Un village musical

61 11 44
                                    

La ruelle était toute de rouge vêtue.

Le soleil qui se couchait saluait une dernière fois les habitants d'une caresse à leurs fenêtres. Les pavés, mouillés par la pluie de ce soir d'été, étaient devenus le miroir du ciel comme si celui-ci, connaissant sa beauté, les avaient supplié de lui montrer encore une fois son reflet.

Tout était silencieux. Même les moustiques et autres créatures à multiples pattes se faisaient discrets pour ne pas entacher la poésie de l'instant. Pour profiter du spectacle.

Lui, il était là. La trentaine, adossé à sa moto, rouge elle aussi, il contrastait dans ce tableau parfait par ses habits noirs. Il ne parlait pas, mais ses pensées étaient un vacarme à elles seules. Un vacarme organisé d'une dizaine de ses nouvelles musiques qu'il se repassait en boucle avant la répétition, mais un vacarme tout de même. Sans s'en rendre en compte, il se mit à fredonner.

« Dans ce village abandonné

Par le temps qui file et qui passe

Les gens ne sont pas très loquaces

Mais fort solides en amitié »

Il tenait une clope entre ses doigts tremblants. Quelques particules de cendre volèrent dans le vent.

Il porta sa cigarette à sa bouche et aspira profondément. Son cerveau s'embruma. Il n'avait plus qu'une chanson en tête. Imparfaite. Il chercha comment l'améliorer.

Son souffle envoya ses pensées rejoindre le brouillard qui se levait.

~


Le soleil disparut à l'horizon. La ruelle plongea dans le noir autant qu'elle put, ou plutôt autant que le nuage blanc qui venait de s'y enraciner le voulut bien.

Et tout à coup, papillons, grillons et cousins sortirent de leurs cachettes. Ils s'agglutinèrent autours des lampadaires et de leurs ailes entamèrent un concert.

Lui, il était toujours là. Mais alors que du silence, ses pensées rompaient l'harmonie ; cette fois-ci dans le bruit, plus rien n'émanait de lui.

Il restait là, ahuri. Vide.

Il cligna des yeux une fois puis deux avant de tousser comme pour déloger quelque-chose de sa gorge. Elle lui brûla juste un peu plus. Il releva la tête et observa autour de lui. Non, rien n'avait changé.

Et puis son regard tomba sur sa cigarette, qu'il continuait de secouer machinalement. Merde. Qu'est-ce-qu'il avait fumé pour ne se souvenir de rien, comme ça ? Il l'envoya valser en se passant la main gauche sur le front.

Il s'appuya sur sa moto pour se redresser, fut surpris de la trouver sous lui.

Mais qu'est-ce-qu'il faisait là ? Il voulut retracer sa journée, essayer de trouver un indice, quelque-chose, n'importe quoi. Autant essayer de casser un mur de ciment avec le crâne : c'était tout aussi douloureux, et tout aussi inutile. Et pourtant, il sentait qu'il y avait quelque-chose à creuser, qu'il suffisait juste de forcer pour que tout revienne... mais comment ? Il ne se souvenait même pas de son nom. Juste de sa fichue moto rouge. C'était bien pratique pour se rendre dans un appartement fantôme. Il ricana.

Et s'il sonnait à une des portes et qu'il demandait à qui voudrait bien lui ouvrir de l'emmener à la police ? Ils sauraient bien l'informer, eux.

Il vit la fumée qui s'élevait du sol, un peu plus loin, où finissait de mourir le mégot. Il secoua la tête. Mauvaise idée. Il risquerait de finir en garde à vue ou il ne savait où d'autres.

Petites HistoiresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant