D'Ascu Stagnu à la Bergerie U Vallone (1ère partie)

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Morgan se réveilla en sursaut : alors qu'il se trouvait dans des conditions idéales pour se reposer, il n'avait pratiquement pas fermé l'œil de la nuit. Le vent avait soufflé en rafales et le bruit était infernal. Mais en outre, le jeune homme angoissait au sujet de l'étape à venir. Même avec la suppression du Cirque de la Solitude, les pires rumeurs circulaient sur le parcours, sur son temps de réalisation et sur les risques relatifs aux conditions météorologiques.

Morgan, de l'avis même de ses amis, était un froussard. Il s'était repassé toutes les moqueries de Rafael à son sujet et il avait songé à ces multiples accidents qui avaient coûté la vie à plusieurs randonneurs. Ses angoisses au sujet du GR20 s'étaient amplifiées et, à présent, il n'était plus certain de vouloir continuer. D'autant que Léna avait prévu un départ avant le lever du soleil. Le Parisien s'extirpa de son lit à trois heures du matin, incapable d'y rester allongé plus longtemps. En sortant de la chambre, il souhaita en silence que le temps se dégrade et qu'il soit contraint d'emprunter la navette.

Dans la pièce principale du refuge, il but une tasse de café, grignota quelques canistrellis et discuta avec un randonneur qui ne pouvait également plus dormir. Ce dernier effectuait son deuxième parcours en Corse, après avoir réalisé la totalité du Mare a Mare Nord l'année précédente.

En l'écoutant, Morgan eut le sentiment qu'il ferait bien de renoncer avant d'enchaîner les galères et de risquer de se casser une jambe. Ou pire...

Lorsque Léna le rejoignit peu avant leur départ du refuge, le Parisien lui communiqua sa décision. La jeune femme crut à une blague mais le regard décidé de Morgan lui prouva qu'il était tout à fait sérieux.

La Corse ressentit une certaine déception. Malgré le caractère complexe de son client, de sa méconnaissance de la randonnée et de ses préjugés sur l'île et ses habitants, elle croyait vraiment à sa capacité à achever le GR20. Il lui avait prouvé sur les premières étapes qu'il avait de très bonnes capacités physiques et mentales. Pourquoi arrêter maintenant ? Sa blessure à la cheville n'était plus qu'un mauvais souvenir et il n'était pas malade.

Bien décidée à comprendre les raisons de ce revirement, Léna entraîna Morgan à l'extérieur du refuge.

— Écoute, si Raf a...

— Relax Léna, il n'y est pour rien ! J'ai beaucoup réfléchi à tout ça et je pense que ce serait du suicide de continuer. Si je me blesse, s'il m'arrive quelque chose, tu seras tenue pour responsable. Et je ne le souhaite pas. J'ai beau avoir signé une décharge, ça te retombera dessus et cela aura des conséquences négatives sur ton business. J'ai étudié le parcours, lu les descriptifs techniques que tu m'as envoyé mais je pense que j'ai sous-estimé les difficultés. Il me semble plus intelligent de stopper avant de provoquer une catastrophe. Cela fera sans doute plaisir à ton copain qui n'attend que ça, que je déclare forfait, mais tant pis.

— Je ne te comprends pas. Au départ, tu ne cessais de clamer que tes potes allaient perdre leur pari et que tu irais au bout parce que c'était une question d'honneur. C'est pour ça que Rafael ne cesse de te lancer ses petites piques dont il a le secret. Je ne pensais pas que tu tomberais aussi vite dans son piège. Car il est du même avis que moi : tu es capable d'aller au bout. Même si ta technique laisse à désirer, tu es endurant, tu as le physique pour supporter ces seize jours. Ha ne me regarde pas comme ça, je suis sincère !

Morgan détourna le regard : il aperçut alors Rafael, accompagné d'un homme d'une soixantaine d'années. Ils discutaient avec animation, le sourire aux lèvres. Le Parisien se sentit tout à coup minable. Le randonneur qui lui faisait face avait plus du double de son âge et il ne doutait pas qu'il parviendrait à Conca, le terme du GR20, sans encombre. Et lui était prêt à abandonner parce qu'il avait la trouille de se casser la figure. Son plus jeune frère, s'il avait été présent, n'aurait pas manqué de le traiter de dégonflé et de poule mouillée.

Un pinzutu dans le maquisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant