Chapitre 5

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Je me concentre.
Le cheval me fixe, les oreilles baissées, se demandant sans doute ce que fiche sa cavalière à deux mètres de lui, immobile.
Je continue à me concentrer. Je ferme les yeux et les rouvre. J'ai un peu mal au crâne mais la douleur n'a rien à voir avec ce que je pouvais ressentir lors des premières crises. En relevant les paupières, je peux voir le squelette de ma monture et je distingue vaguement ses organes internes. Le tout à la manière d'une image de radiographie comme on en reçoit après un passage en salle de rayons X.

Ça fait pratiquement un mois que je m'entraîne. Je commence à maîtriser cette « capacité » mais ne lui trouve pas grand intérêt, à part celui de pouvoir voir à travers les corps. Bon, je peux désormais faire des schémas des structures internes de chaque être vivant plus précis et surtout plus justes, mais à part ça...

Goujat du Pré Vert, mon étalon selle français, fait doucement frémir ses naseaux, ce qui a pour effet de me sortir de ma torpeur et de me faire retrouver une vue normale.

Il est beau ce cheval quand j'y pense. Je l'ai eu il y a quatre ans, lui en a sept, à l'occasion de mon anniversaire, celui de mes douze ans. Alva m'avait emmenée au ranch du coin en disant vouloir me montrer un adorable poulain qu'elle aurait aimé avoir en remplacement de son vieux Jelly John, trop âgé pour le saut d'obstacle. J'avais inspecté chaque box, à la recherche d'une pépite pour ma sœur. Il s'agissait de chevaux descendant surtout de races européennes. Alva m'avait appelée depuis l'extérieur, disant être tombée sur un joli petit gars. Je m'étais approchée du paddock, à la barrière duquel ma sœur était accoudée. Effectivement, le « petit gars » dont elle me vantait les mérites se pavanait en faisant le tour de la piste. Tout jeune et déjà fringant ! Bien sûr, j'avais été immédiatement conquise par cette bête pleine de grâce et de puissance. Une robe alezane aux reflets cuivrés, des oreilles droites et alertes, une tête bien dessinée, un pas allant et léger, une queue en panache. Nous étions entrées dans le paddock, avec l'accord du propriétaire, et nous nous étions avancées vers le jeune étalon. Il s'était arrêté et nous avait observées de loin. Alva m'avait sorti :

« Ça fait neuf mois que je saoule Maman pour t'acheter un cheval, j'en ai assez de devoir t'attendre quand tu m'accompagnes en vélo durant nos ballades. Il y a sept mois, nous avons trouvé ce poulain et depuis, le propriétaire travaille son débourrage avec des tissus imprégnés de ton odeur. ».

Effectivement, j'avais remarqué que certaines vestes polaires et certains pulls manquaient dans mon dressing, mais jamais je ne me serais doutée qu'ils puissent avoir cet usage.
Le jeune étalon s'était approché de nous et avait tendu sa tête vers mon visage, voulant peut-être imprimer l'image de celle dont l'odeur parfumait son quotidien, sans ne jamais la voir. Je lui avais soufflé délicatement dans les naseaux et il avait brusquement relevé la tête, avant de faire un pas de côté et de partir dans un galop ponctué de bonds et ruades.
On avait bien rit avec Alva, de ce drôle de spectacle. Goujat était revenu vers nous en s'ébrouant, et je lui avais fait un petit bisou sur la peau, plus fine et sensible, entre les naseaux.Alva m'avait imposé une condition : ce poulain, Goujat du Pré Vert, serait à moi si je finissais le travail de débourrage, bien sûr aidée de son propriétaire. J'avais bien évidemment accepté, folle de joie à l'idée de posséder ma propre monture. Quelle idiotie ! Ce furent trois mois à passer toutes mes fins d'après-midis au ranch. J'avais dû trimer comme une folle, et je revenais exténuée le soir à la maison, maudissant ma sœur et son deal saugrenu. Bon, j'avoue que j'avais été bien fière de revenir au sein du domaine familial, par une soirée claire de printemps, au dos de Goujat. Alva avait applaudi en me voyant arriver, bientôt rejointe par mon frère, mes parents et d'autres membres de la famille, de passage quelques jours, sans oublier la fidèle Miss Aimie. C'est à partir de ce jour que mon VTT à quatre pattes préféré a emménagé définitivement chez les Winslo.

***

Goujat hennit bruyamment, me faisant comprendre son impatience de partir en ballade, et par la même occasion, me faisant revenir au temps présent. Je lui caresse le chanfrein pour ensuite attraper les rênes d'une main, passer mon pied gauche à l'étrier et pousser mon corps vers le haut tout en balançant ma jambe droite au-dessus de sa croupe, prenant soin de ne pas la frôler. Une fois correctement en selle, je le fais trotter pour l'échauffer puis le lance au galop et lui fais franchir la barrière de la carrière, marquant le début de notre balade.

Au moins maintenant, je maîtrise quasiment parfaitement ma vision « rayons X » et j'en suis soulagée. La matinée s'annonce bien !

Afynn Winslo - Chroniques d'une OutlanderOù les histoires vivent. Découvrez maintenant