Chapitre n°7

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Feliciano était complètement essoufflé lorsqu'il atteignit le village. Il passa en trombe la porte de la Cantina Verde, ignorant les regards railleurs du personnel. Il se dirigea vers l'arrière-salle mais Lovino se tenait devant la porte entr'ouverte et l'arrêta avant qu'il n'entre. « Où t'étais, putain, j'ai dû mentir à Papy... Est-ce que tu as pleuré? »
Feliciano chuchota urgemment. « Je dois parler à Papy, les Américains sont là. »
Lovino lui lança un regard vide. « Comment est-ce que tu peux savoir... » Ses yeux s'écarquillèrent lorsqu'il comprit. « Tu étais avec lui, » dit-il d'un ton accusateur.
- Je ne lui ai rien dit, Lovino! Je voulais juste le voir, je...
- Ta gueule, Feliciano, je veux écouter. On parlera plus tard. » Les mots de Lovino sonnaient comme une menace. Feliciano s'obligea à rester silencieux et à écouter à travers la porte les voix de Papy Roma et d'Antonio qui discutaient dans la pièce d'à côté.
- Peut-être que ce n'est pas ce que tu penses, » dit Roma. « Peut-être que c'est commun comme nom allemand.
- Ce n'est pas si commun. » Antonio soupira profondément. « Je ne peux pas le croire. De tous les endroits où les Allemands se battent en ce moment...
- Tu étais ami avec cet Allemand?
- Avec son frère. On s'est connu pendant des années, on allait même partir pour l'université ensemble, en Angleterre; nous et un autre ami français. Mais la guerre a éclaté et ils ont tous les deux rejoint l'armée. J'ai essayé d'avoir des nouvelles d'eux toutes ces années, mais ça a été difficile, même pour moi. Mon ami français est capitaine dans la communauté française de renseignement et donc techniquement intraçable. Et la dernière chose que j'ai entendu à propos de l'Allemand c'était un genre de scandale avec un musicien autrichien et il a été condamné à une unité punitive sur le front est. Il est probablement mort.
- Et son frère est sur cette liste.
- C'est cela. La dernière fois que je l'ai vu ce n'était qu'un enfant, silencieux, fou d'aviation et déjà bâti comme un tank. Mais il est l'une des personnes les plus honnêtes et honorables que je n'ai jamais rencontré. » Feliciano sourit tristement pour lui-même. Alors Antonio comprenait aussi que les Allemands étaient des êtres humains. Le frère de son ami semblait même ressembler à Ludwig.
Roma se tut quelques instants. « Antonio, j'espère que tu sais... »
Antonio ne le laissa pas finir. « C'est une honte mais il n'y a rien à faire. Je sais à qui va ma loyauté.
- Ta loyauté. Je dois admettre que, ces derniers temps, je me demande, Antonio, si mon petit-fils a quelque chose à voir là-dedans... »
Le silence tomba dans la pièce. Feliciano regarda Lovino qui se contentait de regarder la porte avec des yeux vides et écarquillés. Antonio répondit enfin. « Roma...
- Je ne suis pas stupide, Antonio. Il est évident depuis un long moment maintenant que tu as des sentiments pour Lovino. Trop évident. »
Les yeux de Lovino s'arrondirent, il tendit la main et s'agrippa au cadre de la porte. Feliciano essaya de trouver quelque chose à dire. « Lovino...
- Ta gueule, » chuchota Lovino.
- Roma... » dit encore Antonio. « Vous savez que je ne ferais jamais...
- Je n'ai rien contre tes préférences, mon ami, selon moi à chacun ses affaires. Mais tu peux être assez lent à comprendre les choses, parfois, alors je vais le dire. Lovino ne partage visiblement pas tes sentiments. Tu dois l'accepter et laisser tomber. » Lovino ferma les yeux et appuya sa tête contre le cadre de la porte. « Je suis désolé, ce n'est pas ce dont nous parlions. J'avais juste l'impression que cela devait être dit.
- Très bien. Et j'ai l'impression qu'il doit être dit que ma loyauté est toujours allée à une Italie libre et à tous les groupes qui s'opposent au mouvement fasciste allemand. N'oubliez pas ce qui m'a amené ici, Roma, ou les raisons pour lesquelles j'ai choisi de risquer ma vie pour un pays qui n'est pas le mien. Et aucune de mes relations personnelles n'a à voir avec ça - ni mon ancienne amitié pour cet officier allemand, ni mes sentiments pour votre petit-fils. Et pendant que nous y sommes, Lovino est un homme, capable de prendre ses propres décisions. Tout comme Feliciano. Ils ne sont pas les enfants comme lesquels tu les traites. »
Feliciano étouffa un sursaut. Lovino paraissait aussi choqué que lui. Personne ne parlait à Papy Roma de cette façon. Il attendit anxieusement la réponse de Roma. Il n'y en eu pas. A la place, Antonio continua de parler.
- Mais vous avez raison, Roma. Ce n'est pas ce dont nous parlons. Au vu de nos plans actuels, espérons que cette stupide bévue américaine ne bouleverse pas trop les choses. Il semblerait que notre meilleure opportunité soit encore mercredi matin, mais vous pourrez parler davantage de cela pendant la réunion. Feliciano, Lovino, est-ce que vous allez entrer ou bien allez-vous rester à écouter devant la porte toute la matinée? »
Feliciano et Lovino partagèrent un regard surpris avant que Lovino ne se reprenne et pousse le panneau. « Fais pas le malin, bâtard, je suis là depuis à peine dix secondes. Oh, et au cas où ça t'intéresse, apparemment les premiers Mustangs ont survolé la zone. Je croyais qu'on ne les attendait pas avant mercredi. » Lovino se laissa tomber sur une table, visiblement en train d'essayer d'éviter de regarder en direction d'Antonio. Ce dernier lui offrit un bref sourire avant de passer une main épuisée dans ses cheveux et de se détourner.
Feliciano suivit lentement Lovino dans la pièce, légèrement troublé. Il était certain de ne pas avoir mentionné les Mustangs... Roma écarta son regard impénétrable d'Antonio et sourit joyeusement, se laissant tomber contre le dossier de sa chaise, derrière son bureau de fortune. Ni lui ni Antonio ne semblaient avoir dormi depuis des jours.
- Bonjour, les garçons! Oui, Lovino, on dirait qu'on peut compter sur les Américains pour gâcher nos plans avant même de les avoir lancés.
- Mais... Quoi... Les américains ont débarqué? » demanda Feliciano, choqué et confus. « Vous saviez qu'ils allaient atterrir? Qu'est-ce qu'ils font ici? Qu'est-ce que ça veut dire?
- Les forces principales n'ont pas encore débarqué, » dit Antonio. « Roma expliquera tout pendant la réunion.
- Feliciano ne connaît pas ces choses-là, » dit Roma, regardant ostensiblement vers Antonio. « Il ne devrait pas avoir à connaître ces choses-là. » Roma lâcha une poignée de documents sur le bureau. « Au fait, Feliciano, pourquoi n'irais-tu pas au marché, ce matin? »
Feliciano secoua la tête avec insistance et fit un pas en arrière, légèrement paniqué à l'idée que Roma l'oblige à partir. Il devait entendre ça, il devait entendre ces plans qui impliquaient des avions, des débarquements et des Américains. Il devait entendre ce qu'ils signifiaient pour lui et Ludwig. « Non, je crois que je vais rester pour la réunion aujourd'hui, Papy. »
Roma semblait partagé. « Je ne pense pas que ce soit une bonne idée. Tu te souviens d'à quel point la conversation d'hier t'a bouleversé.
- Je veux entendre. » Feliciano leva le menton avec un air de défi, alors même qu'il faisait un nouveau pas vers l'arrière. Il ne voulait pas se battre pour ça. « Je ne serai pas bouleversé. Vraiment. Je ne suis pas un enfant, Papy, j'ai le droit d'entendre ce que vous planifiez et puis, ça ira pour moi, je promets que ça ira. »
Roma se leva et le cœur de Feliciano tomba. « Ecoute, Feli... »
Antonio ricana bruyamment et croisa les bras. « Alors Feliciano peut aller risquer sa vie pour nous ramener des informations mais il n'est pas autorisé à entendre comment nous allons nous en servir? »
Roma semblait presque avoir des envies de meurtre lorsqu'il lança un regard à Antonio par-dessus son bureau. « Je ne te permet pas de me dire comment parler à mes petits-fils, Antonio. Ce ne sont pas tes affaires.
- Feli, » dit doucement Lovino. « Peut-être que Papy a raison. Tu n'as pas à entendre ça. » Feliciano se tourna vers lui suspicieusement. Lovino ne lui avait jamais suggéré de quitter une réunion auparavant.
A cet instant, trois membres de la résistance passèrent la porte et saluèrent bruyamment Roma. Feliciano profita de cette distraction pour se diriger vers le fond de la salle et prendre place. Son estomac était retourné, le sang battait dans sa tête, ses mains tremblaient. Il ne s'était jamais sentit aussi nerveux de toute sa vie. Mais rien n'aurait pu le faire partir. Heureusement, Roma fut très vite trop occupé à parler aux nouveaux arrivants pour lui prêter attention. D'autres se joignirent à eux et la pièce fut rapidement pleine de gens bruyants, bavards et étrangement joyeux. Lovino se tournait parfois vers lui et lui lançait un regard inquiet, mais Feliciano ignorait tout le monde. Son esprit était ailleurs. Il pouvait encore sentir les bras de Ludwig autour de lui, ses lèvres contre les siennes, pouvait encore sentir son odeur et entendre la douleur dans sa voix au moment de dire au revoir. Feliciano avala la boule dans sa gorge. Il restait assis, espérant, priant et ne pensant à rien d'autre qu'à Ludwig. Il restait assis, attendant de savoir ce que ces avions américains dévastateurs signifiaient réellement.
Les premiers mots que Papy Roma prononça pour la réunion se mélangeaient, le discours habituel sur les mouvements des allemands, les estimations, la vigilance et toutes ces choses que Feliciano n'avait jamais réellement comprises. Ce n'est que lorsqu'il mentionna les Américains que Feliciano commença vraiment à écouter.
- Alors, certains d'entre vous ont sûrement remarqué les Mustangs qui ont survolé la ville ce matin. » Les paroles de Roma rencontrèrent des murmures d'acquiescement et de curiosité. Feliciano sentit son pouls grimper. « Eh bien nous sommes sûrs que les Allemands les ont remarqués aussi. C'était évidemment inattendu. Il semblerait qu'un groupe de pilotes américains en mission de pistage se soit fortement éloigné de sa route et que l'un d'entre eux, un jeune lieutenant arrogant semblerait-il, ait pensé que ce serait une bonne blague de larguer de petits explosifs dans un champ vide. » Roma décrocha une carte d'un crochet sur le mur. Quelques personnes se penchèrent en avant pour mieux voir. « Les explosions ont eu lieu juste... » Roma mit le doigt quelque part sur la carte. « ...ici. À peine quelques kilomètres de la base aérienne allemande.
- Qu'est-ce que cela signifie pour l'assaut de mercredi? » demanda l'un des hommes. Les oreilles de Feliciano le brûlèrent et son estomac sursauta. Assaut... « Ce n'était pas censé être une attaque surprise?
- Cela signifie que les Allemands ont le vague indice que les Américains pistent cet endroit. » Roma commença à arpenter la pièce sans cesser de parler, ses paroles aussi puissantes qu'à l'ordinaire appelant l'attention de toute la salle. « Nous devons faire quelque chose rapidement pour réparer cette stupide erreur des Américains. Les Allemands ne doivent pas savoir pour le débarquement. Les Américains se basent sur l'élément de surprise. Nous devons nous assurer qu'ils le possèdent toujours. Silvano, il faudra que tu te connectes sur la fréquence de la radio allemande et que tu diffuse un faux rapport. Je te donnerai les détails dans un moment. Et Matteo, Antonio te donnera de fausses informations à transmettre directement au commandement supérieur pour les convaincre que les Américains sont trop débordés en France pour lancer un assaut ici. » Roma s'interrompit et scruta la salle. Feliciano se fit tout petit sous son regard. « Convaincre les Allemands que les Américains n'attaqueront pas est d'une importance vitale pour la mission toute entière. S'ils apprennent pour le débarquement, tous les efforts fournis ces derniers mois n'auront servi à rien. »
Feliciano eut un mouvement de recul à ces mots, la panique gonflant dans sa gorge. Il n'arrivait pas à comprendre tout ce dont Roma parlait et voulait désespérément demander des clarifications mais il n'osait pas attirer l'attention sur lui. Il se tordit les doigts nerveusement et écouta avec inquiétude, s'accrochant à chaque mot de Roma.
- Si tout se déroule selon le plan et si les Allemands demeurent inconscients de l'invasion imminente, le reste du plan devrait fonctionner exactement comme prévu. Une réunion est prévue pour après-demain, le jour du débarquement. Antonio a des agents chargés de s'assurer que la réunion aura bel et bien lieu. Grâce à mon petit Feliciano, nous avons été capables d'obtenir ces informations pour les Américains. » Roma leva devant lui une feuille de papier. Feliciano la regarda, écœuré, brisé. Il sut immédiatement d'où le papier venait - de l'enveloppe qu'on lui avait donnée au café allemand. « Ceci est une liste des membres les plus importants de la Luftwaffe dans cette zone. Ces hommes sont tous des cibles de haute priorité : officiers de haut rang, officiers destinés à la promotion, et leurs meilleurs pilotes. Ils doivent être éliminés immédiatement en vue de l'attaque aérienne sur les bases militaires allemandes en Italie. Tous les hommes sur cette liste participeront à la réunion, mercredi matin. »
Roma laissa tomber la liste sur le bureau et continua à arpenter la pièce. Le papier attirait les yeux de Feliciano comme un aimant. Les paroles de Papy Roma s'évanouirent en arrière-plan et soudain ce papier fut la seule chose qui existait. A peine conscient, Feliciano se mit sur ses pieds et se déplaça lentement vers le bureau. Il avait l'impression de marcher dans un rêve; le sang lui battait dans les oreilles, son esprit était figé car il ne pouvait pas admettre ce qu'il pensait. Lorsqu'il atteint enfin le bureau, Feliciano baissa les yeux sur les papiers répandus dessus. L'un d'entre eux se détachait, au sommet de la pile, les mots "cibles : aérodrome" griffonnés en guise d'en-tête. Une liste de noms courait sur toute la longueur de la page et Feliciano les parcourut, refusant d'admettre ce qu'il cherchait, même si sa peau le brûlait et qu'une écœurante sensation d'épouvante courait à travers ses veines. La liste de lieutenants, de capitaines et de colonels commença à se resserrer. Et là, il s'arrêta. Tout s'arrêta. Feliciano se sentit tomber en morceaux, sentit son cœur chanceler, sentit son être se briser. Le monde entier se fermait autour de lui jusqu'à ce qu'il n'y ait plus rien que ce morceau de papier, que cette liste, que ces lettres et ces trois mots qu'elles épelaient.
Lieutenant Ludwig Beilschmidt.
Feliciano contempla ces mots jusqu'à ce qu'ils soient trop flous pour qu'il puisse les voir. Lorsqu'il leva finalement la tête, confus, éberlué et brisé, la première chose qu'il vit fut Lovino, lui rendant son regard, l'air mal à l'aise et plein d'appréhension. Les yeux de Lovino se posèrent rapidement sur la liste sur le bureau, sur Papy Roma et de nouveau sur Feliciano avant de s'écarquiller d'un air consterné sous la compréhension. Lovino posa une main sur sa bouche, horrifié. Feliciano ne savait pas quoi faire. Il appréhendait à peine ses sentiments. Il posa les mains sur le bureau, se pencha en avant, et le discours de Papy Roma commença à redevenir compréhensible...
- Nous avons réussi à donner l'heure et le lieu aux Américains. Ils atterriront en force, tôt, sans le moindre avertissement. Leur première cible est l'aérodrome allemand. » Les mains de Feliciano se troublèrent sous ses yeux tandis que son Papy continuait de parler, ces mots se creusant enfin leur place en lui, pleins d'un sens déchirant, tranchant son cœur en morceaux. « Leur objectif est d'éliminer les hommes présents à la réunion, ainsi qu'autant d'avions et de pilotes ennemis que possible. Pris par surprise, la plupart des pilotes devraient mourir avant d'atteindre leur appareil. Ceci signera la destruction de la présence aérienne allemande dans ce secteur...
- NON! » Ce mot s'était arraché à lui, fort et terrifié et dévasté, avant que Feliciano ait pu le retenir. Il plaqua une main sur sa bouche mais c'était trop tard. La salle entière l'observait dans un silence choqué.
- Feliciano? » fit enfin Roma, alarmé.
- Je ne... Je ne peux... » Les mains de Feliciano tremblèrent, ses entrailles se tordirent, son esprit refusa de fonctionner correctement. « Je veux dire... je veux dire... » Il lança un regard hébété à travers la pièce, le silence accusateur le déboussolait et le terrifiait. Roma fit un pas inquiet vers lui. Antonio semblait tout aussi inquiet. Lovino secoua la tête, le regardant avec intensité ; son visage était un avertissement, mortellement sérieux, presque suppliant. Feliciano ravala sa peur, la forçant dans sa gorge. Ses yeux volèrent vers la sortie et revinrent. « Je dois y aller. » Il courut vers la porte. Lovino l'atteignit le premier, lui coupant la route.
- Tu ne vas nulle part, » dit fermement Lovino.
- Laisse-moi partir, Lovino! » implora Feliciano, essayant de le pousser pour passer. Lovino s'agrippa à son bras et le retint.
- Non!
- S'IL-TE-PLAÎT! » Hurla Feliciano, essayant désespérément de se libérer de la prise de Lovino.
- Putain de merde, je savais que ça arriverait!
- Arrêtez! » cria Roma. Feliciano ne put s'empêcher de se figer à cet ordre. « Qu'est-ce qu'il se passe, bon sang? »
Le cœur battant, la tête tournant, Feliciano leva les yeux vers Lovino d'un air suppliant. « Je t'en prie, » murmura-t-il. « Ne lui dis pas.
- Lovino? Feliciano? » La voix de Roma était inquiète. La pièce se remplit de chuchotements et de bas murmures de confusion et de curiosité.
Le pouls de Feliciano vibrait dans sa gorge. La pièce commença à tournoyer. Ludwig... Il devait retrouver Ludwig... « Je ne parlerai pas à Ludwig du débarquement, je promets que je ne le ferai pas, je veux juste... Je dois juste le voir, Lovino, j'ai besoin de... » La respiration de Feliciano s'accélérait trop pour qu'il puisse continuer à chuchoter.
- Ce n'est rien, Papy, » dit Lovino à voix haute. Son regard semblait divisé. Il murmura. « Est-ce que tu sais au moins où se trouve leur base? »
Le cœur de Feliciano s'écroula et sa peau devint froide. « Non... »
Lovino soupira de soulagement et relâcha sa prise. « Ne sois pas stupide, Feliciano. Tu ne sais même pas où tu vas. Il n'y a rien que tu puisses faire. »
Feliciano allait hurler. Il allait se briser. Ses jambes étaient faibles. Le bruit et la lumière de la cantina étaient comme des éclats de verre dans son crâne. Le sol sous ses pieds se balançait de façon instable. Les Américains débarquaient, ils bombardaient la base aérienne. Et il n'avait aucun moyen d'atteindre Ludwig... Aucun moyen de le prévenir. Aucun moyen de lui dire au revoir. Une écœurante panique asphyxiait ses poumons. « Lovino » cracha-t-il, soudain incapable de voir, de penser, de respirer. « Lovino, à l'aide... » Feliciano trébucha, tomba à terre et reposa sa tête sur le sol froid. Presque immédiatement, il entendit la voix de Papy Roma à ses côtés.
- Tout va bien, Feli. Tu sais que tu dois respirer. Respire. » Feliciano sentit la main de Roma caresser son front. « Tout va bien, tu t'es juste surmené à nouveau. Assied-toi maintenant. » Roma le redressa et Feliciano agrippa sa poitrine. Tous ceux présents dans la pièce semblaient le condamner froidement. Roma jeta un regard à Antonio. « Tu vois? C'est pour ça que je ne veux pas qu'il entende ces choses-là! »
Feliciano leva les yeux vers Lovino, le suppliant silencieusement. Le regard de Lovino s'adoucit et il tomba immédiatement à genoux, plaça un bras autour de Feliciano et, avec l'aide de Roma, l'aida à se remettre sur ses pieds. Feliciano se reposa sur Lovino avec gratitude et tenta de cacher son visage aux yeux de la salle bondée.
- Il est fatigué, Papy. Il a travaillé dur. Je vais le ramener à la maison. »


Feliciano était allongé sur son lit, fixant le plafond de la chambre. Les paroles de Papy Roma tournoyaient sans fin autour de sa tête, se frayant un chemin en lui et brisant son monde en morceaux. Le jour après demain. Si Ludwig ne venait pas le voir demain, Feliciano ne le reverrait jamais. Il sentait à peine la main de Lovino dans la sienne alors que son frère était assis à ses côtés, sur le sol. La pièce était trop sombre pour un milieu d'après-midi, la tempête au-dessus de leurs têtes était sur le point d'éclater. Le tonnerre roulait si lourdement que les murs semblaient trembler. Pour la première fois de sa vie, Feliciano n'en avait pas peur.
- Tu ne l'as pas dit à Papy, » dit doucement Feliciano.
- Non, » répondit Lovino. « Tu aimes vraiment cet Allemand.
- Oui. » Parfois, ils n'avaient pas besoin de poser les questions.
- Est-ce que tu lui aurais dit, pour l'attaque? » Feliciano ne répondit pas. « Feli, il est notre ennemi. Il se bat pour nous contrôler, pour nous prendre notre pays. »
Feliciano secoua légèrement la tête. « Non. Il se bat parce que son pays lui dit de le faire, et il aime son pays. C'est un homme bon, Lovino.
- C'est un Allemand.
- Est-ce que tu sais que, malgré ce que vous pensez toi et Papy, il est possible d'être les deux. » Lovino ne répondit pas mais pressa la main de Feliciano pour montrer qu'il comprenait. Le tonnerre appuya leur silence. « Et si Antonio était notre ennemi? » demanda finalement Feliciano. « Tu ne l'aimerais pas quand même?
- Je n'aime pas Antonio, » dit Lovino un peu trop vite.
- Si, tu l'aimes. »
Lovino fit courir son pouce sur la paume de Feliciano, puis posa la tête sur son bras. Les mots qu'il prononça ensuite furent si faibles que Feliciano dut faire un effort pour les entendre. « Antonio va bientôt mourir. »
Feliciano tourna brusquement la tête vers Lovino, choqué et alarmé. « Qu'est-ce que tu veux dire?
- Tu sais ce qu'il fait, n'est-ce pas?
- Oui. Il nous donne des informations. Au sujet des Allemands.
- Exactement. Tu ne vois pas à quel point c'est dangereux? Antonio est l'un des hommes les plus recherchés par les Allemands dans tout le pays. Dans toute l'Europe. Un jour ils vont l'avoir. Ils le tortureront pour ce qu'il sait et ils le tueront. Il le sait. Tout le monde le sait. Ce n'est qu'une question de temps.
- Mais Antonio est malin, il...
- Non, il ne l'est pas. Parce qu'il n'arrêtera pas. » Lovino semblait presque en colère. « Il n'arrêtera pas de faire ce qu'il fait et chaque jour le rapproche un peu plus de la Gestapo. »
La bouche de Feliciano s'ouvrit et il faillit lâcher un petit cri. « C'est pour ça que tu ne veux pas l'aimer. Parce que tu ne veux pas être blessé! »
Lovino rit jaune. « Ce n'est pas aussi simple.
- Ça l'est. Et c'est aussi très égoïste. Tu l'aimes mais tu as peur que quelque chose de mal arrive et tu as peur d'avoir quelque chose à perdre. Mais on ne sait jamais ce qui va arriver et on a toujours quelque chose à perdre. Je sais que tu as peur, Lovino. Tu as peur de prendre le risque. Mais laisse-moi te dire quelque chose... » Feliciano pensa à tous ces merveilleux après-midi avec Ludwig, les heures glorieuses et fugaces, les sourires et les mots et les caresses de la main ; à ces quelques baisers étourdissants et déchirants, cette déclaration bien trop brève et magnifique sous le chêne. Puis il pensa à cette très réelle possibilité, cette probabilité de ne jamais pouvoir revoir Ludwig. De le perdre et d'être consumé par une douleur incontrôlable et envahissante. Et pourtant... « Certaines choses valent d'en prendre le risque après tout... »
Lovino leva lentement la tête et regarda Feliciano comme s'il le voyait pour la première fois. Il sourit doucement. « Depuis quand es-tu le plus sage, Feli? »
Feliciano lui sourit en retour. « J'ai toujours été le plus sage. »
Lovino laissa échapper un profond soupir et leva la tête vers la fenêtre, les yeux brillants. Feliciano pouvait entendre le vent gratter le verre. « Quand étais-tu censé retrouver ton Allemand?
- Il vient me voir tous les jours près du chêne. Mais avec tout ce qui arrive, l'attaque de ce matin, il ne sera probablement pas là demain.
- Tu l'as entendu, ce matin, ce n'était pas une attaque, les Américains étaient en mission de repérage. Ces Mustangs sont loin maintenant, le vrai débarquement n'aura lieu que dans quelques jours et les Allemands sont persuadés qu'il n'y aura pas de débarquement du tout. » Feliciano lâcha un petit cri étranglé lorsqu'il comprit. Lovino avait raison. Si les Américains n'étaient plus là, il n'y avait plus de raison pour empêcher Ludwig de venir le rencontrer comme il le faisait tous les jours. Le cœur de Feliciano commença à battre plus fort. « Alors, Feli. Va le voir, demain. » Feliciano regarda Lovino, sous le choc.
- Tu... Tu me laisseras aller le voir? »
Lovino toucha la main de Feliciano avec son front. « Oui. Va lui dire au revoir. »
Le cœur de Feliciano s'écroula à nouveau immédiatement. Oui, Ludwig pourrait venir le voir le lendemain. Mais ce serait la dernière fois. Feliciano ferma les yeux et secoua la tête. « Non, je ne peux pas. » Les Américains attaqueraient le lendemain. Feliciano l'avait entendu plus tôt. Ils attaqueraient pendant la réunion des Allemands, détruiraient la base aérienne et les officiers présents. Mais si Feliciano prévenait Ludwig, il serait un traitre. Comment pourrait-il le voir en sachant que ce serait la dernière fois? « Je ne peux... Je dois juste...
- Feli... »
Les larmes vinrent et Feliciano n'essaya pas de les arrêter. « Je ne veux pas dire au revoir, Lovino! Je veux juste être avec lui! Je n'aurais jamais cru que je pouvais ressentir ce que je ressens lorsque je suis avec lui. Si seulement tu savais à quel point c'est merveilleux. Il aime m'écouter, il ne pense pas que je suis agaçant ou que je parle trop, il aime m'écouter chanter et il est si gentil, et si timide, même s'il a l'air si fort. Il a un frère et un Papy, comme nous. Il est si bon et honnête et... Et il est tout. » Feliciano essuya rageusement ses larmes. « Alors pourquoi est-ce qu'il a fallu que je le rencontre comme ça? Pourquoi est-ce qu'il a fallu qu'il soit un ennemi? Pourquoi est-ce que je ne peux pas tout simplement être avec lui? Pourquoi... » Feliciano ne savait pas comment exprimer la colère et la douleur qui l'envahissaient. Il avait envie de casser quelque chose, de tomber au sol, de hurler. « Oh mon dieu, pourquoi, Lovino? Ce n'est pas juste! Ce n'est vraiment pas juste!
- Je sais. Ce n'est pas juste. Mais rien n'est juste pendant une guerre. » Lovino s'interrompit et prit une inspiration profonde et tremblante. « Ce n'était pas censé t'arriver, Feli. Mais, au moins, tu as la chance de pouvoir dire au revoir. »
Feliciano sentit sa poitrine se briser sous le poids des mots de Lovino. Cela ne suffisait pas. Comment cela aurait-il pu suffire?
- Et Feliciano, encore une chose. » Au ton de la voix de Lovino, Feliciano tourna la tête et planta ses yeux dans ceux de son frère. Il frissonna en les voyants. La pièce parut soudain plus sombre. « Mon petit frère. Je t'aime de tout mon être. Mais si tu nous trahis... Si tu trahis l'Italie... Je te tuerai. »

auf Wiedersehen sweetheart (français)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant