Sous la pâleur fantomatique de la Lune d'hiver, quatre amis téméraires s'enfonçaient dans une forêt d'immenses sapins noirs. De puissantes lampes torches à la main, ils perçaient la nuit de leur courage.
À la tête du groupe, un jeune homme, l'aîné des autres, menait ses compagnons dans les profondeurs de la forêt, le regard plus déterminé et triste que jamais.
Quand le soleil brillait encore au-dessus de ses cheveux en bataille, on pouvait apercevoir dans ses yeux de minuscules veines rouges chaotiques, synonymes de longues nuits passées à pleurer au lieu de dormir. Il n'avait que dix-neuf ans, et pourtant, il avait l'air d'en avoir dix de plus avec sa barbe de trois jours et ses lourdes cernes violacées. Les trois adolescents qui le suivaient avaient l'air fatigués aussi, et leur lassitude se percevait dans leur démarche saccadée et lente, le dos voûté sous le poid de la fatigue. On aurait dit un groupe de morts-vivants marchants vers un but inconnu, guidés par un fantôme.
Tous étaient amis de longues dates, liés les uns aux autres par une grande affection. Le meneur qui marchait à grandes enjambées malgré sa fatigue se nommait Andrew, sa petite amie Yelena traînait derrière lui en somnolant, aux côtés de sa meilleure amie, Maël, et de son frère Evan, lui-même meilleur ami d'Andrew.
Ils dormaient les yeux ouverts, puisant jusqu'à la dernière molécule de goutte d'énergie dans le puits sans fond de leur fatigue ; ils devaient continuer. Sans doute, la détermination d'Andrew étaient contagieuse, car aucun d'eux ne cédait à la tentation du sommeil qui venait les torturer.
Cela faisait trois jours qu'il avait disparu, ce petit garçon curieux et insomniaque. Trois jours et trois nuits que, sans relâche, Andrew et sa bande ratissaient la forêt à la recherche de son petit frère. Pas une seul fois lui et ses amis n'avaient fermé l'œil, depuis qu'Andrew avait trouvé le lit l'enfant vide, et l'une de ses bottines bleues sur un sentier de la forêt qu'il traversait quotidiennement.
Il savait que ce jour arriverait, et pourtant, il souffrait énormément de cette disparition.
Mais il se devait être fort. Il ne pouvait pas se laisser abattre, pas après le départ du dernier membre de sa famille. Plus qu'un frère, Adonis était comme son fils, et Il l'aimait plus que tout. Très rapidement, son désespoir se mua en colère, puis la colère devint sa force, et c'est elle qui le poussait à continuer ses recherches acharnées.
Une carte de la forêt brillait sur son téléphone et illuminait un peu son visage. Un point rouge se mouvant rapidement sur la carte indiquait qu'ils étaient proches du Lac de Crystal, lieu mystique où Adonis aimait se rendre lorsqu'il était triste.
C'était un endroit très reculé dans la forêt, entouré de mystères, légendes inquiétantes et de rumeurs de disparitions étranges que l'on racontaient aux enfants du village pour les effrayés et les dissuader de s'y rendre, des histoires terrible de monstre aux yeux blancs et de corbeaux morts. Les gens ne manquaient pas d'imagination quand il s'agissait d'effrayer les enfants. Adonis comme Andrew n'y avaient jamais accordé la moindre importance.
Le Lac de cristal était immense, et portait ce nom à cause de la clarté exceptionnelle de son eau, qui permettait d'observer sans effort des centaines de petits poissons qui se baladaient paisiblement entre les bras dansant des algues d'eau douce.
Une petite île gisait en son centre, relié à la terre par un pont de bois sculpté, et un arbre gigantesque qui dominait tout les autres y était planté. C'était un épicéa splendide, si grand qu'on ne voyait pas sa cime, et dépassait sans doute les quarante mètres de hauteur. Son tronc épais était décoré de fines gravures mystérieuses, héritage des populations païennes qui habitaient jadis la forêt. Son écorce comme ses épines étaient d'une blancheur immaculée, surnaturelle, qui contrastait avec la mer de sapins noirs qui s'étendait autour de lui. Il n'y en avait de semblable nul part dans le monde, cet arbre était un vrai mystère. Le Lac de Crystal était bordé d'une grande clairière couverte de fleurs multicolores le jour, et constellé de milliers de lucioles la nuit.
C'était un endroit magnifique et magique, à tout heure de la journée, mais en cet instant Andrew et ses amis s'en moquaient éperdument. Cela faisait trois jours qu'ils ne s'étaient pas reposés, et n'avaient rien avalé d'autres que l'eau de leur gourdes.
Comme le crépuscule tombait et qu'ils étaient affamés, les trois amis d'Andrew péchèrent à mains nues autant de poissons qu'ils pouvaient, tandis que le jeune adulte, qui était resté à l'écart, allumait le feu. Le pauvre ne pouvait rien avaler à cause de la boule d'angoisse permanente qu'il lui pesait dans le ventre. alors il se contenta de s'asseoir près de l'eau, le regard nostalgique et triste, en attendant patiemment que ses amis finirent de manger. Le repas terminé, tous s'allongèrent près du feu, bercés par le crépitement des flamme et le clairement des vagues qui s'entrechoquaient sur la berge. La nuit allait être glaciale, mais tous avait les paupières trop lourdes pour s'en soucier. Alors après quelques " bonne nuit " murmurés, ils tombèrent dans un sommeil profond comme le lac et la noirceur de la nuit.
• • •
L'aube se levait doucement, enveloppant la forêt d'une lumière pâle et d'une brume matinale épaisse. Andrew fut le premier à ouvrir les yeux, il était en sueur et son cœur battait très fort, après une nuit dévorée par des cauchemars horribles, mais néanmoins réparatrice.
Il se mit debout et contempla le lac d'un œil profondément triste, toujours immobile. Il faudrait bientôt reprendre les recherches, alors Andrew se retourna vers ses trois amis, dans l'optique de les réveiller.
Ce geste anodin paralysa le jeune adulte, horrifié, et son cœur s'arrêta de battre quelques instants. Là où il s'attendait à trouver ses trois amis endormis paisiblement, il trouva le néant. Disparus. Ils avaient tous disparus. La réalité le frappa en plein visage avec la violence d'une claque. Il était seul, au milieu de cette forêt qui lui avait arraché tout ce qui comptait pour lui, et bien plus encore
Comme lors de la disparition d'Adonis, son désespoir devint colère, mais cette fois, la colère devint haine, une haine, sourde et terrible, qui brûlait dans ses veines et le posséda de tout son être. Il haïssait cette forêt, il haïssait l'univers tout entier, et plus que tout, il se haïssait lui-même. Ses amis avaient disparu sous son nez et non seulement il ne s'en était pas rendu compte, mais en plus il avait été incapable de les protéger, comme il l'a été quand Adonis a disparu, et lorsque ses parents ont subi le même sort.
Après un moment, Andrew reprit légèrement conscience du monde qui l'entourait, et se rendit compte de la présence d'une rose blanche enracinée dans le sol, à l'emplacement où il était sensé trouver Yelena paisiblement endormie, en cette funèbre mâtiné de décembre. C'était sa fleure préféré, elle en portait toujours une dans ses cheveux lorsqu'il faisait beau. D'un geste violent, il arracha la plante et la serra de toute ses forces contre son cœur, sans se soucier des épines acérées qui déchiraient sa peau et pénétraient sa chaire, ni du sang qui coulait à flot, sous l'étreinte de sa douleur. Son cœur était brisé.
Le visage pâle comme la mort, inondé de larmes incontrôlables, atterré devant sa solitude, le garçon poussa un hurlement terrible, comme une bête qu'on égorge, et s'effondra sur le sol.
Le lendemain ou dix minutes plus tard, il reprit conscience, le soleil matinal s'élevait lentement dans le ciel, et la brume se dissipait lentement. Comme un pantin désarticulé, lâcha la fleur sans prendre le peine de retirer les épines profondément logées dans sa main, tourna le dos au lac et s'enfonça dans les profondeurs de la Forêt Sombre.
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Adonis et la Forêt Sombre
Mystère / ThrillerNoyé dans la lourde obscurité de la nuit, un jeune enfant trottinait joyeusement sur l'asphalte d'une route déserte. Le garçon avait l'habitude de s'absenter seul en pleine nuit pour observer les étoiles. C'était un rendez-vous quotidien qu'il avait...