"Eh ... mais en fait.... quand et comment tu as su que tu n'étais pas un garçon ?"
C'est une question que malheureusement j'ai beaucoup rencontré...Quelques fois, on hésite à me la poser, mais je détecte rapidement la curiosité dans le regard de mes interlocuteurs. La question est plutôt étrange, quand on y pense. Imaginez si l'on pose cette question à une personne cis.... "Toi comment t'a su que tu étais bien du genre que l'on t'a assigné à la naissance ?" Cette personne vous regardera très certainement d'une étrange manière. Pour elle, son ressenti est imperceptible, inné et acquis. Si à ce niveau, vous intégrez l'information assez rapidement, vous arriverez tout autant à faire de même avec une personne trans. Son ressenti intérieur s'est peut-être affiné avec le temps (et avec un possible retard, mais nous en reparlerons plus tard), mais il reste le même. Mais bon, vu que nous sommes ici pour parler, je dois le faire. Préparez vos valises, vos habits, vos pyjamas, vos mouchoirs, vos pop-corn, tout ce que vous voulez... Embarquez sur votre canapé, mettez-vous à votre aise pour un voyage dans le temps avec moi. Revenons treize ans en arrière, en 2007. J'allais sur mes six ans, comme je l'avais précisé un peu avant, j'avais une des enfances des plus normale, à un détail près. C'est à cet âge, que je commence à ressentir un malaise. C'est dans des moments de solitude, plongés dans la prise d'habitude que le doute s'installe en moi. J'arrive à déceler assez facilement que quelque chose cloche avec mon corps. Je sens un étrange vide, une légère angoisse. Ce corps, celui d'un jeune enfant de six ans n'est pas le mien. Je panique, je ne comprends pas ce qui m'arrive. Je sors de la salle de bain, en larmes, courant me réfugier dans ma chambre. La peur, et l'incompréhension, voilà ce que j'ai connu pendant plusieurs semaines. À chaque bain, je n'osais regarder mon reflet. Chaque minute, j'étais angoissée. Beaucoup plus déconcertant, je n'avais aucun mot pour décrire mon mal être. C'est la nuit, pendant mes rêves que j'essayais au mieux de comprendre ce qu'il se passait. Des longues nuits, où je ne pouvais m'empêcher de visualiser mon esprit comme une immense étoile, une supergéante même, mourante, et commençant à convulser. Une nuit, j'ai vu cette étoile exploser en un claquement de doigt, divisant cette dernière en deux. Quelque chose venait de naître, quelque chose de mystérieux et que je ne pouvais décrire. Au fil des mois, je ne la voyais plus dans mes rêves, et je ressentais plus cette peur. C'était peut-être qu'une phase après tout, pensai-je. Qu'est-ce j'étais naïve ! Idiote en plus ! Pour repréciser, au cas où les gens au fond n'aurait pas compris, ce n'est absolument pas une phase. Personnellement, ce n'est que plusieurs années plus tard que je l'ai compris. 2012, j'avais 10 ans. Et une nuit encore, je revois les étoiles. Cette fois ci, ma vision est un peu plus claire, j'arrive à distinguer chaque étoile, l'une est orange et l'autre est violette. A cet âge, j'ai un peu plus de vocabulaire dans mes connaissances. Je mets enfin un mot, enfin plutôt une phrase sur cela : "Je ne suis pas un garçon". J'avais très peur de cette phrase, je ne pouvais m'imaginer à quoi cela conduirait. C'est ce qu'on appelle les dégâts du manque de vocabulaire. Noyée dans la peur de ce que je ne connaissais pas, dans le début de vague compréhension. La seule alternative qui s'offrait à moi, en attendant de trouver le véritable sens, était le silence. Je me suis tu, et j'ai essayée d'oublier. Encore une fois, je pensais que l'oubli forcé était le meilleur remède, tel il y a quatre ans. Ça a fait son effet, pendant encore quelques petites années, mais c'est très vite revenu.
Retournons en 2018, j'allais sur mes 17 ans. Avec la découverte de ma bisexualité, la rencontre de nouveaux amis qui sont aussi LGBT, je commence à m'interroger sur le genre. "Transgenre", est un mot fraîchement découvert. Une nouvelle nuit, je revois les étoiles. Elles sont là, mais avec une nouvelle particularité, elles sont beaucoup plus proches l'une de l'autre..., comme si elles allaient fusionner à nouveau. Avec cette vision, tout devient beaucoup plus clair, je suis transgenre. Je repense également à mon déni, et mes doutes, que j'ai laissée traîner pendant onze années. Je m'en suis voulu pendant plusieurs jours. Pourquoi n'ai-je pas parlé plus tôt ?! J'aurais dû le faire, dès les premiers doutes. Cette année fût la Période d'Affirmation de mon genre, et l'année du commencement de la deuxième vague de Coming-Out. Angelo, fût le premier à qui je fis part de mes doutes, et mes craintes. J'ai trouvé chez lui, une aide et un soutien inconditionnel. Puis est venu le moment d'annoncer la nouvelle à Serana. Je lui ai annoncée lors d'un de nos appels en visio. Elle l'a très bien pris au premier abord, mais ce n'était qu'une façade. Elle qui m'a annoncée qu'elle m'aimerait quoi qu'il arrive...Trois semaines plus tard, je reçois un appel de son frère, qui m'annonce qu'elle est en couple avec quelqu'un d'autre. Je lui ai demandé des explications, mais elle ne m'a jamais répondue. J'en ai beaucoup souffert, et j'essaie tout doucement de me reconstruire avec cet épisode. Après, Serana et Angelo, ce fût au tour de nos amis du lycée de savoir, ils ont été adorables. Tous sans perdre une minute, ont laissés tomber mon "deadname" et mes anciens pronoms, pour utiliser les nouveaux. Ils m'appelaient Raven, un nom que Serana m'avait trouvé lors d'un de nos appels en visio, post-Coming-out. Elle s'est inspirée de deux personnages de jeux de rôles papier que j'avais inventé : Shinddheia Raven Toki et Alexander Liskenaïov. En mixant les deux prénoms, elle m'a proposée : "Raven Alex". Un nom plutôt mixte, original, et qui correspondait assez bien à ma personnalité. L'été 2018 fût la période, où malgré la perte de mon couple avec Serana, je découvrais un peu chaque jour, une nouvelle amante, une colocataire omniprésente. Les visions, les craintes, les doutes, les pleurs à répétitions : une douloureuse compagnie au nom sulfureux qu'est la dysphorie. Au début de ces vacances, c'est rongé par l'angoisse, que je lance le compte-à-rebours "Raven Alex vs. Zach". C'était le 6 juillet, il était neuf heures du matin. Ce compte à rebours qui prenait la forme d'un combat, fût une bonne image pour moi, afin d'illustrer la dysphorie. Deux personnes qui se combattent dans mon esprit, chacune d'entre-elle voulaient en prendre le contrôle. Voilà ce que signifiait la dernière vision des étoiles. Ce combat organisé allait durer jusqu'à l'aube de mes 18 ans. 512 jours d'attente, plus ou moins un an et demi. Je me suis juré de trouver une réponse à mes questions, et de commencer tous mes changements. C'est dans la même période du lancement du compte à rebours, que j'ai commencée à parler de ma transidentité à ma famille, ces coming-out ont été plus que mémorables. Avec mes amis qui me nomment correctement et me genrent au féminin, j'ai très vite aussi pris l'habitude de parler de moi au féminin : le plus souvent lorsque je proférais des invectives comme "Merde, mais que j'shui conne !". Cette habitude, a suffi à mettre le puce à l'oreille de Fadila. Un après-midi pendant que je jouais à la console, elle est venue me voir un peu intriguée de ma nouvelle manière de parler. Tout de suite, j'ai pensé "Merdouille, je me suis fait grillée". J'ai éclaté de rire alors que je lui expliquais ma transidentité. Elle était surprise, légèrement choquée mais elle m'a très bien pris : le coming-out le drôle de toute ma vie. Après Fadila, j'ai discuté avec Linda, puis avec Fatima. Toutes les trois, m'acceptent totalement, et me soutiennent. Ça m'a fait chaud au cœur de savoir que je n'étais pas seule finalement pour affronter la transition. Fin de l'été, reprise des cours, et entrée en terminale. Qui dit rentrée des classes, dit aussi rentrée chez soi. Je me croyais retourner en 2017, angoissée, obligée de jouer un rôle qui ne me plaisait pas du tout. Je pensais que seul l'enfer m'attendais pour 2018-2019, mais je n'imaginais pas à quel point tant de choses allaient changer. Faisons un petit bon jusqu'en Mars 2019, nous étions pile le 256ème jour du compte à rebours (mi-parcours quoi). J'ai décidé, d'aller voir mon médecin généraliste pour avoir des informations sur la transition physique. Il m'a conseillé le programme d'un hôpital situé à Nancy, où il y a un suivi et un accompagnement complet pour la transition. J'étais la plus heureuse du monde, à ce moment-là. Juste avant que je ne parte, il me tendit une enveloppe contenant un formulaire destiné à la Sécu. "C'est une demande d'ALD, ça vous permettra d'avoir accès à vos soins à moindre coût" m'a-t-il dit. Je suis partie du cabinet en sautillant de joie partout sans pouvoir m'arrêter. J'ai déposé la lettre au bureau de la CPAM et je suis rentrée chez mes tantes où j'ai raconté ce qu'il s'est passé. Elles étaient heureuses pour moi, et on chacune d'entre elles regardaient dans leurs plannings de congé, un jour où je pourrais prendre RDV à Nancy. La semaine suivante, j'ai passé un coup de téléphone, et ai pris RDV pour le 2 juillet au matin. J'étais excitée comme jamais. Pour oublier et me déstresser un peu, j'ai eu la préparation et les révisions tous le Bac. Cette période a été cool, parce que je ne bossais pas à la maison, mais je faisais des cours et des révisions en Physique et en Chimie pour des amis, et j'apprenais et m'exerçais en même temps. Mi-juin, les examens commencent je n'ai jamais été autant stressée comme ça à part lors d'épisodes dysphoriques. Je fais du mieux que je peux, et je me fais des grosses révisions la veille de chaque épreuve pour voir s'il y a des choses que j'aurais oublié. Les examens se sont finis le lundi suivant le début des épreuves, je suis beaucoup plus sereine, plus calme et plus posée. Le futur sera magnifique.
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Appelez-Moi Sasha
Non-FictionBonjour cher(e) lecteur(e), bienvenue dans Appelez-Moi Sasha: le journal d'une dysphorie. Tu te demanderas sûrement de quoi peux bien parler ce livre, et c'est tout à fait normal. Ceci est mon autobiographie ainsi qu'un recueil de petits textes, dan...