Entre les mailles

Chapitre 19 - Le SAAN -

Julie eut la preuve de son succès par voix de presse. La déclaration officielle du SAAN demandait au gouvernement des informations sur les activités industrielles de certains pays limitrophes en bordure du talus continental, susceptibles d'interagir avec l'aquaculture. Comme Karl l'avait prévu, ce fut bientôt pour eux une période de travail intense. Julie présentait le Filet à chaque réunion importante du SAAN, un peu partout dans l'Atlantique Nord. Elle intervenait aussi bien dans les meetings internes des membres du SAAN, que pour les communications avec les autres organisations professionnelles ou gouvernementales. Bien que la plupart des exporés se firent par téléprésence, elle avait l'impression d'avoir parcouru l'Atlantique Nord en tous sens. Karl et elle s'étaient néanmoins installés dans la bulle de Julie à Corum, considérant que la proximité du gouvernement serait un avantage. Au début, l'écoute était polie, intéressée, mais passive. Elle aurait préféré une franche opposition au lieu de cette inertie.

— Depuis combien de mois est-ce que je travaille pratiquement à temps plein là-dessus, s'écria Julie ? Vous êtes un peuple apathique ou quoi !

— Voyons Julie, lui répondit Karl. Ne te fais pas plus atmosphérique que tu ne l'es ! Tu sais très bien que calme et discrétion n'ont rien à voir avec de l'apathie.

— Je le sais, mais enfin vous êtes insupportables. J'ai l'impression d'avoir parlé à la moitié de tes concitoyens et pas un seul n'a cherché à se faire mon relais.

— Je te ferai remarquer qu'il s'agit maintenant également de tes concitoyens. Tu savais dès le début que ce travail serait long et difficile, et c'est indécent de ta part de mettre cet échec partiel sur le compte des Nautiques.

— Oui, tu as raison, excuse-moi. Mais tu me connais, je ne supporte pas la passivité. J'aurais préféré un bon groupe d'opposants au lieu de cette inertie.

— Et bien, je pense que tu vas être servi. J'ai trouvé tout à l'heure des informations de soutiens au développement du Filet qui ne viennent pas de la Bolding S.A..

— Quoi ? Et tu ne me dis ça que maintenant !

— C'était pour ça que je t'avais demandé de venir, mais tu ne m'en as pas laissé le temps.

— Oui, excuse-moi... continu.

— Tu es tout excusée, c'est comme ça que je t'aime. Pour le moment, ce n'est pas grand-chose. Regarde, c'est l'ordre du jour du comité de direction d'Atlante. C'est une grosse compagnie industrielle et visiblement elle envisage de développer ses propres Filets. Ils travaillent avec la plupart des coops et des corpos industrielles, mais ce n'en est pas une. C'est une société privée, l'une des rares existants en Atlantique Nord, et de toute façon la plus grosse. Leur métier de base c'est le déploiement de Neptuniene, mais ils sont aussi très impliqués dans la fabrication et la maintenance des cargos. Ils doivent faire une communication à ce sujet la semaine prochaine.

— Tu me sauves. Enfin un adversaire à l'intérieur de l'Atlantique Nord. C'est le mieux qui pouvait nous arriver pour faire parler de nous. Les médias préfèrent toujours les luttes aux consensus. Tu peux me croire, je suis journaliste ! dit-elle en riant.

Les mois qui suivirent furent épiques. Les pro-Filets avaient atteint en quelques semaines ce que Julie n'avait pas réussi à faire en plusieurs mois. L'exploitation ou non des Filets à élément était devenu un enjeu majeur de la vie politique de l'Atlantique Nord. Les rangs des pro-Filets étaient assez larges, et paradoxalement elle se considérait comme la principale bénéficiaire de ce succès. Si précédemment il existait une certaine adhésion autour d'elle, celle-ci était inefficace, car les gens n'étaient pas impliqués, alors que l'opposition avait décuplé l'intérêt du public, et donc l'impact de ses interventions. Plusieurs études scientifiques sérieuses étaient d'ailleurs en cour à ce sujet.

Karl et Julie rentraient chez eux. Ils venaient de passer la soirée avec des amis pour les derniers préparatifs des fêtes de l'équinoxe. Mais comme toujours, le Filet revint rapidement dans la discussion.

— Julie, n'as-tu pas peur que les résultats de l'étude soient en ta défaveur ?

— Bien sûr que non ! Je n'ai rien à perdre. Si les résultats confirment mes craintes, ça me fera un argument de plus. Si, au contraire, ils infirment mes inquiétudes, ce sera une bonne chose puisque ça voudra dire que le Filet n'est pas un risque pour le futur.

— Tu me surprendras toujours. Tu es si passionné que j'ai du mal à croire que tu puisses abandonner ta lutte aussi facilement.

Un cri s'étrangla dans la gorge de Julie. Karl pivota vers elle. Deux hommes cagoulés l'avaient traînée en arrière et lui hurlaient quelque chose. Karl bondit, attrapa le premier et l'arracha de Julie d'un même mouvement. Il allait empoigner le deuxième quand celui-ci lui décocha un solide coup de poing dans la mâchoire avant de s'enfuir en courant.