Patronus

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Gellert ne se souvenait pas que Nurmengard était un lieu aussi froid.

Notez, il était dans les cachots. Ce n'étaient pas les lieux les plus réputés pour leur confort. 

Le mage noir laissa sa tête reposer contre le mur de pierre. Extérieurement, il était aussi immobile qu'une statue. Toujours, toujours maintenir les apparences. Ne rien laisser transparaître, cela pourrait donner un avantage à l'adversaire.

Mais il était seul. Et brisé.

Alors, qu'est-ce que ça pouvait bien faire s'il hurlait sa colère?

La bouche du blond se crispa, mais resta close. Maintenir les apparences. C'était tout ce qui lui restait.

Il avait perdu. Tout perdu. 

La guerre.

Ses partisans.

Le pacte de sang.

Albus.

Sa baguette.

Sa dignité.

Il avait tout, un Obscurial, la baguette de Sureau, l'armée. Pourtant, il avait été vaincu par un seul homme qui n'avait presque personne pour le soutenir, un seul homme qui crevait d'amour, un seul homme terré dans une école...

La rage submergea Gellert. Il ne bougea pas, mais sa magie envoya valser son écuelle d'eau. Le rappel du son ne fit qu'attiser sa rage. Que pensaient-ils, à le traiter comme un chien?

Il tenta de calmer sa respiration inégale. Cela ne servait à rien. Personne ne viendrait plus. Son temps était fini, il avait mal joué ses cartes.

Mais quand, quand?

La question l'obsédait. Il avait tout, mais il avait perdu. Pourquoi? Où cela avait-il dérapé?

Incapable de rester plus longtemps immobile, il se leva et se mis à faire les cent pas. 

Le temps s'écoulait, dehors. Gellert n'avait même pas commencé le fameux calendrier des prisonniers. A quoi bon? Compter les années écoulées dans ce trou pourri, compter les années de sa défaite?

La colère le rongeait.

C'était une vieille connaissance, la colère. Elle avait élu domicile dans sa poitrine alors qu'il n'avait que huit ans. L'âge où sa mère était morte, et où elle lui avait transmis son don de Vue.

Depuis, elle n'avait cessé de lui murmurer ses paroles empoisonnées à l'oreille, à lui pointer du doigt toutes les injustices du monde, en lui susurrant qu'il ne pourrait rien y faire. 

Il s'était révolté. Il avait perdu.

Parfois, il avait le sentiment de n'être rien de plus qu'une immense boule de fureur, un peu comme un Obscurial. Il avait appris à ne rien montrer. Ne rien laisser filtrer. Maintenir les apparences. Mais quand les gens regardaient dans ses yeux, ils avaient peur. Gellert ne pouvait pas contrôler le feu de son regard. 

Les jours passaient, et sa colère grandissait. 

Il était prisonnier. Vaincu par un homme pétri d'amour pour lui. Gellert le voyait comme une humiliation.

Dumbledore...

C'était sans doute la plus grande source de colère. Une cible facile, Gellert en avait conscience. Il s'en moquait.

Il détestait Dumbledore. Parce qu'il l'avait aimé, un jour. Parce qu'il avait cru à ses douces promesses, et qu'il avait perdu son cœur. Il ne restait de lui plus qu'une carcasse refroidie par le temps et la solitude. Seule la colère l'animait. 

Il détestait Dumbledore, parce qu'il ne pouvait s'empêcher de le respecter, de lire ses dernières publications, de reconnaître son talent. Parce que Dumbledore était plus fort que lui. A tous les niveaux. 

Et surtout, Gellert Grindelwald détestait Dumbledore, parce qu'il avait changé la forme de son Patronus.

Un patronus, un excellent moyen de révéler l'âme du sorcier qui jetait le sort. Le patronus du professeur était un phénix, une créature à laquelle il avait toujours accordé beaucoup d'importance. Celui de Gellert était un dragon. Majestueux, magnifique.

Mais depuis cet été de 1899, ce n'était plus un dragon qui combattait les ténèbres. C'était un phénix.

Gellert essayait, vraiment. Il avait fait tout son possible pour se prouver que ce n'était pas possible, que le phénix avait disparu, que ce n'était rien...

Le phénix était resté, envers et contre tout.

Et cela, c'était la honte secrète de Grindelwald. La chose la plus intime que personne ne comprendrait, la faiblesse la plus visible et la plus douloureuse. Parfois, quand il se savait seul et qu'il n'en pouvait plus, incapable de supporter plus longtemps ce trou affreux dans la poitrine, il faisait apparaître le phénix argenté. Il pouvait rester des heures à le regarder voler. A chaque fois, il se disait que cela serait la dernière fois. A chaque fois, il recommençait. 

Insupportable.

Et à présent, il n'avait même plus ce réconfort.

Et les jours et les nuits se suivaient, ballet monotone, et il ne voyait personne, s'étouffait dans sa rancœur silencieuse.

Parfois, il hurlait. Longtemps, comme un loup ou un fou. Il hurlait à s'en rendre sourd, à s'en briser les cordes vocales, à s'en faire pleurer. Il évacuait sa colère, qui se réduisait à un feu facilement contrôlable, et il attendait de nouveau.

Il attendait sa venue. Il allait forcément venir, à un moment ou à un autre.

Dumbledore n'est pas venu.

Les fleurs de montagne ont poussé, les unes après les autres. Même s'il ne comptait pas les jours, Gellert savait que c'étaient l'été.

Il avait été emprisonné le trois mars.

Les feuilles de l'unique arbre que le mage noir pouvait voir de sa fenêtre ont roussi, se sont flétries. Elles sont tombées, et Gellert essaya de ne pas songer à leur teinte d'un roux sombre trop reconnaissable.

La solitude commençait sérieusement à lui peser.

Puis la neige est venue. Pas Dumbledore.

Des heures durant, Gellert repassait dans son esprit les phrases qui blesseraient le professeur si estimé, qui briseraient sa carapace de mensonges pour exposer son cœur vulnérable.

Il attendait. Parce qu'Albus allait venir, il le savait.

Les feuilles ont bourgeonné. Sont tombées. Encore et encore.

Albus n'est pas venu.

Grindeldore One ShotOù les histoires vivent. Découvrez maintenant