Enquête au bayou

62 7 3
                                    

— La fortune sourit à ceux qui ont le courage ou la stupidité de la prendre aux audacieux!
Ce vieux cachalot moisie, avec ses quatre bouteilles de rhum vides posées sur le comptoir devant lui, n'arrêtait pas de parler.

Quelle plaie. Moi qui était venu dans cette petite taverne du Bayou de Risiek pour être discret... C'était mal parti. Je réajustai mon tricorne et l'abaissai le plus possible sur mes yeux, car je savais très bien que si, par mégarde, on me reconnaissait, je devrai piquer un sprint et j'en avais pas vraiment envie.

Je prenais donc sur moi. Tapant du pied au rythme de la musique, observant attentivement chaque personne dans la salle.
Avec mon large manteau marron déchiré, mon pantalon de toile serré par une ceinture de cuir, et mes grandes bottes noires, on aurait dit un simple bougre à la recherche d'un navire et d'un équipage pour une aventure mystique et lointaine. Mais dans ce patelin, il était préférable qu'on me considère comme un renégat plutôt qu'un Nécromancien.

Le bayou de Risiek est un petit village enfoncé dans un marais tropical non loin de Port Moirell situé sur la côte à quelques kilomètres. Les autorités de la Marine de Port Moirell savaient très bien que le Bayou grouillait de brigands et autres crapules mais ces derniers temps les effectifs de la Marine étaient surtout réquisitionnés pour maintenir les Drych à distance des îles colonisées. Une nouvelle guerre se préparait, et ces autochtones organisaient de nouveaux des raids aux quatre coins de l'archipel. Cela faisait des années que ces Hommes-Grenouilles n'avaient pas montrés le bout de leur nez alors tout le monde s'attendait à une implosion soudaine.

N'importe où, n'importe quand ; Tout pouvait partir en vrille à la moindre erreur, comme ici, au fin fond de cette taverne animée. Mes yeux sautaient d'un vieil ivrogne accoudé au bar, à une demoiselle en robe rose à fleurs blanches tournoyant au milieu de l'armée de danseurs endiablés et légèrement éméchés au centre de la pièce.
Puis mon regard s'arrêta sur une personne encapuchonnée assise à une table discrète de l'autre côté de la salle. Assis moi-même dans un coin sombre avec une simple bougie sur ma table, il me parut bien étrange que l'on m'observe ainsi...
Ce duel de regards dura environ 30 secondes, ses yeux filtraient un reflet vert malgré l'obscurité.

Quelqu'un vint soudain s'assoir à ma table ; Il portait une simple chemise blanche, et un pantalon de toile noire d'où pendait un sabre rouillé.
Lorsqu'il approcha son visage de ma bougie, je pus remarquer son air sévère. Ses yeux sombres, dont l'un était barré d'une large cicatrice mal refermée. Sa moustache grisonnante s'étendait d'une joue à l'autre, et ses cheveux de la même teinte s'étiraient comme des palmiers desséchés sur son crâne.

— C'est pas l'bon endroit pour quelqu'un com' toi, me dit-il dans un souffle rauque, t'ignore ç'que tu risques?
Son haleine était horrible ; Un mélange d'alcool et de poisson.
Pensant déjà à une issue de secours, je repris une gorgée de mon rhum et répondis:

— Et toi? Tu sais ce que tu risques à me menacer?
Il recula son visage de la petite flamme, et son sourire disparu sous sa moustache. Sa main glissa doucement sur la poignée de son sabre. Sans attendre, je sortis rapidement mon pistolet de son holster sur mon torse, et posa le canon sur le bord de la table, droit vers le visage de cet imbécile. Il eut un léger mouvement de panique, et reposa ses deux mains à plat sur la table avant de ricaner.
— Tu vas attirer tous les templiers du bayou et peut être même ceux de Port Moirell avec ça.
— Au moins je débarrasserais l'archipel d'une ordure, la Marine me récompensera peut être si je leur apporte ta tête.
Son visage devint pâle.

Je risquai un regard autour de nous.
Tout semblait normal ; le vieil ivrogne au bar continuait de boire, la demoiselle en robe dansait toujours, et l'inconnue qui me fixait avait disparu...
Je me penchai donc vers l'intrus à ma table, laissant la bougie éclairer mon visage sévère.
— Tu as de la chance, je suis ici pour affaire. Répond à une ou deux questions et j'essayerais de pas tâcher ta chemise.
— Quelles questions? me dit-il en essuyant lentement une goutte de sueur de son front ridé.

ArtefactOù les histoires vivent. Découvrez maintenant