Chapitre 2

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Dimanche 8 Septembre

Cher papa,

Tu me manques beaucoup, déjà. Vendredi soir, maman et moi n'avons pas dormi de la nuit. Elle pleurait en serrant fort votre photo de mariage et je pensais à toi. Il ne faut pas que je t'oublie afin que tu restes vivant quelque part.

Nous étions dans le salon quand la police est arrivée. Nous finissions de préparer les affaires pour partir en weekend. Nous savions que ton travail t'épuisait et voulions t'offrir du repos. Le camping se trouvait à trois heures de la maison, près de la mer Méditerranée. Nous avions prévu le soleil. C'est un orage qui s'est pourtant abattu sur la maison.

On nous a dit que tu avais glissé à cause de la pluie sur la chaussée. Que tu étais rentré dans un camion. Que le chauffeur du camion n'est pas mort. Pourquoi ? Pourquoi lui ? Pourquoi toi ?

La pluie n'arrête pas de tomber depuis vendredi soir. Dehors et sur les joues de maman. La grisaille et l'orage ont envahies nos cœurs et nos esprits. La nature est là pour nous rappeler que ce n'est pas joyeux, la mort.

J'ai fait des pancakes ce matin. Ceux avec les pépites de chocolats. Je voulais me rappeler nos « Weekends Gastronomiques » de mes années primaires. Ils avaient le goût du deuil et de la pluie alors je les ai jetés.

C'est bizarre de parler de toi au passé. Je n'arrive pas vraiment à me rendre compte de ce qui arrive. Pour moi tu n'es pas mort. Tu as seulement disparu. C'est sûrement pour ça que je n'ai pleuré qu'hier.

On va t'enterrer Jeudi. Tout le monde sera là. La voisine et son chien extraterrestre, et tes parents, ceux qui ne se sont jamais occupés de toi auparavant. Faut-il que la personne disparaisse pour qu'on se rappelle à quel point on tenait à elle ?

Love, 

Charlie.

*

Charlotte plia la lettre. La mit dans l'enveloppe. Ferma cette dernière et y mit un timbre. Elle posa ensuite la lettre dans une boîte qu'elle rangea sous la latte cassée de son plancher. Celle qui se soulève et où elle range tous ses secrets.

Elle n'avait pas dit à son père que sa mère s'était remise à boire. Ni qu'elle avait longtemps regardé la boîte médicaments sans parvenir à en avaler. Elle ne lui dirait rien de tout cela. On ne peut pas vouloir mourir quand on est vivant. Ce n'est pas juste pour les morts qui voulaient vivre. D'ailleurs, elle ne sait pas si son père voulait vivre. Ils parlaient beaucoup mais pas de ça.

Il y a des sujets que l'on aborde pas avec ses proches. La mort par exemple. Charlotte se dit qu'elle aurait du. Elle aurait voulu savoir si son père voulait mourir ou non. Et si c'était normal qu'elle ai eu de plus en plus envie, elle qui avait déjà si envie avant. Malgré ses amies, Charlotte avait envie de disparaître, comme son père.

*

Le Jeudi 12 Septembre eu lieu l'enterrement du père de Charlotte. Jonathan Green. Tout le monde était là, comme l'avait prédit Charlotte dans sa première lettre. La voisine et son chien venu de l'espace, la famille Green, ainsi que des amis, des collègues et son patron.

Charlotte observait ce monde depuis la fenêtre de sa chambre. La plupart des gens, elle ne les connaissait pas. Ils étaient tous habillés de noirs et affichaient des mines sombres et tristes. Plusieurs groupes s'étaient formés. Les collègues et le patron de chantier, les amis d'enfance qui se connaissaient, les nouveaux amis et la voisine qui faisaient connaissance. Sa mère jonglait d'un groupe à l'autre. Elle avait fait un effort. Elle n'avait pas bu depuis le matin et son teint semblait plus frais. Ce n'était qu'une façade. Le manque d'alcool et la fatigue la minaient de l'intérieur. Elle allait bientôt sombrer. A part, Charlotte remarqua ses grands-parents.

Elle n'avait vu les parents de son père que deux fois dans sa vie. Pour sa naissance et pour le mariage de ses parents. Ils ne s'étaient pas beaucoup occupé de leur fils et avaient préféré faire de même pour leur petite-fille. C'étaient des gens aisés qui passaient leur temps aux quatre coins du monde dans des hôtels sur-étoilés pour critiquer le mode de vie des locaux. Ils avaient mieux à faire que de s'occuper d'une enfant et Charlotte n'avait jamais demandé à les voir. A l'enterrement, ils regardaient le monde de haut, se sentant supérieurs. Charlotte sut alors que c'était la dernière fois qu'elle les verrait.

La « fête » dans le jardin dura une heure, le temps que tout le monde arrive. Élodie s'était remise à boire. Heureusement, l'église était à cinq minutes à pieds. Le convoi se mit en route, lentement. Charlotte dut sortir de sa chambre, à contrecœur. Elle ne voulait voir personne. Ces gens la dégoutaient. Ils pleuraient alors que la plupart ne le voyaient qu'une fois par an. C'était son père ! Qui sinon elle avait le droit de pleurer ? Ils étaient tous hypocrites.

Charlotte se fit discrète. Ce n'était pas compliqué. Personne ne voulait savoir où elle était. Personne ne faisait attention à elle, même pas sa propre mère. Élodie ne s'est jamais vraiment occupée de sa fille. C'est sur internet que Charlotte a appris ce qu'étaient les règles. Charlotte n'avait pas été désirée. C'était une « erreur » pour sa mère. Elle avait commencé à beaucoup manger pour combler le vide maternel. Elle devait avoir sept ans. Depuis elle est grosse et sa mère la méprise encore plus.

Arrivé à l'église, tout le monde s'installa. La cérémonie dura deux heures mais Charlotte n'écoutait pas. Elle regardait le cercueil et pensait à la mort. La sienne. Elle y avait déjà beaucoup pensé. Même avant la mort de son père. Mais là, maintenant qu'il était parti, qui y-avait-t-il pour la maintenir vivante ? Ses amies ? Oui, peut-être mais finalement, quand elle y réfléchissait, Charlotte se rendait compte que ni Maureen, ni Léa  n'avait remarqué sa peine. Et ça, ça lui faisait peur.

Love, CharlotteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant