« Alors, qui peut me donner la réponse ? Maureen peut-être ? Puisqu'elle a tant envie de parler. »
« Euh... 34,7 ? » répondit l'intéressée. Le prof soupira.
« Vous verrez ça avec Mr Boissec, ici, nous sommes en cours de français. »
Maureen baissa les yeux, rouge pivoine. Voulant s'échapper sous terre et disparaître.
« Je suis désolée », lui chuchota Charlotte.
Ce n'était pas vraiment de sa faute. Maureen lui avait seulement présenté ses condoléances puis s'était lancée dans un discours du style : « ne t'inquiète pas on est là, les amies c'est à la vie, à la mort... » Charlotte ne savait plus trop. Elle ne l'avait pas vraiment écoutée.
Nous étions vendredi, vendredi 13 pour être exacte. Grand retour au collège après une semaine d'absence. Personne ne s'en était rendu compte. Même les profs semblaient penser qu'elle avait été là et, quand elle leur demandait les cours afin de rattraper cette semaine d'absence ils répétaient : « Vous étiez absente ? Ah oui mais vous êtes calme, c'est pour ça qu'on ne sait pas si vous êtes là ou pas ». Ils riaient à leur propre blague puis se retenaient, voyant que Charlotte ne riait pas.
Le matin, ses amies s'étaient jetées sur elle. Léa lui répétait qu'elle allait aller mieux, que son père serait toujours là, en elle. Qu'il la protégerait, la surveillerait. Bref, tout les trucs qu'on lit dans les livres. Maureen n'avait pas l'expérience mais elle lui promettait d'être là, toujours.
« Eh Charlotte, tu nous écoute ? »
Non, Charlotte n'écoutait pas. Cela faisait une semaine qu'elle n'écoutait plus rien. Elle ne regardait plus rien non plus. Ses yeux se posaient sur les objets, les gens mais ne les voyaient pas. Son regard passait à travers. Elle était dans un brouillard épais et constant. Elle parlait mais oubliait aussitôt ce qu'elle avait dit.
Elle avait passé l'étape du choc. Le soir suivant l'annonce, elle était restée assise dans son salon. N'avait pas pleuré. Pas bougé. Pas mangé. Pas dormi. Le samedi, elle avait pleuré toutes les larmes de son corps, sans s'arrêter. Elle avait sorti le paquet de somnifères de sa mère, prit une vingtaine de comprimés, les avait alignés mais n'avait pu les avaler. Le dimanche, Déni s'était confortablement installé au creux de son cœur et elle avait écrit sa première lettre. Depuis, Déni était encore là bien encré et l'empêchait de reconnaître la réalité. Même à l'enterrement, elle avait eu du mal à y croire. Elle n'y croyait qu'a moitié. Pour elle, il était là, quelque part.
Élodie avait connu un tout autre parcours. Le weekend de l'annonce, elle avait pleuré, crié, dit aux policiers que ce n'était pas vrai, pas possible. Le déni. Lundi, Charlotte avait retrouvé sa mère évanouie dans l'escalier, une bouteille à la main. Le choc. Depuis, Élodie semblait être dans une étape d'oubli, de douleur et de culpabilité. Elle buvait et se saoulait pour oublier. Oublier la réalité. Oublier sa fille. Oublier son défunt mari. Oublier son rôle de mère, qu'elle n'avait jamais vraiment rempli d'ailleurs.
*
Vendredi 13 Septembre
Cher papa,
Une semaine, ça fait une semaine. Une semaine que le mauvais sort s'est abattu sur notre maison. C'est passé vite, ou lentement, je ne sais plus. Le temps s'est arrêté à vendredi 6 Septembre, 20h07. Heure de l'annonce.
Léa m'a raconté les étapes du deuil. Elle m'a raconté les moments de solitude, de tristesse, de colère... Elle avait 11 ans. J'en ai 16. Je suis censée avoir moins besoin de mes parents. Etre en crise d'adolescence, vouloir leur disparition, leur faire comprendre à quel point ils me tapent sur les nerfs. Je ne peux pas.
Je me rappelle qu'en 3eme, suite à une dispute parce que tu ne voulais pas me laisser sortir au cinéma avec Maureen et Léa, j'avais claqué la porte et crié :
« De toute façon, tu ne comprends jamais rien ! Tu ne sers à rien ! Tu me saoules ! »
Tu ne peux pas savoir comme je regrette maintenant. Si tu étais devant moi je te dirais à quel point tu étais le seul à me comprendre quand je m'enfermais dans ma chambre avec une barre de chocolat. A quel point tes mots de réconforts et nos « Weekends Gastronomiques » m'aidaient à ne pas sombrer plus profond. Tu étais mon oxygène, ma bouée quand maman faisait comme si je n'existais pas.
Je suis désolée d'être aussi triste. Je m'étais promis de ne pas rendre les choses pires qu'elles ne le sont déjà.
A la maison, tout va bien. Enfin, du mieux possible. Maman reste seule dans sa chambre et je comprends. Elle sort de temps en temps pour manger quelque chose. Je fais à manger. Des recettes que tu m'as apprises.
Un jour, il faudra déménager, je le sais. Maman ne pourra plus payer la location toute seule. J'espère que ce n'est pas bientôt. Je ne suis pas prête à laisser ta maison à quelqu'un d'autre. Maman non plus je crois.
Merci d'être là.
Love,
Charlie.
*
La deuxième lettre suivit la première, dans la boîte, sous la latte. Charlotte avait encore menti à son père. Elle ne cuisinait pas. De toute façon, elle ne mangeait presque pas non plus. Cela faisait une semaine que Charlotte et sa mère partageaient la même pizza.
Charlotte avait écrit à son père qu'elle n'était pas prête à déménager. C'était vrai. D'un côté, pour elle cette maison représentait le temps ou ils étaient trois. Quitter ce lieu voudrait dire abandonner une partie de son père et les souvenirs qui vont avec. D'un autre côté, se rappeler son père en permanence l'empêchait d'avancer dans ce temps ou ils n'étaient plus que deux.
La nuit vint poser son doux manteau sur la maison de Charlotte. Assise à son bureau, elle regardait le ciel et se demandait si, quelque part, dans l'immensité du ciel son père la regardait et pensait à elle. Une semaine après l'annonce, Déni avait plié bagages et laissé place à Douleur et Culpabilité.
Douleur semblait broyer son cœur dès que Charlotte se rappelait son père. Comme si Elle voulait essorer les gouttes de mémoires qui lui restaient. Culpabilité lui avait émis l'idée que c'était peut-être de sa faute. Si son père avait foncé dans le camion, c'était parce qu'il était fatigué. C'est Charlotte qui l'avait fatigué à cause de ses caprices d'enfant gâtée. C'était à cause d'elle qu'il allait travailler 12h par jour. Culpabilité et Douleur, voilà ses deux nouveaux colocataires.
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Love, Charlotte
Teen FictionCharlotte Green vient de perdre son père et, avec lui, une partie d'elle-même. C'est grâce à des lettres qu'elle lui adresse qu'elle va se reconstruire... mais pas que. Plusieurs changements dans sa vie vont l'amener à se découvrir et redécouvrir le...