Chapitre 65 Les fleurs du mal

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Quand j'étais petit, j'avais peur des vampires. Je mettais toujours du temps à m'endormir une fois plongé dans le noir. Les soirs d'orage, lorsque j'entendais la pluie frapper contre la fenêtre, entre deux coups de tonnerre, je me recroquevillais sous mes couvertures en pensant que des buveurs de sang rodaient la nuit. Je les imaginais, m'observant à travers les carreaux, entrer dans ma chambre pendant mon sommeil et se pencher sur moi, puis je cauchemardais. Je me réveillais alors en pleurs, en espérant que ma mère accourt pour me consoler. Elle me remettait dans mon lit, tout en me disant que les vampires, cela n'existait pas, que ce n'était que des chimères inventées par les hommes pour personnifier leurs peurs. Alors je me répétais cette phrase en boucle, jusqu'à retrouver le sommeil. À cet instant, je faisais ressurgir ces quelques frayeurs d'enfance tandis qu'une reine vampire dormait sur moi dans son plus simple appareil.

Un doux parfum d'amande, une musique dans le lointain, des lumières qui pulsaient depuis la fenêtre. Je m'éveillais doucement, en me remémorant chaque détail de notre chambre d'hôtel. L'espace d'un instant, je voulus avoir le pouvoir d'arrêter le temps. Revenir en arrière n'aurait fait que retarder l'inévitable. À ce moment là j'ignorais encore tout ce qui nous attendait, moi, Isabelle, Charlotte et Étienne. Notre périple n'en était qu'à son commencement et j'étais encore loin d'imaginer tout ce que nous accomplirions durant les années qui suivraient. La libération d'Isabelle n'était que la première étape vers notre destinée.

Nous étions tous deux allongés l'un contre l'autre savourant l'instant présent, loin des visions d'avenir ou des prophéties. Je réalisai alors que c'était la première fois que je voyais Isabelle dormir (je ne comptais pas son séjour à l'hôpital puisqu'elle était droguée et seulement dans les vapes). Elle était blottie contre moi, son corps de déesse contre le mien, couvrant mon épaule de ses longs cheveux. La tueuse qui menaçait jadis notre famille par son retour imminent était devenue ma reine par la force des choses. Si comme le pensait Isabelle, il existait vraiment un horloger pour veiller au bon fonctionnement de cette horloge qu'est l'univers, il ne devait pas manquer d'humour. Et pourtant, elle avait l'air si fragile, si seule, depuis si longtemps. Je ne pouvais que lui venir en aide. Contrairement à Charles, je n'appartenais pas à la race des prédateurs, et cela, que je sois vampire ou non. Les premiers hommes étaient des proies, puis par la force des choses, ils étaient devenus des prédateurs et enfin, les prédateurs des prédateurs, allant jusqu'à traquer les ours dans leur propre tanière, tuer les lions pour leur prendre leur gibier, ou encore chasser le loup au sein de sa meute. Je me disais que c'était peut être l'aboutissement de ma quête, devenir le prédateur des prédateurs... Celui qui empêcherait le mal de se répandre comme dans la vision de Jean.

Un soupir d'Isabelle vint alors balayer toutes mes pensées. Je la regardai qui se rendormait et je décidai de veiller sur son sommeil. À cet instant, j'ai su enfin pourquoi je me battais. Non pas que je ressentais de la culpabilité pour ce que mon grand-père lui avait infligé. Bien sûr, Je voulais l'aider parce que je n'aurais jamais pu supporter l'idée de la voir souffrir par ma faute, mais tout cela n'était que secondaire. La raison qui faisait que je ne pouvais me séparer d'elle était bien plus évidente... Parce que je l'aimais !

L'aube allait se lever, lorsque les premiers rayons du soleil pénétrèrent dans la chambre par les interstices des volets, Isabelle, toujours endormie, grimaça avant de se retourner dans la direction opposée, me libérant ainsi de son poids. J'en profitais alors pour me lever afin d'aller regarder par la fenêtre en entrouvrant délicatement les battants. Ce jour là, je n'avais plus peur ni des vampires, ni de l'orage. Cette aube à laquelle j'assistais n'était pas seulement la fin d'une longue période d'obscurité. C'était le début d'une nouvelle ère qui commençait dans ma nouvelle vie de vampire, la fin de l'enfance d'un immortel. Dans le ciel, je vis la constellation de la Vierge disparaitre petit à petit, chassée par la lumière du jour. Je refermai délicatement la fenêtre afin de replonger la pièce dans la pénombre tandis qu'Isabelle s'éveillait. Après un bâillement, elle déclara :

« Tu es encore attiré par la lumière, même après tout ça. Tu me fais penser à un papillon de nuit.

Je m'assis sur le lit pendant qu'Isabelle se rapprochait derrière moi.

—Et toi tu es l'araignée qui était censée me dévorer ?

Elle me mordilla le cou à la manière d'un chat.

—Peut être bien ! »

Pour la première fois, je la sentais heureuse et épanouie. Je n'avais encore jamais vu le moindre sourire sur son visage d'ange jusqu'à aujourd'hui. Alors qu'elle tentait de m'enlacer, je ne pus retenir un léger gémissement de douleur.

« Qu'y a-t-il ? Demanda-t-elle.

—Rien, c'est juste... Je crois que tu m'as cassé une côte cette nuit. Avouai-je honteux.

—Mince ! Comment c'est arrivé ?

—Quant tu t'es agrippée à moi avec tes jambes, tu as du serrer trop fort.

Elle prit un air gêné et se mit à rougir.

—Bon sang, Alex, je suis désolée, je me suis laissée emporter. Après un siècle d'abstinence, je ne voulais plus que ça s'arrête. Tu comprends ?

—Oui oui, ce n'est rien. Ça va guérir avec un peu de sang. D'ailleurs, il t'en reste ? J'ai une faim de loup.

—Dans le frigo.

Je sortis une poche de sang frais que je proposai de partager avec Isabelle.

—À qui il est celui là ? Demandai-je.

—Ella.

—Je vais encore entrer dans sa tête...

—Ce n'est rien, tu vas juste rêver de voitures et d'art martiaux pendant quelques jours. Dit-elle en riant. On s'y habitue ! D'ailleurs, maintenant qu'on est réveillés, tu ne voudrais pas refaire une tentative avec du sang humain ?

—Je préfèrerais éviter que tu ne me fracture le bassin. Les chaises roulantes, c'est pas trop mon truc.

Alors que j'allais me mettre debout, elle prit délicatement ma main dans les siennes en faisant une moue, puis profitant d'un instant d'inattention, utilisa sa force de vampire pour tirer violemment sur mon bras en me faisant tomber sur le lit. Elle s'allongea alors sur moi et m'immobilisa. Elle chuchota à mon oreille avec un air malicieux.

—Qui t'as dit que tu avais le choix...

Devant le ridicule de la situation, je me mis à rire tout seul de m'être fait prendre aussi facilement.

—Bravo, tu m'as bien eue. Mais tu oublies que je suis aussi un vampire à présent.

Je fis briller mes yeux et fis appel à mon pouvoir pour soulever Isabelle à un mètre au dessus de moi. Elle se mit à rire également.

—Ah pas mal ! J'avoue que je ne m'y attendais pas. Mais combien de temps penses-tu tenir comme ça, avant que ne te tombe dessus ?

—Je pourrais faire ça toute la journée.

—Vraiment ? Ta concentration s'est nettement améliorée, c'est impressionnant !

À ce moment précis, mon téléphone sonna, ce qui me fit tourner la tête dans sa direction. Aussitôt, alors que je relâchais mon attention sur elle. Isabelle, qui était restée en lévitation, me retomba dessus lourdement.

—Aie mes côtes ! M'écriai-je.

—Oups, désolée.

Elle me libéra aussitôt pour me permettre d'attraper mon portable.

—C'est Madame Tchernova, ils ont fini de nettoyer le tableau. Elle dit aussi qu'elle a parlé avec le père de Maximilien.

—Dans ce cas je me rends, nous remettrons ça plus tard. Je vais prendre une douche, on se retrouve au centre ?

—Oui, mais tâchons de garder, ce qui s'est passé, pour nous. »

Pendant qu'Isabelle faisait sa toilette, je reçus un nouveau message sur mon téléphone :

« À présent que vous savez qui je suis, j'ai besoin de vous parler. Rendez-vous à midi devant la tour de l'horloge. Venez seul. Keller. »

La reine de la nuit : La libération Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant