Chapitre 13 : Sang & fumée

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          Les prisonniers shaïtans, galvanisés par la perspective de sortir enfin de leurs geôles, montèrent les escaliers sans bruit malgré les nombreuses armes qu'ils venaient de subtiliser dans la salle de torture et la salle de garde. Leur vivacité surprit Eloïse qui ne s'attendait pas à les voir aussi en forme après toutes ces années de prison et de privations. Arrivés à l'étage, ils se disperseraient, mettraient le feu dans la réserve d'alcool du rez-de-chaussée, puis tueraient tous les Rhaïms qu'ils pourraient. Leur Baçkan ne semblait pas avoir envisagé la possibilité de fuir après...

          Eloïse, qui soutenait Cassiopée, Alric qui aidait Samuel, puis les deux prêtres qui clopinaient derrière, montèrent à leur tour. Ils débouchèrent, essoufflés, à l'étage, se fiant à Nero et ses talents d'éclaireur. A la lueur des torches, atténuée par les premières volutes de fumée de l'incendie qui devait faire rage à l'autre bout, quelques corps ensanglantés de Rhaïms étaient répandus sur le sol et l'on entendait au loin le bruit des armes et des cris d'agonies. Ils longèrent le couloir aussi vite que possible jusqu'à la porte de la réserve. Alric l'ouvrit à la volée puis ils la refermèrent et la bloquèrent derrière eux pendant qu'il soulevait la lourde bouche d'égout. Samuel et les deux prêtres se nettoyèrent rapidement dans le lavoir et conseillèrent aux autres de se frotter comme eux avec la poudre brune odorante qui servait à la lessive.

- « Cela gommera nos odeurs corporelles et évitera d'attirer les skelts qui vivent là-dessous, expliqua l'un des vieillards. »

La descente de l'échelle se révéla complexe mais la progression dans les boyaux de l'égout se poursuivit sans trop d'encombres.

- « Si tout continue à rouler comme çà, dans trois jours au plus tard nous sommes à la maison ! Lança joyeusement Eloïse à Cassiopée et Samuel qui traînaient la patte. »

- « Ne vends pas la peau de l'ours, grommela son amie, que la douleur rendait grognon. »

          Elle n'avait pas sitôt prononcé ces mots qu'un cri strident reconnaissable entre tous résonnait dans le tunnel et qu'un cliquètement métallique annonçait l'arrivée d'une bande de skelts. Kripec et Nero, forts de leur expérience, se jetèrent sur le premier tandis que le reste de la horde bondissait sur les deux prêtres, à l'arrière garde. Eloïse et Alric lâchèrent leurs compagnons au profit de leur arbalète et tirèrent sur les skelts en essayant de ne pas toucher les prêtres qui se défendaient comme des beaux diables avec leurs épées courtes. Trois skelts furent rapidement hors d'état de nuire. Le dernier, se sentant en mauvaise posture, poussa soudain un puissant cri d'alarme qui fit se boucher les oreilles à tous les fugitifs.

- « Dépêchons-nous ! cria l'un des prêtres. Ils vont attirer des sentinelles ! Garder les égouts fait partie de leur rôle. »

En effet, ils n'avaient pas fait cent mètres que des pas lourds se firent entendre, en provenance de la sortie. Une silhouette massive mais naine, encadrée par deux autres plus grandes se détacha à la lueur du jour qui éclairait déjà légèrement l'extrémité du tunnel.

- « Venez affronter Steev le Terrible ! cria le plus petit en brandissant une énorme épée. »

Il se précipita sur Eloïse qui l'accueillit le katana à la main pendant que Samuel et Alric affrontaient ses deux comparses. Cassiopée, adossée à la paroi dégoulinante de moisissure, tira un carreau en plein cœur de celui de Samuel avec l'arbalète qu'Eloïse lui avait laissée. Alric en profita pour achever son adversaire. Eloïse levait son katana pour trancher la tête du nain quand elle perdit l'équilibre sur le fond gluant de l'égout. Steev saisit sa chance et lui plongea l'épée dans le ventre. Presque simultanément, sa tête tombait dans l'eau pendant qu'Eloïse finissait sa glissade jusqu'au sol et lâchait son épée pour tenter de retenir le sang doré qui s'échappait de son abdomen.

Alric, Samuel et Cassiopée poussèrent à l'unisson un cri de détresse.

- « Alric, ramasse-la ! Je m'occupe de Cassiopée, lui lança Samuel. Sortons vite de là et cherchons un abri pour la soigner ! »

         Les cinq compagnons se ruèrent vers la sortie, précédés par Nero et Kripec, et coururent sans regarder en arrière jusqu'à une faille dans la vertigineuse falaise qui jouxtait la forteresse. Ils se faufilèrent dans un étroit défilé rocheux, à l'abri des regards, dans une obscurité presque totale.

Les Oeufs du DestinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant