteurs pour leur gentillesse et leur patience, m'excuse platement de leur avoir fait perdre du temps et remonte dans mon véhicule, du côté passager cette fois. Je sens qu'Alfred est terriblement gêné et honteux. Je tourne ma tête vers lui et ouvre la bouche mais il prend les devants et s'excuse d'abord de m'avoir grondée, assurant qu'il a cru à une mauvaise blague de ma part, avant de demander la raison de cette crise de « folie ». Je pose ma main sur sa nuque et entame un massage apaisant, tout en lui expliquant que c'était juste un gros, gros mal de crâne et qu'il n'avait pas à s'en faire. Il s'en veut beaucoup de m'avoir crié dessus et de m'avoir vue aussi désemparée et impuissante, je le sais. Je lui intime néanmoins de ne pas en toucher mot à mes parents et lui propose de lui prêter la voiture, histoire qu'il puisse rentrer chez lui sans prendre deux jours de marche.

Arrivés devant l'imposant portail du domaine, Alfred m'ouvre lui-même la portière, me fait descendre en me tendant la main et me prend dans ses bras. Sa chaleur corporelle me fait du bien ; je tremble de froid. J'ai eu très peur, et par-dessus tout, j'ai perdu mon calme et ma maîtrise de soi pendant cette crise, devant plusieurs personnes de surcroît ! C'est un phénomène très rare, surtout pour une Winslo.

Alfred me serre très fort tout en frictionnant énergiquement mon dos. Je me réchauffe progressivement. Il me laisse devant les grilles en me recommandant d'être vigilante à l'évolution de ma santé. Il ne m'a pas embrassée : il est très inquiet.

Je franchis le portail, longe l'allée, mélange de sable, poussière et gravillons, et pénètre dans l'enceinte du manoir familial, avant de filer dans le salon des jumeaux, me jetant dans leurs bras. Ils partent demain, pour ma plus grande peine.

Afynn Winslo - Chroniques d'une OutlanderOù les histoires vivent. Découvrez maintenant