dis moi que tout va bien

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L'obscurité l'enveloppait. De temps à autre, des éclairs blanchâtres venaient frapper sa silhouette souillée par la culpabilité. La musique trop forte atteignait ses tympans, déchirait ce qui lui restait en lui d'humanité. Sa respiration s'accéléra quand il franchit le pas de la porte. Fais comme si tout allait bien. Ces mots résonnaient dans la tête d'Oliver, tandis qu'il contemplait les corps dansants, agités et démembrés par le rythme soutenu des ondes sonores. Ses doigts tremblaient, et menaçaient de faire tomber le petit cadeau qu'il tenait entre ses mains. Il venait de passer le vestibule, et se retrouvait plongé dans l'atmosphère nocturne de l'intérieur de la maison. Le garçon repéra Emilia dans la foule et se rapprocha afin de saluer son amie.

— Joyeux anniversaire ! dit-il presque trop fort, surjouant son enthousiasme. Tiens, c'est pour toi, j'espère que ça te plaira, ajouta-t-il en lui tendant le petit paquet coloré.

— Oh merci beaucoup ! C'est très gentil d'être venu malgré tout ce que tu as dû endurer...

Le cœur du jeune homme s'arrêta un instant.

— Pa... Pardon ?

— Avec ton père, tout ça... Je ne sais pas si j'aurais eu la force de venir si j'étais à ta place.

Oliver avala sa salive. Bien sûr qu'Emilia n'était pas au courant pour ce qu'il s'était passé l'avant-veille. Cette dernière le regardait, plissant ses yeux comme si elle cherchait à lire ce qui lui passait par la tête.

— T'es sûr que ça va, Oli ?

— Oui, oui... J'ai juste besoin de respirer un coup.

Sur ces mots, le jeune homme sortit de la pièce et s'avança vers le balcon, où il serait plus tranquille pour réfléchir. Emilia sentait bien qu'Oliver était plus évasif que d'habitude. Mais elle n'insista pas, et laissa son ami qui avait visiblement besoin d'être seul. Dehors, la vue donnait sur l'océan, qui s'étendait à l'infini dans le lointain. Les yeux d'Oliver s'étaient noircis dans la pénombre. Le ciel, pourpré et violacé, semblait annoncer la fin du monde. Le souvenir du corps tombant de Samuel défilait sans fin dans l'esprit du jeune homme. Qu'avait-il fait ? Qu'était-il devenu ? Il s'assit, et laissa ses jambes se balancer dans le vide. Au loin, le chant des cigales se fit entendre.



Jeanne ouvrit le couvercle de sa machine à laver. Elle contempla un moment la veste beige qu'elle tenait dans les mains, regardant scrupuleusement chaque partie du vêtement. Puis, elle prit le reste de ses affaires et commença à les étendre, vêtement après vêtement. Ses yeux vides étaient cernés, et témoignaient de longues nuits passées sans dormir. Elle n'avait pas eu la force d'aller fêter l'anniversaire d'Emilia. Elle soupira, songeant à sa mère qui dormait à présent. Sa tête lui tournait, et elle dut s'asseoir sur le sol pour éviter de tomber. Elle se prit la tête dans les mains. Une larme glissa lentement sur sa joue, rendue invisible par la lumière électrique de la salle de bain.


Une voix surgit derrière Oliver. Il se retourna, laissant le bleu foncé de l'océan derrière lui. Emilia, à moitié saoule, était finalement venue le voir, intriguée par le manque d'énergie du garçon. Ils discutèrent un moment, de tout et de rien, comme ils l'avaient fait depuis toujours. Mais avant qu'Oliver ne puisse dire un mot, Emilia prit sa main et l'entraîna à l'intérieur, pour retrouver l'ambiance nébuleuse de la fête. Déboussolé, le jeune homme vida un verre au hasard et en prit un autre pour aller danser. Pendant un instant, il oublia ce qu'il avait fait l'avant-veille. Pendant un instant, il oublia le sang qui se trouvait sur ses mains.

Il dansa comme il n'avait jamais encore dansé auparavant. Autour de lui, la pièce tournait. L'univers entier semblait s'être arrêté. Les lumières l'aveuglaient. Le blanc, tranchant, lui rappelait les dents incroyablement propres de Samuel. Il continuait de bouger sa tête sur le rythme de la musique. Le rouge l'entourait, des flots et des flots de rouge qui se dispersaient sur le carrelage de la cuisine. Il continuait de sauter, entouré des siens qui étaient devenus comme étrangers. L'obscurité, le noir total, comme quand il s'était aperçu que la pupille de Samuel avait perdu tout éclat. Sa tête lui fit mal tout d'un coup.

Un geste un peu trop brusque lui fit renverser son verre sur la chemise de quelqu'un d'autre. Il devait agir comme si de rien n'était. Il se retourna extrêmement gêné et pria la personne de l'excuser. Il croisa alors le doux regard d'un garçon de son âge, qui avait les cheveux assez courts, très foncés qui contrastaient fortement avec les siens plus clairs, et légèrement bouclés. L'inconnu lui fit un sourire et s'approcha pour lui dire quelque chose à l'oreille.

— C'est rien, tu t'appelles comment ? cria-t-il presque pour se faire entendre.

— Oliver, et toi ? répondit celui-ci, content que l'inconnu ne lui en veuille pas pour sa maladresse.

Son interlocuteur lui indiqua par un signe de main de le suivre. Que faire ? Oliver jeta un coup d'œil à Emilia qui était en train de parler à l'une de ses amies, et finit par suivre le jeune homme jusque dans la cuisine où ils pourraient enfin s'entendre. C'est ce qu'il aurait fait en temps normal.


Jeanne était emmitouflée dans son lit quand elle entendit les coups à la porte, en bas. D'une violence inouïe, ils se répétaient et s'intensifiaient sur la porte en bois de chêne. La jeune femme enfila un t-shirt et descendit à toute vitesse les escaliers. Sa mère était déjà en bas, et ouvrit la porte d'entrée, agacée par le tambourinement incessant de l'inconnu.

— Qu'est ce que vous... commença-t-elle à vociférer quand elle s'aperçut que c'était deux policiers qui se tenaient face à elle.

Elle s'interrompit, perplexe. Derrière eux, le son strident des sirènes se fit soudain entendre. La lumière vive des gyrophares éclairait faiblement le salon, plongé dans le noir. Jeanne, à peine eut elle aperçu les deux policiers, dégaina son téléphone pour appeler Oliver.

— Que se passe-t-il ? demanda la mère de Jeanne, ayant repris son assurance.

— Le corps de Samuel Moreno vient d'être retrouvé dans la forêt. Et nous avons toute les raisons de penser que c'est votre fille qui l'a tué, ajouta-t-il en relevant sa tête vers Jeanne, qui était restée dans la pénombre.


— Je m'appelle Noah, tu... tu connais Emilia depuis longtemps ?

Oliver n'eut pas le temps de répondre à la question de sa nouvelle rencontre qu'il sentit son téléphone vibrer dans la poche de son pantalon. Il sourit nerveusement à sa nouvelle connaissance.

— Excuse-moi, je dois absolument la rappeler.

— Aucun problème.

Il s'éloigna un peu et remarqua alors que son amie avait essayé de l'appeler plus de six fois maintenant. Paniqué, il lui envoya un message pour savoir ce qu'il se passait.

—Dis moi que tout va bien.

Quelques secondes plus tard, la réponse qu'il reçut lui glaça le sang.





Jeanne effaça la conversation de son téléphone. Elle ne distinguait plus ce qui se passait autour d'elle. Sa mère pleurait, peut-être de tristesse, sûrement de honte. Un des policiers s'avança vers elle. La jeune femme sentit qu'il lui prit son poignet. Le cliquetis métallique des menottes résonna dans sa tête.

— Vous avez le droit de garder le silence. Si vous renoncez à ce droit, tout ce que vous direz pourra être et sera utilisé contre vous...

Au loin, un flot incompréhensible de voix et de sons. Le bleu étincelant de la sirène s'alternait avec l'hypnotique rouge. Elle ne résista pas quand elle se sentit entraîner dans la voiture. Elle entendit une portière claquer. Elle tourna la tête vers la vitre, comme pour chercher de l'aide, mais elle ne vit rien que l'obscurité qui l'entourait de toute parts.


—Ils ont retrouvé le corps...

Oliver ferma ses yeux. Une multitude d'images lui revinrent à l'esprit. Samuel, étalé sur le sol devant lui. La pluie battante. Le revolver qu'il tenait dans sa main. Le froid. La terre. Les traces rouges qui tapissaient le carrelage blanc. Le corps inerte de son ami. Il rouvrit ses yeux, baignés par la douleur. Il évita le regard de Noah, se dirigea vers l'évier en courant. La boule au ventre, il vomit, devant le regard indigné des personnes dans la pièce.

dis moi que tout va bienOù les histoires vivent. Découvrez maintenant