« Pourquoi nos rêves ne pourraient-ils pas révéler des choses inaperçues ? Pourquoi ne pourraient-ils pas nous communiquer des messages que nous n'entendons pas à l'état de veille ? »
Je ne saurais dire précisément à quel moment je fus définitivement convaincu de l'existence d'une entité monstrueuse d'une nature inconnue. Peut-être ai-je toujours su qu'elle existait. Ou peut-être ai-je toujours résisté à admettre cette réalité. Notre premier contact n'était pas courant pour une rencontre. La chose ne se présenta pas à nous physiquement, mais métaphysiquement, dans nos rêves. Il était donc difficile d'admettre tout de suite que cette entité n'était pas que le fruit de notre panique, de notre peur, de notre imagination nourrit par l'effroyable récit de notre regretté compagnon. Je m'interroge sur ce préliminaire onirique. Si l'entité était apparue telle qu'elle dès le début, nous aurions, sans aucun doute, tous sombré instantanément dans la folie. Ce préliminaire onirique avait-il pour but caché d'épargner les plus solides d'entre nous ? L'entité avait-elle une volonté déterminée ? Ou n'était-ce qu'un effet passif de son approche ? Visait-elle quelqu'un ? S'adressait-elle à moi ? Cette dernière idée n'est-elle que l'effet naturel de l'égotisme ? Ces questions ont la grande qualité de n'offrir aucune perspective rassurante. Je préfère encore les laisser ouverte, car le début d'une réponse donnerait consistance à une imagination, et offrirait le début d'une compréhension à une immonde réalité blasphématrice qui insulte par sa seule existence tout ce que la science a pu affirmer jusqu'ici.
En m'efforçant de ne pas dormir, mon rêve commença dans un demi-sommeil. C'est un moment vaporeux où on se sent partir, sans l'être réellement. Ceux qui s'abandonnèrent entièrement au sommeil furent parfaitement sous l'emprise de la malédiction. J'en fus en partie préservé grâce à ma résistance. Ceux qui résistèrent comme moi ne furent pas autant épargnés. Il faut dire que la peur et la superstition les envahissaient. Je me sentais plutôt dans une attitude pragmatique.
Il est impossible pour moi de raconter précisément ce rêve qui sortait de l'ordinaire dans la mesure où il portait en lui plus que les simples lois oniriques habituelles. Non pas que je ne m'en souvienne. À l'oublier je ne puis me résoudre. Il est simplement impossible d'utiliser le langage commun, ni même une approximation imparfaite pour restituer la réalité de ce rêve. Mais il est de mon devoir d'essayer, même si mon interprétation, ma compréhension, et mon récit dénaturent la chose. Je ne peux pas ne pas le faire. Imaginez une voix sourde, profonde avec des relents aigus stridents semblant faire corps avec un râle grave et abyssale. Maintenant, imaginez que ce son indescriptible soit reçu en vous comme si c-eut été des paroles humaines signifiant des choses précises. Et que ces choses précises n'était pas l'essentiel du message. À la manière des hypnotiseurs qui détournent votre attention afin de mieux pénétrer votre inconscient. De manière intelligible, il me semblait recevoir quelque chose d'intelligible. Un décalage surprenant existait entre l'impératif donné et le contenu précis insufflé, et la confusion générale de cette communication. Comment peut-on susciter une telle détermination sans même se faire comprendre distinctement ? Je pourrais résumer mon impression en essayant de retranscrire un genre de discours : « Ô toi rêveur mortel qui t'éveille à l'essence des choses, libère ton instinct et ta rage, fais payer ceux qui t'offensent par leur seule existence en dévorant leur chair, puis rejoint mon royaume en t'enfonçant dans la pâte salée. Je t'offre ainsi un salut certain avant mon arrivée qui ne laissera derrière elle que folie et démesure. » Mon demi-sommeil me permis de résister à cet appel, mais j'en saisis la gravité, et je compris que j'allais devoir me battre pour sauver ma vie. Je sais que tous n'ont certainement pas été aussi précautionneux. Un sommeil profond les aura sans doute transformés à jamais en serviteurs de l'appel. Rien d'humain ne pourrait les retenir. Je devais trouver une arme contondante, ou une arme à feu. Je doute que mes talents en arts-martiaux suffisent face à un tel déchaînement. Il est étrange de faire une rencontre de ce type, sur un plan supra-physique et onirique, en réagissant par l'armement. Maintenant, il faut faire vite.
VOUS LISEZ
La Mer des Sargasses
FantasyIl n'y a plus rien. Pas de vague, pas de vent, pas d'étoile. La nuit noire de l'océan se resserre sur nous comme si nous étions des proies. Le silence, le néant, le vide. Même la mort devient ennuyeuse. Pour me sortir de cette angoisse, et pour sort...