Surpassement

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Désappointement

Au milieu de l'océan, les vagues pourtant calmes ce jour-là se retrouvèrent soudain agitées dans un grand : Plouf !

- Et ben alors, Tibo, t'aimes à ce point les bestiaux de l'eau que tu veux te joindre à eux ? s'esclaffa un jeune garçon sur le pont en se tenant les côtes.

- Tu peux rire, l'ami. N'empêche que moi, mon rêve va bientôt se réaliser.

Le-dit Tibo venait de se hisser tant bien que mal sur sa barque, malgré le poids de ses habits mouillés qui le traînaient vers le fond. Après un regard vers les poissons qu'il admirait à plat ventre quelques minutes plus tôt, il remonta la barque et enjamba le bastingage pour rejoindre son compagnon dans un bruit de vase visqueuse. Sans un mot, il ignora l'avalanche de réponses cinglantes de Jason et s'installa un peu plus loin pour enlever ses bottes. Il compta mentalement : 3... 2... 1...

- T'as pas bientôt fini de te disperser, mon grand ? Je perds pas du temps à t'entraîner pour que tu te chamailles comme un gamin à chaque occasion. Un vrai capitaine sait être sérieux, tu devrais le savoir, non ? Allez, on reprend !

Dans le silence qui suivit, on put presque entendre la pomme d'Adam du jeune mousse remonter dans une difficile déglutition. De son côté, Tibo détourna la tête pour que Monsieur Moineau ne voit pas son sourire poindre sur son visage. Juste, le second savait aussi se montrer sévère envers les « petits plaisantins », et il n'avait aucune envie de retourner vérifier une seconde fois que l'embarcation n'était pas entourée de requins affamés. Il aimait les animaux, autrement il ne serait pas là, mais à condition qu'ils restent à distance suffisante tout de même.

Malgré lui, son regard remonta le long des cordes et se perdit sur les voiles impressionnantes du trois-mâts. Dans un cri d'orfraie, entrant en résonance avec ceux de Jason qui tentait en vain d'éviter les attaques de Moineau, passa un oiseau. Il était beau. Ou plutôt non, splendide ! Son bec était d'un orange vif, et ses plumes blanches se terminaient dans un joli dégradé de roses. Sans le quitter des yeux, Tibo roula sur le côté et farfouilla de sa main ses affaires. Il ne lui fallut pas longtemps pour en sortir un morceau de papier et une plume : il ne transportait presque exclusivement que ça. Dans une danse semblable à celle à laquelle se prêterait Jason lorsqu'il serait devenu le plus grand corsaire de tous les temps, sa plume caressa la feuille, y faisant naître un œil, des serres... Sa main était comme envoûtée. Elle se mit, seule, à ajouter des annotations, des mesures faites à vu d'œil de l'envergure des ailes et du corps de cette merveille. Lorsqu'il se prêtait à ces observations, Tibo oubliait tout : il rêvait. Un jour, il connaîtrait toutes les espèces sur Terre, parce-qu'il en aurait découvert la moitié à lui seul. Ce premier grand voyage était un début plein de promesses pour lui.

Mégalomanie

- Toujours à rêvasser ?

Perdu dans sa contemplation, Tibo n'avait pas entendu les pas s'approcher. L'angoisse lui sera le ventre. Devant aussi peu de réaction, l'homme se pencha au-dessus de lui, lui bouchant la vue et le plongeant dans l'ombre. Tibo n'avait jamais vu le bout des bottes du Professeur Prenek d'aussi près. Et à vrai dire, il s'en serait bien passé.

- Alors ?

La voix se fit plus cassante encore, si tant est que cela était possible.

- Je... j'observe la nature, monsieur, bafouilla le pauvre adolescent qui se redressa sur un coude. Comme vous me l'avez enseigné.

Sa vue se brouilla et ses oreilles sifflèrent.

- Oh ? Montre-moi ça.

Prenek lui arracha le dessin des mains et le regarda longuement. Devant ses yeux, Tibo ne voyait plus que du noir. Il était à deux doigts de défaillir. Il connaissait ses capacités, mais il savait également que quoi qu'il fît, cela ne satisfaisait jamais son professeur. Parce-qu'il était trop grand, trop puissant ; trop doué encore. Sa renommée le dépassait, toutes les portes lui étaient ouvertes. Pour s'assurer qu'on le remarquât, lui et rien que lui, il travaillait à les laisser closes pour les suivants qui, de toute manière, ne lui arrivaient pas à la cheville.

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