Déviance

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Il aurait été facile pour une oreille vagabonde de qualifier la salle de silencieuse. Il est vrai qu'elle pouvait paraître l'être pour un simple passant, pour quelqu'un qui ne comprenait pas tous les enjeux qui se jouaient en ce moment.

Si l'on prêtait attention aux doigts de ces femmes qui tournaient inlassablement leur bague autour de leur annulaire dans un geste apaisant ; si l'on accordait un regard à ces pieds si stressés qu'ils pointaient l'un vers l'autre ; si, enfin, l'on avait l'ouïe assez fine pour écouter les battements de cœur des gens présents, on saurait qu'il n'en était rien : la salle était pleine de peur et d'appréhension. Le tout sur un fond de tambour.

Chaque nouvel entrant était épié. S'il portait une blouse blanche, on se redressait pour montrer bonne figure, espérant en vain que cela aiderait à mettre fin au châtiment plus rapidement. S'il n'en portait pas, il s'asseyait sous une dizaine de regards lourds de jugements. On ne savait pas qui il était, encore moins ce qu'il allait devenir. Aucune raison, donc, de montrer ne serait-ce qu'une pointe de compassion à son égard.

C'est dans cette ambiance pesante que le Médecin Straun entra.

Il avait l'allure de celui qui cherche à se montrer plus confiant qu'il ne l'est vraiment. Le dossier sous le bras, bien serré pour être certain de ne pas le laisser échapper, il avait ouvert la porte d'un coup d'un seul et avec un peu trop de force. Elle se serait arrêtée sur le genou d'un des patients s'il ne s'était pas décalé de quelques centimètres dans un glapissement furieux.

Ignorant le regard plein de reproches de celui-ci, et ceux de tous les autres présents dans la salle, il fonça en – trop – grandes enjambées vers le seul qui ne le dévisageait pas.

Il attendit ainsi une seconde. Puis deux.

Le garçon ne relevant pas la tête, il déglutit, mal à l'aise, et entama du ton le plus monocorde possible :

– Monsieur Martin Pravlin ? Nous avons les résultats.

Devant l'absence de réponse de son interlocuteur, Straun reprit une grande bouffée d'air.

– Vous avez été déclaré déviant. Veuillez vous lever et me suivre.

Puis, les yeux suppliants :

– Je vous prie de ne pas faire de vague.

~

L'homme de presque quarante ans était assis à son bureau. Ses doigts pianotaient sur le bois de celui-ci. Cela faisait déjà une demi-heure qu'il était en pause, mais rien n'y faisait : il n'arrivait pas à se calmer.

Il revoyait les pupilles du patient Pravlin qui se dilataient de terreur et le dégoût qui s'était tout à coup lu sur le visage des spectateurs. Ça aurait pu être eux. Et pourtant, aucun n'avait fait le moindre geste dans sa direction.

Ils savaient qu'il vivait ses derniers instants, que la déviance menait à la mort, mais au lieu de soulager son esprit, ils avaient tous préféré s'agglutiner dans un coin de la pièce, le plus loin possible, et l'injurier.

Ce n'était encore qu'un enfant. Vingt ans à peine.

Mais s'il avait été déclaré déviant, c'est parce que les tests avaient révélé que, vivant, il aurait tué un être de sang froid dans la rue sept ans plus tard.

Straun se prit la tête entre les mains.

De ses neuf ans de carrière à peine dans le secteur, il n'avait encore jamais du déclarer qui que ce soit de vingt ans déviant. C'était la première fois. La cité et son nombre restreint d'habitants lui avait permis d'éviter la corvée jusque-là.

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