Chapitre 1: Sujet n°1

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Chapitre 1

Sujet n°1

 

 

     « Celui qui est maître de l’éducation peut changer la face du monde », Leibniz.

     Vautrée sur ma chaise, je regarde par la fenêtre, attendant impatiemment que le cours se termine. Dehors, la forêt me tend les bras. En moi, une petite voix me supplie de m’évader, de courir vers cette aquarelle de verdure et de ne plus jamais m’arrêter, de ne plus jamais rentrer. Mais une plus grosse voix encore vient briser cette utopie :

     -Joy ! Une idée de la réponse à ma question ?

     Mme Smith me toise avec froideur et mépris. C’est une femme encore jeune qui se donne un caractère plus dur qu’il ne l’est en réalité. D’ailleurs, tout le monde ici se fait passer pour ce qu’il n’est pas.

     -Comment faire la différence entre le réel et le virtuel ? insiste-t-elle en voyant que je ne réponds pas.

     Tous les lundi après-midi nous avons droit au cours de multimédia. Il est supposé nous apprendre à maîtriser les limites entre la réalité et le monde virtuel. La technologie est tellement développée et les jeux-vidéo si réalistes que même la douleur semble réelle. Et il n’y a qu’un moyen de ne pas s’y perdre.

     -Le virtuel obéit alors que la réalité résiste, grommelé-je.

     -Par exemple ? continue-t-elle, désireuse de me coincer.

     -Essayez de faire quelque chose que vous n’auriez jamais pu faire en temps normal. Si ça vous est soudainement possible, alors vous êtes dans le faux.

     Le professeur me toise un instant et dans son regard, je devine sa déception. Elle retourne à l’avant de la salle et s’adresse au groupe :

     -Et c’est pour ça qu’il est tentant de se laisser aller dans un monde virtuel qui ouvre les portes de tous les possibles. L’essentiel est de ne pas se perdre. Posez-vous les bonnes questions, des questions auxquelles seule la réalité peut répondre.

     Sur ces bonnes paroles, Mme Smith nous autorise à sortir de classe. Aujourd’hui est un jour spécial et personne ne pourrait l’oublier. Sur les portes et les murs vitrés du bâtiment apparaissent des messages à chacun de nos déplacements : « 23 mars, 13h, présence obligatoire au réfectoire ». Impossible d’y échapper. Même mon IP, le portable intégré que j’ai dans le bras, m’envoie une courte décharge pour me rappeler qu’il est l’heure.

     Je suis donc le mouvement et arpente les couloirs interminables de l’aile d’apprentissage pour rejoindre l’aile de rassemblement, un peu en contrebas. Mon regard se tourne un instant vers l’extérieur et ma déception s’accroît quand je vois la forêt s’éloigner à mesure que j’avance. En bas des escaliers, par-delà la façade vitrée du réfectoire, c’est la mer noire. Le littoral russe est magnifique, c’est indéniable, mais je n’aime pas particulièrement l’eau.

     Je passe dans un portique qui vérifie mon identité avant de cocher la case qui se trouve devant mon nom. Au loin, dans le coin de la salle où nous avons pris l’habitude de manger, j’aperçois Jake qui semble m’attendre. Il est le meilleur ami que j’ai ici. Lorsque j’ai été envoyée dans ce camp il y a trois ans, il a été l’un des seuls à ne pas me juger. Il se moque de ce que j’ai pu faire pour atterrir ici et il ne l’a même jamais demandé. Il ne pose pas de questions, il se contente d’écouter. De ce fait, il est l’une des deux personnes à qui je dis à peu près tout. L’autre étant mon tuteur, Dan Colmann.

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