étoiles solitaires

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Emilia arpentait les grandes rues, désespérée de retrouver son ami. Il n'allait pas tarder à faire nuit et elle commençait à avoir froid, n'ayant qu'un léger t-shirt sur elle. Elle avait passé la soirée à le chercher. En effet, le garçon ne répondait pas à ses messages, ce qui n'était pas du tout dans ses habitudes. Elle était d'abord passée chez lui, mais personne n'avait semblé occuper la grande maison. Elle avait tout de même tenté de sonner au grand portail, mais aucune des grandes fenêtres plongées dans le noir ne s'étaient éclairées. La jeune femme s'était alors éloignée de la colline pour s'aventurer dans les quartiers résidentiels. Inquiète, ses pas l'avaient menée vers la plage, laquelle s'étendait sur tout le côté ouest de la ville.

Le sable doux sous ses pieds offrait un parfait soutien pour contempler la mer. Celle-ci, plus agitée que d'habitude, emprisonnait des vagues qui grandissaient et venaient frapper la côte dans un mélange d'écume et d'eau. Il faisait sombre, ce qui signifiait qu'Emilia devait rentrer chez elle, selon le couvre-feu imposé par ses parents. Elle resta cependant encore un peu, le soleil n'avait pas complètement disparu dans l'horizon et lui permettait de discerner des éclats cuivrés sur la surface de l'eau. Immobile et silencieuse, Emilia fixait un couple de mouettes qui s'était posé sur un rocher quand elle se résolut à rebrousser chemin. Sur la route du retour, au niveau du grand pont, l'adolescente remarqua tout d'un coup quelque chose d'étrange. Prise de panique, elle poussa un hurlement. Une silhouette qu'elle connaissait se trouvait de l'autre côté de la barrière, à deux doigts de sauter du pont.

Oliver était toujours debout, face au vide et les cheveux dans le vent, quand il entendit le cri strident derrière lui. Son amie se précipita vers lui et l'agrippa fermement en plaçant ses deux bras autour de la poitrine. Le cœur du garçon battait à tout rompre, et son dos était trempé de sueur. Emilia le tira de toutes ses forces au-dessus de la balustrade jusqu'à ce que le corps d'Oliver chute lourdement sur le trottoir. Il avait perdu connaissance, ce qui alarma d'autant plus la jeune fille.

— Oliver ? Tu m'entends ?

Sa voix tremblotante résonna dans le noir qui les entourait. Oliver ne répondait pas et restait inconscient, les yeux fermés. Une voiture passa et aveugla Emilia, sans pour autant s'arrêter et aider les deux jeunes gens. Elle vérifia le pouls de son ami et esquissa un sourire plein d'espoir quand elle sentit que le cœur d'Oliver battait encore. Une bouteille d'eau qu'elle avait au fond de son sac lui permit d'hydrater le jeune homme qui ouvrit les yeux péniblement, après quelques minutes d'effort. Sa vision était floue et il ne distingua pas tout de suite le visage plongé dans l'ombre de son amie. 

— Oliver, tu m'as fait une de ces peurs... dit cette dernière, à la fois apaisée et effrayée par ce qu'avait tenté de faire le jeune homme.

Elle réfléchit un instant et fronça les sourcils, songeant au sachet de drogue trouvé dans la chambre d'Oliver. Elle comprit vite que les yeux à moitié fermés du garçon n'étaient pas seulement un des effets de son malaise. Le corps du garçon était beaucoup trop chaud, et agité par de nombreux frissons. Il tourna sa tête vers elle et sourit d'un air niais. 

— Putain Oliver... T'es complètement défoncé...

Consternée, Emilia ne savait que faire. Elle n'avait plus de batterie, et elle ne pouvait emmener son ami dans cet état chez lui, ni même chez elle. Tant bien que mal, elle réussit à remettre Oliver sur pieds et bras dessus, bras dessous, ils commencèrent un long périple à travers la ville. A la seule lueur des lampadaires, ils passèrent devant le lycée et s'éloignèrent du centre-ville pour rejoindre la partie périphérique à l'intérieur des terres. Emilia avait totalement oublié le couvre-feu de ses parents, et n'avait qu'en tête le bien-être d'Oliver. Il arrivèrent dans un quartier pavillonnaire qui était composé de petites maisons blanches qu'on ne pouvait différencier, avec pour chacune un petit jardin, plus ou moins bien entretenu. L'air était imprégné par l'odeur de l'herbe mouillée, d'une fraîcheur qui fit du bien au mal de crâne d'Oliver. Les effets du cachet commençaient enfin à se dissiper, et les hallucinations qu'il subissait se faisaient de plus en plus rares. D'une voix rauque et chevrotante, le jeune homme prononça ses premiers mots depuis sa tentative de suicide. 

— Mer... Merci Emilia, je...

Il ne sut finir sa phrase et fondit en larmes. Comment avait-il pu ne serait-ce qu'envisager sauter de ce pont ? Il avait failli laisser Emilia et Jeanne seules sans même un adieu, sans aucune lettre pour expliquer ce qu'il ressentait. Si sa mère revenait un jour, il n'aurait pu avoir la chance de la revoir. Il s'en voulait d'être tombé aussi bas et de ne pas avoir réalisé plus tôt que certains tenaient beaucoup à lui. Emilia le réconforta du mieux qu'elle pouvait, lui disant que ni elle ni Jeanne n'avaient compris ce qu'il était en train de vivre. Chacun dans les bras de l'autre, ils laissèrent leur pudeur de côté pour exprimer une gratitude profonde et réciproque, ainsi qu'une lourde tristesse partagée.

— J'ai été trop con, réussit à articuler le garçon. Je n'aurais jamais dû... Tout est de ma faute, dès l'instant où j'ai touché à ce premier cachet, tout est parti en vrille.

— Tout... tout va bien maintenant, tu vas jeter toute cette merde, retourner chez toi et retrouver une vie normale, d'accord ? lui répondit-elle d'une voix apaisante, tout en le serrant dans ses bras.

Oliver recula d'un pas, effrayé par la seule évocation du lieu où il vivait.

— Non. Je... je ne veux pas y retourner.

Son ton avait brusquement changé. Emilia sentit une forme de peur dans sa voix, comme si quelque chose l'effrayait chez lui. Elle le rassura, lui disant qu'il n'était pas obligé d'y retourner tout de suite et qu'il pourrait passer un peu de temps chez elle. Mais elle lui demanda néanmoins des explications. Ils s'assirent donc sur un banc, dans un parc un peu plus loin et Oliver commença à lui raconter comment sa vie était devenue un enfer depuis le départ de sa mère. Il lui raconta tout, les insultes, les coups, la violence aussi bien physique que psychologique qu'il endurait ces deux dernières années.

— Oh mon dieu Oliver... Comment ai-je pu passer à côté de ça ? Je suis mais tellement désolée pour toi...

Elle ne savait pas quoi dire, elle ouvrait la bouche pour la refermer ensuite, comme si aucun mot ne pouvait décrire toute la peine qu'elle ressentait pour son ami. Ce dernier lui expliqua qu'il maquillait souvent sa peau pour cacher les traces de ses blessures, et qu'il ne portait pas des t-shirts à col roulé seulement parce que cela lui allait bien. Il était passé fin maître dans l'art de la dissimulation, ce qui pouvait expliquer que personne n'ait rien remarqué.

— Enfin, personne n'avait rien remarqué jusqu'à avant-hier...

— Comment ça ? demanda la jeune femme.

— Jeanne a aperçu mes blessures le jour où vous êtes passées à la maison. Elle a cru que c'était ma faute, et on s'est disputés. Je lui avais demandé de ne rien te dire, ajouta-t-il, voyant bien que le visage de son amie se décomposait.

Emilia n'en revenait pas. Comment Jeanne avait-elle pu lui cacher quelque chose d'aussi important alors qu'elles avaient passé la soirée ensemble ce jour-là ? Elle aurait dû le lui dire, qu'Oliver le veuille ou non. Elle soupira et passa son bras autour de l'épaule de son ami. Les deux se sentaient si seuls. Lui, n'avait su trouver de l'aide chez personne avant cette nuit. Quant à elle, elle venait de réaliser que ses deux amis lui mentaient si bien qu'elle n'y voyait à chaque fois que du feu. Cette nuit là, ni la lune ni les étoiles ne firent leur apparition, et les deux âmes solitaires restèrent dans le noir, l'une contre l'autre à se réconforter. En un sens, ils étaient les deux seuls à briller dans l'obscurité. 

De l'autre côté de la ville, dans une maison en plein centre, deux amoureux se prélassaient dans un lit et s'embrassaient tendrement. Cela faisait des jours que ceux-ci rêvaient de pouvoir être seuls pour enfin assouvir leurs désirs. Très vite, ils avaient enlevé leurs vêtements et s'étaient étreints, le corps de l'un contre l'autre pour ne former qu'un. Samuel dévorait des yeux le corps de sa bien-aimée. La peau du garçon était basanée, et recouverte de tatouages multicolores. Face à lui, la jeune femme avait un corps qui s'exemptait d'imperfections sous les yeux du garçon, qui trouvait que ses cheveux blonds s'accordaient merveilleusement bien avec  ses yeux d'un bleu profond. 

—Je t'aime tellement Jeanne, lui dit-il doucement au creux de son oreille.

Cette dernière lui répondit par un sourire pétillant.

dis moi que tout va bienOù les histoires vivent. Découvrez maintenant