Afynn Winslo - Chroniques d'une Outlander

Chapitre 6

En revenant de ma balade avec ce beau gosse de Goujat du Pré Vert, je ne peux m'empêcher de me demander si je ne suis finalement pas folle. Suis-je la seule personne à avoir ce genre d'hallucinations visuelles ? Ne sont-elles pas juste le fruit de mon imagination ? Mais dans ce cas, quel évènement en serait à l'origine ? Cette promenade n'a fait que m'angoisser d'avantage. Mais le cheval a eu sa sortie quotidienne, c'est tout ce qui compte maintenant.

Mais j'y pense quand même ; si mes problèmes sont bien d'ordre psychologique, alors peut-être qu'une autre personne dans ma famille y a-t-elle aussi été déjà confrontée...

***

« Maman, j'aimerais savoir ; as-tu déjà été malade ?

- Oui, comme tout le monde une fois au moins dans sa vie, je suppose. Un rhume, une varicelle... me répond-elle en me regardant l'air perplexe. Pourquoi une telle question ?

- Je me demandais juste si... si tu avais été sujette à des...  hallucinations, disons, plus jeune ?

- Qu'est-ce que tu entends par "hallucinations", Afynn ? demande-t-elle, suspicieuse.

- Des hallucinations auditives ou plutôt visuelles, en fait, je précise.

- Non. Non, bien sûr que non. D'où tiens-tu cette idée ? Tu as des problèmes ma chérie ? » s'inquiète-t-elle.

J'hésite à lui avouer ce qui m'arrive ces derniers temps. Je n'ai pas envie que ma mère me prenne pour une folle, je ne veux pas abîmer le beau portrait de notre famille.

« C'est juste un article que j'ai lu Maman... Rien de bien important. A l'évidence ils ont tout faux, les hallucinations ne sont pas répandues au point d'avoir un proche direct atteint... je marmonne pour moi-même.

- Dans ce cas, tu ferais mieux de vérifier tes sources, ma fille, reprend-elle d'un ton plus froid. Beaucoup de médias cherchent à abuser de la naïveté des jeunes pour leur faire avaler n'importe quoi. »

Je tique. Me croit-elle stupide à ce point, de ne pas me méfier des informations que je peux recevoir ? Non, c'est sûr, " Madame Winslo " n'a jamais été malade, elle n'est pas folle ! Je prends congé et file dans ma chambre.

Cependant, j'ai du mal à me calmer. Alors, si j'en crois ce qu'a dit ma mère,  il s'agit bien là de pouvoirs... magiques ? La situation reste malgré tout compliquée ; c'est dur de faire face à cette étrange capacité. Serais-je amenée à dompter d'autres " pouvoirs " comme celui-ci à l'avenir ? Et eux, ne seraient-ils pas susceptibles un jour de me mettre en danger, ou pire, de menacer des gens autour de moi ? De plus, le nombre de romans que j'ai pu lire à propos de héros incontrôlables, ou les block-busters infernaux sur des affrontements titanesques entre forces maléfiques et protectrices n'aident pas à beaucoup à me rassurer. J'espère ne jamais être forcée à utiliser ce nouveau don pour n'importe quelle raison, qu'elle soit bonne ou mauvaise...

J'envie Alva et Jehan, pour qui tout semble aller au mieux. Ils sont deux, peuvent compter l'un sur l'autre, même si avec l'âge, ils commencent à prendre de la distance. De mon côté, j'ai beau avoir une famille, un petit copain, être une élève sérieuse, une fille sportive, avoir une vie facile, je me sens un peu seule. Je n'ai pas d'âme jumelle comme Alva et Jehan, je n'ai personne avec qui entrer en résonance. Et pourtant j'en ai besoin, pour mon épanouissement personnel. Je suis en attente d'un groupe, ou au moins d'une personne, qui me comprenne vraiment. Qui sache ce que ça fait de porter le poids, la responsabilité d'un pouvoir, une différence unique en son genre. Quelqu'un qui partage mes sentiments et qui les respecte. En fait, j'ai besoin de moi, puisque je suis forcément la seule à savoir ce que ça fait... Alors je dois partir à la recherche de moi-même ?

Parce qu'au fond, Afynn Winslo n'est que ce qu'on en a fait. Une jeune fille bien élevée, qui fait honneur au beau tableau de la famille Winslo. Afynn aime l'équitation, parce que tous les  Winslo montent à cheval. Afynn a les meilleurs résultats en sport, parce que les Winslo sont des athlètes. Afynn est toujours première de classe, parce qu'il en a toujours été comme ça chez les Winslo, la première place n'est pas une option, elle est une obligation.

Alors je suis emmêlée dans les fils de la toile Winslo...
Mais au fond, j'ai aussi ma part de responsabilité : jamais je ne me suis rebellée contre cette éducation. Non pas que je l'approuve, mais je n'ai jamais cherché à poser de questions. Pourtant je sais que ce n'est pas mon destin, je ne veux pas de cette vie-là. Le peu que j'ai en goûté m'écœure déjà. Même avant l'apparition de cette vision X, j'avais déjà l'impression d'être une coquille, un masque sous lesquels on aurait insufflé un semblant de conscience, le peu qui soit nécessaire à la survie de l'honneur de la famille Winslo.

***

Les pensées se bousculent dans ma tête. Il faut que je sorte dehors, que je fuis cette oppression qui m'étouffe. Avec le stress qui survient tout à coup, ma vision se brouille et tout redevient noir. Les objets sont des nuances de gris. Encore. Je me précipite comme je peux vers la porte de ma chambre que j'avais fermée pour ne pas qu'on me dérange. J'ai du mal à trouver la poignée, qui a la même couleur que la porte qui elle-même se fond dans le mur. De l'air, de l'air ! Enfin, je parviens à actionner cette fichue poignée, et j'ouvre d'un coup la porte en bois peint qui vient claquer contre le mur. Le bruit m'effraie et je m'emballe un peu plus. Les escaliers, vite ! Je tâtonne le couloir. Tout se ressemble ! Mais soudain, le mur que je suis des mains se dérobe et mon corps bascule vers l'avant, emporté par ma précipitation. Je sens que mon crâne percute une première marche, puis mon dos, mes jambes. Un cri d'affolement se bloque dans ma gorge tandis que je dégringole, telle un pantin. Ma tempe gauche cogne contre le carrelage sur le débordement de l'escalier.

Puis ce sont les ténèbres.