Envers et contre toi - *Sous contrat chez Black ink éditions*

Chapitre 1 - Mia

Et c'est reparti pour un tour.

Lundi 3 septembre, jour de rentrée, nous y sommes.

On sait que ce jour terrible existe, pourtant il arrive toujours trop vite. Plantée sur le trottoir d'en face, je reste quelques instants à regarder mes semblables s'agglutiner devant les barrières. Genre ils sont pressés d'y aller. Et vas-y que ça s'embrasse et parle fort. Je soupire, sentant le poids de l'année à venir me peser sur les épaules. Fini vacances, soleil, plage avec les copines. Bonjour révisions, devoirs, et bac à la fin de l'année. Super.

Pourquoi a-t-il fallu que ma mère m'inscrive obligatoirement dans ce lycée de bourge ? Je me demande d'ailleurs où passent les dix mille balles que chaque famille leur laisse puisqu'ils ne sont même pas fichus de planter des arbres ou quelques plantes autour de cette immense bâtisse d'un gris sordide, posée tel un vulgaire rectangle brut entouré de béton. Nouveau soupir d'exaspération.

Courage Mia, c'est la dernière année.

Je ferme les paupières quelques instants et profite de la brise dans mes cheveux défaits. Je frissonne légèrement et regrette de ne pas avoir mis de gilet sur mon chemisier. Enfin qu'importe, bientôt je serai enfermée dans une salle au milieu d'une trentaine d'autres étudiants en sueur, à trimer sur leur copie.
Allez, il est l'heure d'y aller. Mes yeux se perdent sur la masse d'élèves qui grouille toujours en face de moi lorsque je distingue enfin ma meilleure amie, Marie. Elle seule me donne envie de venir ici chaque matin, c'est mon double au féminin. Mentalement seulement car physiquement tout nous sépare. Mais quand je dis tout, c'est tout ! Ses cheveux sont aussi châtains et sa silhouette élancée que je suis blonde aux formes pulpeuses. Je souris rien qu'à la regarder me chercher en se dandinant dans tous les sens sur la pointe des pieds. Dieu merci elle n'a pas de mégaphone, elle serait fichue de s'en servir. Je prends un dernier bol d'air tiède que nous offre ce mois de septembre, avant que l'été ne laisse place à l'automne, emportant avec lui les doux souvenirs d'été. Je réajuste mon sac sur l'épaule et traverse la rue d'un pas franc et décidé, à l'image de celle que je tente d'être. Franche et décidée à garder ma place en tête de promotion, empocher mon bac littéraire avec mention. Qu'importe où est mon père, au ciel ou ailleurs, prenez ce qu'il vous arrange, il pourra être fier de moi. Mon cœur se pince légèrement lorsque je pense à lui alors que je ne l'ai presque pas connu. J'avais trois ans lorsqu'il est décédé, quelques jours avant ma première rentrée scolaire, et j'ai bien peur que les seules images que j'ai de lui aient été uniquement imprimées dans mon cerveau par les vieux clichés que ma mère n'a de cesse de me montrer.

— Tiens, te voilà, toi ! s'exclame Marie lorsqu'elle me repère enfin.

Elle vient à ma rencontre et me serre brièvement dans ses bras.
— Ben t'en fais une tête, y a un souci ? Attends, non, tais-toi, me somme-t-elle en levant son index en l'air. Je sais, ta mère t'a fait le coup annuel de « mon bébé fait sa rentrée », je me trompe ?
Comment ne pas rire ? Elle me connaît par cœur.

— C'est exactement ça, soupiré-je. Elle a tenu à me déposer comme tous les premiers jours alors que je pourrai me cailler à venir à pied tout l'hiver... Va comprendre.
— Oui, mais elle nouera ton écharpe avant de partir, ajoute-t-elle en se moquant ouvertement de ma pauvre situation.
Je lui assène un coup de coude amical, ne trouvant rien de plus à lui répondre. Ma meilleure amie a totalement raison, ma mère ne vit que pour moi depuis la disparition de mon père. Elle dirige en parallèle le conservatoire de danse de Bordeaux, mais sa vie ne se résume qu'à ça. Mia - conservatoire puis conservatoire - Mia. J'imagine qu'elle compense le fait de m'élever seule, mais c'est un brin étouffant, si vous voulez mon avis. Mince, j'ai dix-huit ans maintenant ! Un peu plus de liberté serait bienvenu...