Prologue

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PROLOGUE

 

 

     Je me suis levé du pied gauche ce matin. Barbouillé, nauséeux. Et passablement énervé. Je prends donc une douche rapide et m’habille en vitesse avant de rejoindre ma mère dans la cuisine. Le frigo prépare mon petit déjeuner et je l’engloutis sans perdre de temps. Je n’ai jamais compris comment fonctionnent ces machines mais peu importe. Chaque matin, le frigo sait si je suis de bonne ou de mauvaise humeur et me sert en conséquence. Il ne pose pas de questions et je ne m’en porte pas plus mal. Après avoir retrouvé un peu d’humeur, j’enfile une paire de chaussures et prends la porte.

     -Où vas-tu ? s’enquit ma mère.

     -Me balader.

     Elle n’a pas besoin d’en savoir plus.

     -N’oublies pas ton entretien avec le professeur, ajoute-t-elle derrière moi avant que je ne referme la porte.

     Ca, je ne risque pas de l’oublier. J’ai rendez-vous avec le professeur une fois par semaine et ma mère ne rate pas une occasion de me le rappeler. La plupart du temps, je m’y rends sans broncher sauf que cette fois, je n’ai vraiment pas envie d’y aller. Je n’ai guère apprécié la dernière conversation que l’on a eu tous les deux, pas plus tard qu’hier soir.

     Affalé dans l’herbe d’une zone verte, je regarde le ciel qui plane au-dessus de ma tête. Les zones vertes sont les seuls endroits de ce globe où l’on peut encore voir le vrai ciel. Partout ailleurs, on a l’impression de le voir mais c’est l’image renvoyée par des parasols en orbites que l’on voit. Pas le vrai ciel. Ca ne fait pas de différence pour beaucoup d’entre nous mais moi, j’y porte attention. Je ne sais pas pourquoi mais j’ai toujours aimé le bleu. Et le bleu du vrai ciel n’a rien à voir avec ces foutus parasols. Bon, j’admets qu’ils nous ont bien aidés à survivre au réchauffement climatique mais j’ai l’impression de vivre dans un monde artificiel, créé de toutes pièces. Il n’y a que dans ces zones vertes que je n’ai pas l’impression d’étouffer. Ici, la nature reprend ses droits sur quelques hectares, jusqu’à la prochaine zone verte, quelques kilomètres plus loin.

     Le reste de cette planète est froid, malgré les plantes vertes qui florissent un peu partout. Des tours terrassées jaillissent de terre ici et là pour s’élever jusqu’à plusieurs centaines de mètres dans les airs. Façades en verre et murs végétaux donnent l’illusion d’un monde en phase avec une nature que l’homme a longtemps négligée. C’est pour ça que l’Homme a mit des parasols dans le ciel et entretenu quelques dernières zones originelles, dans une tentative désespérée de conserver le peu qu’il lui restait.

     Je me mets alors à rêver de que devait être la Terre autrefois. Je m’imagine ce monde, hétérogène de nature et d’humanité, riche de toute beauté. Les anciens pensaient avoir beaucoup perdu de toutes ses guerres et de tous ses désastres, et ils avaient raison. Mais ils ne se rendaient pas compte qu’ils avaient encore tellement à perdre. Nous, nous avons vraiment tout perdu. Et maintenant, nous essayons ne nous reconstruire, de nous émanciper de ce passé pour pouvoir se construire un futur qui n’aurait pas pour seul sens le mot survie. Un futur où nous pourrions profiter de la vie sans craindre le lendemain.

     Je m’imagine aussi ces villes, grouillant de gens, se détestant tous autant qu’ils s’aimaient. Ces gens courant après les heures et les minutes, voulant aller toujours plus loin, toujours plus vite. Tous tellement ambitieux qu’ils s’en marchaient dessus tout en se baisant les pieds. Je les imagine courant dans n’importe quelle direction, par n’importe quels moyens, tant qu’ils y trouvaient un but. Peu leur importait si la voie n’était pas la bonne, ils auraient tout le temps d’en changer s’ils étaient suffisamment rapides. Il fallait prendre le temps de vivre mais vivre vite car la vie était courte. En fait, leur vie était faite de paradoxes, cette même chair qui faisait les hommes et qui leur procurait une certaine complaisance dans une routine qui pourtant les effrayait.

Eclats d'âmesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant