Feliciano ne savait pas ce qui l'avait réveillé. Cela aurait pu être l'unique rayon de lumière grise crépusculaire vacillant devant ses yeux, ou le grincement inhabituel des poutres en bois, ou le froid soudain qui rampait sur sa peau maintenant que le feu s'était éteint. Tout ce qu'il savait, sur le moment, c'était que Ludwig était parti. Il roula lentement jusqu'à l'espace vide à côté de lui et y passa la main. Feliciano savait qu'il se réveillerait ainsi. Mais il se sentait quand même vide, souffrant, froid, comme si une moitié de son être lui avait été arrachée. Il reposa sa tête dans la paille, ferma les yeux et s'accrocha à la dernière caresse et au dernier souvenir qu'il avait de Ludwig. Il était sur le point de replonger dans le sommeil lorsqu'il entendit la porte de la grange s'ouvrir dans un grincement.
- Feliciano? »
A demi conscient, Feliciano fronça les sourcils de confusion. « Ludwig? » grommela-t-il. Il se tourna lentement, d'un air endormi, vers la source de la voix, et cligna des yeux pour en chasser les dernières brumes du sommeil. Le matin froid s'engouffra dans l'abri. « Papy? » Feliciano baissa vite le regard. Oh, dieu merci... Il portait son pantalon.
- Feli, oh Dieu merci, Dieu merci! » Papy Roma se rua à l'intérieur tomba à genoux et tira Feliciano contre lui dans une douloureuse étreinte. Après quelques instants de stupéfaction, de perplexité et d'inconfort, Feliciano tapota légèrement l'épaule de Roma.
- Peux pas respirer. »
Roma le relâcha et Feliciano inspira vivement. « J'ai cherché partout, » hoqueta Roma. Ses yeux étaient rouges, ses cheveux en bataille n'étaient pas peignés. Il avait l'air épuisé. « J'ai cherché toute la nuit, partout, et j'ai cru... J'étais presque sûr... Oh, Feli, je suis tellement désolé. » Roma tira Feliciano contre lui à nouveau. « Est-ce que tu vas bien, dis-moi que tu vas bien! »
Feliciano n'était pas sûr de ce qu'il devait dire. Il n'était pas sûr de comment il était censé réagir. Mais il était triste, et il avait mal, et c'était son grand-père qui avait toujours su faire partir toutes ces mauvaises choses. Feliciano soupira de soulagement et s'agrippa à Papy Roma, voulant croire qu'il pouvait tout arranger à nouveau. « Je vais bien, Papy. Je croyais que tu me haïssais.
- Jamais, Feli. Pardonne-moi d'avoir dit des mots aussi odieux. Pardonne-moi ce moment de folie. Si je ne t'avais pas trouvé... Oh, ciel, si je ne t'avais pas trouvé... » Roma ne parvint pas à finir sa phrase. Et Feliciano en avait vraiment assez des larmes.
Le soleil matinal filtrait à travers les fenêtres de la cuisine, baignant la petite pièce d'une familière lumière dorée. L'orage était passé comme s'il n'avait jamais existé. Feliciano était assis à l'opposé de Papy Roma, contemplant ses mains sur la table, incapable de savoir comment réagir face à cette étrange situation. Roma n'avait pas l'air en colère, n'avait été que gentillesse et inquiétude depuis qu'ils étaient sortis de la grange, mais Feliciano savait qu'il devait être furieux. Après ce que Feliciano avait fait en prévenant Ludwig, après la nuit qu'il avait passé dehors et que Roma avait passé à le chercher, après les mots que Roma lui avait dit l'après-midi d'avant – comment Papy Roma pouvait-il ne pas être en colère?
- Qu'est-ce qu'Antonio t'a dit? » demanda Feliciano d'une voix tremblante.
- Il m'a dit que tu étais devenu l'ami d'un pilote allemand. Et que tu l'avais informé du débarquement des Américains de demain. » Roma semblait trop calme.
- Je suis désolé, Papy. Je ne voulais pas qu'il le dise à qui que ce soit, je voulais l'empêcher de retourner à la base... J'essayais juste de lui sauver la vie, c'est tout, je ne voulais pas trahir...
- Je le sais, Feliciano. » Feliciano reposa son regard sur la table et attendit que Roma poursuive. Il ne le fit pas.
- Est-ce que j'ai tout gâché?
- On a dû changer nos plans. Avec un peu de chance... Tout ira bien. » Feliciano hocha la tête, comprenant que Roma ne lui dirait rien de plus que cela. Feliciano se demanda combien de choses il serait autorisé à savoir à partir de maintenant. « Cet Allemand est plus qu'un ami, n'est-ce pas? »
La question déstabilisa Feliciano. Son estomac gela. Il déglutit bruyamment et leva lentement la tête, les yeux écarquillés et effrayés. Mais Roma ne semblait toujours pas en colère.
- C'est ce que je pensais. Il doit être très important à tes yeux pour que tu prennes tant de risques. » Feliciano se contenta de hocher la tête d'un air hésitant. Un lourd silence tomba et Feliciano attendit à nouveau, sans savoir à quoi s'attendre, sans savoir quoi faire. Roma prit enfin une profonde inspiration et sourit avec mélancolie.
- Savais-tu, Feliciano, que ta grand-mère était la plus belle femme que j'ai jamais connu au monde. Une peau olivâtre, d'épaisses boucles sombres, les plus adorables yeux noirs que j'ai jamais vus. A l'instant où j'ai posé les yeux sur elle, j'ai su que je n'en aimerai jamais une autre. J'ai marché droit vers elle, j'ai pris sa main et je lui ai demandé de m'épouser. »
La gêne de Feliciano fut rapidement oubliée. Cela faisait longtemps que Papy Roma n'avait pas parlé du passé, et il racontait toujours les meilleures histoires. Le visage de Feliciano s'illumina et il se redressa avidement. « Waouh. Et elle a dit oui?
- Non. Non, elle m'a frappé. » Roma sourit et Feliciano rit. « Mais j'ai juré que je n'abandonnerais jamais. Ça m'a pris un mois. Un mois, tu le crois, toi? J'aurais pu avoir n'importe quelle femme de l'Italie en une seconde. Mais, ces grecques têtues. Avec elle... j'ai mis un mois.
- Et elle t'aimait?
- Oui. Beaucoup. » Les yeux de Roma se perdirent un peu dans le vide. « Lorsqu'elle est morte dans son accouchement, j'ai cru que je mourrais avec elle. Je le voulais. » Roma soupira. « Mais je ne pouvais pas. Je devais prendre soin du plus beau bébé du monde. »
Feliciano sourit. « Maman.
- Ta grand-mère ressemblait beaucoup à Lovino. Ta mère, en revanche, était exactement comme toi. » Les yeux de Roma se mirent à briller alors qu'il parlait. « J'ai toujours dit qu'elle était née avec un pinceau dans la main. Si brillante. Et elle pouvait chanter comme un ange. Et écrire, et dessiner, et parler de n'importe quoi à n'importe qui. » Feliciano s'accrochait à chaque mot. Papy Roma n'avait jamais beaucoup parlé de la mère de Feliciano. C'était toujours trop douloureux. « Elle était le soleil de ma vie. Si gaie, si joyeuse... Tous ceux qui la voyaient l'aimaient instantanément. » L'expression de Roma s'assombrit, ses yeux se durcirent. « Lui y compris.
- Mon père. » Feliciano ne savait presque rien au sujet de son père. Papy Roma ne parlait jamais de lui.
- Je l'ai suppliée de ne pas partir avec lui. Elle était si jeune. Mais elle ne m'écoutait pas. J'ai crié, j'ai hurlé. Et ce fut la dernière fois que je la vis. » Feliciano pouvait voir la douleur et le regret encore frais dans les yeux de Roma. « Elle n'était pas plus âgée de que toi, Feliciano. Pas plus âgée que toi lorsqu'il l'a abandonnée et qu'elle n'a pas pu vivre avec la souffrance qui en a découlé. Lorsqu'on m'a annoncé la nouvelle... » Roma frissonna et ferma les yeux. Feliciano détourna le regard quelques instants, la poitrine lourde. Roma expira et poursuivit. « Lorsqu'on m'a annoncé la nouvelle, pour la seconde fois de mon existence, j'ai pensé à la mort. Mais une fois de plus je n'avais pas le choix. Parce que j'étais coincé avec deux parfaits et minuscules petits-fils qui n'avaient personne d'autre que moi au monde. » Roma sourit à nouveau, doucement, pensivement. « Je sais que je n'ai sûrement pas toujours fais de mon mieux avec vous, les garçons, mais j'ai essayé. Peut-être que je vous ai toujours surprotégés – peut-être que je le fais encore. Mais c'est parce que j'ai toujours su que mon cœur ne supporterait pas d'être brisé une troisième fois. »
Roma eut soudain l'air vieux, fatigué et défait. Lorsque Feliciano était petit, Papy Roma était si grand, si sûr. Il pouvait faire fuir les monstres et apaiser les cauchemars et protéger Feliciano de tout. Il pouvait tout arranger. Mais un jour, le monde avait changé et les monstres étaient devenus réels. Feliciano grandissait et maintenant il savait qu'il n'était tout simplement plus possible que Papy Roma le protège de tout, et que personne ne pouvait tout arranger. C'était une dure réalité.
- Papy, je ne suis pas Maman. Et Lovino non plus. Ce n'est pas parce qu'elle est tombée amoureuse et s'est enfuie que nous allons faire la même chose. » Le vrai problème qu'avait Papy Roma au sujet d'Antonio était devenu évident. Tout comme la douleur que Feliciano lui causerait s'il abandonnait tout et fuyait vers la Suisse. Feliciano se sentit coupable en se demandant si cela suffirait à l'en empêcher. Mais... « Il y a des choses dont même toi tu ne peux pas nous protéger, Papy. Et tu ne peux pas nous empêcher de tomber amoureux.
- Feli, quand as-tu autant grandi? » Roma soupira puis secoua la tête et leva les yeux vers Feliciano. « Je ne vous comprend pas, les garçons. Quand j'avais votre âge, j'avais sept petites amies. » Il sourit, et pendant un instant ses yeux brillèrent à nouveau. « Une pour chaque nuit de la semaine. » Feliciano rit, Roma se leva lentement et se dirigea vers l'entrée. Pour la première fois depuis que Feliciano le connaissait, il faisait presque son âge. « Va dormir, Feliciano. »
Pour la deuxième fois ce jour-là, Feliciano n'était pas certain de ce qui l'avait réveillé. Tout d'abord, il pensa qu'il s'agissait de la puissante explosion qui avait retentit bien trop près, ou bien le bas et régulier rugissement de ce qui semblait être une centaine d'avions volant au-dessus de sa tête. Mais ensuite il réalisa que quelqu'un criait. Feliciano sauta du lit et courut vers l'entrée, son corps réagissant plus vite que son esprit. Lorsqu'il atteint le bout du hall, il trébucha jusqu'à s'arrêter, la peur montant tout de suite dans sa poitrine.
Lovino se débattait désespérément dans la poigne de Papy Roma, ses yeux rouges et écarquillés fixés sur la porte d'entrée. Une expression de pure terreur, de panique totale était gravée sur son visage. Cela ne ressemblait a rien que Feliciano ait vu jusqu'à présent ; cela le pétrifia sur place et glaça son sang. Roma faisait de son mieux pour coincer Lovino contre le mur. « S'il-te-plaît arrête, Lovino, tu vas te bless...
- NON! Il faut qu'on y aille, il faut qu'on y aille maintenant... » La voix de Lovino était désespérée, incontrôlée, et il se débattait comme un hystérique dans la prise de Roma. Feliciano regardait, trop stupéfait pour parler, une épouvante irréelle parcourant son esprit. Papy parlait calmement, posément, même s'il semblait user de toute sa considérable force pour empêcher Lovino de se libérer.
- Lovi, Lovi, calme-toi, écoute-moi, je t'en prie...
- On doit l'aider! » Les yeux de Lovino se tournèrent vers Roma, écarquillés et suppliants. Il s'agrippa, paniqué, à la chemise de Roma. « S'il-te-plaît, Papy, s'il-te-plaît aide-le, s'il-te-plaît...
- Lovino, je suis désolé, il n'y a rien que l'on puisse faire, pas aujourd'hui... » Roma essaya de poser une main apaisante sur sa joue mais Lovino lâcha un cri étranglé et la repoussa.
- Non, NON! Tu ne comprends pas, ils sont en train de le torturer en ce moment même, ils... Oh mon dieu... » Lovino prit de puissantes inspiration, pâlissant. Il semblait sur le point de s'évanouir. « Oh mon dieu, non... » Puis il frappa le torse de Roma frénétiquement, machinalement, en hurlant. « LAISSE-MOI Y ALLER! » Lovino faillit réussir à échapper à la poigne de Roma, mais ce dernier parvint à tenir son bras et le plaqua contre le mur à la dernière seconde.
- Qu'est-ce qui se passe? »
Lovino et Roma se retournèrent tous deux en entendant la question faible et tremblante, se rendant compte de la présence de Feliciano. L'expression de Lovino passa de terrifiée à furieuse en un seul instant. « Toi. C'est TA FAUTE! »
Feliciano hoqueta et fit un pas en arrière. Il sentit la panique enserrer son cœur. « Quoi? Qu'est-ce que...
- Ton sale petit-ami allemand! » Lovino avait craché ces mots. « Il l'a dénoncé, il l'a forcément fait, comment est-ce qu'ils pourraient savoir si vite autrement? »
Le cœur de Feliciano se figea dans sa poitrine. La pièce parut soudain sombre et froide. « Est-ce que... Est-ce qu'Antonio...
- Il semblerait que la Gestapo ait été prévenue la nuit dernière, » déclara platement Roma. « Ils ont capturé Antonio tôt ce matin. » Feliciano ravala une vague de nausée. Lovino, à nouveau, se débattit pour échapper à l'étreinte de Roma.
- Qu'est-ce que tu as dit d'autre à cet Allemand, Feliciano? » cria-t-il avec colère. « Qu'est-ce que tu lui as dit à propos d'Antonio?
- Non! » cria Feliciano, choqué et peiné. « Je n'ai jamais rien dit au sujet d'Antonio, jamais, et ça n'aurais pas pu être Ludwig de toute façon, pas hier soir, c'est impossible! »
Roma ferma les yeux et détourna la tête mais Lovino hurla, « Pourquoi?
- Parce que... parce que... » Les yeux de Feliciano voyagèrent entre son grand-père et son frère. Mais il n'avait plus de raison de cacher la vérité. Ils savaient déjà de toute façon. « Parce que Ludwig était avec moi toute la nuit. » Un puissant rugissement emplit la pièce tandis que de nouveaux avions volaient au-dessus d'eux. Les Américains attaquaient ; les Allemands étaient prêts. Une bataille aérienne était largement entamée.
Lovino secoua la tête, affolé et ahuri. Avec désespoir, il regarda Feliciano, puis Roma, puis la porte. Et il se brisa. Ses jambes s'écroulèrent sous lui et Roma l'allongea délicatement au sol. « Je n'aurais jamais dû partir, » hoqueta Lovino à travers des sanglots déchirants. « Je n'aurais jamais dû faire cette stupide promesse. Je n'aurais jamais dû... oh ciel... Antonio... » Lovino tremblait, impuissant, le visage blanc et horrifié, le regard farouche et incrédule. Feliciano n'aurait jamais cru voir un jour son frère ainsi et il avait l'impression que son propre cœur avait été déchiré, comme si son propre monde s'écroulait aussi.
- Tu as fait la seule chose que tu pouvais faire, » dit doucement Roma. « Tu l'as écouté lorsqu'il t'a dit de partir. Tu as fait ce qu'il fallait.
- Non. Non. » Lovino semblait enfin épuisé, vidé, et il s'accrochait à Roma qui lui caressait les cheveux et lui murmurait doucement :
- Nous ferons tout ce que nous pourrons pour lui, Lovino. Tout ce que nous pourrons. »
Feliciano se tenait là et regardait, les larmes dévalant ses joues, complètement perdu. Il ne savait pas quoi dire, quoi faire, quoi ressentir. Antonio avait été capturé, Lovino était détruit. Papy Roma ne pouvait rien faire. Et Feliciano ne pouvait s'empêcher de penser, tandis que les bruits de bataille s'intensifiaient, que Ludwig était là-haut. Que Feliciano ne pouvait pas savoir s'il le reverrait un jour. Tout ce que Feliciano savait, tout ce sur quoi il pensait pouvoir s'appuyer, tout s'écroulait autour de lui. Feliciano se sentait perdu, effrayé, confus. « Qu'est-ce que ça veut dire, Papy? Qu'est-ce qu'il va se passer maintenant? » Le bruit de l'extérieur envahissait le silence de la pièce : les détonantes explosions non-loin, le rugissement des moteurs au-dessus de leurs têtes, la terrifiante, tempétueuse et déchirante clameur d'une lointaine bataille qui était bien trop proche.
Papy Roma secoua la tête tandis qu'il berçait doucement Lovino. « Je ne sais pas. »
Quelques mois plus tard...
- Tour de contrôle à Leader Schwarz. Approchez, Leader Schwarz. Quelle est votre position? »
La voix crépita depuis les haut-parleurs jusqu'aux oreilles de Ludwig, manquant de le surprendre dans le calme et le silence relatif du vol. Il se débarrassa rapidement de son état de sérénité, surpris et agacé de s'être si facilement autorisé à rêvasser. Il scruta les cieux clairs dans son champ de vision en se préparant à répondre. Il ne pensait pas avoir à le faire aussi tôt. Ils étaient presque de retour à la base, revenant d'une longue mission visant à escorter des bombardiers jusqu'à leur nouvelle base sur la frontière autrichienne. Ludwig était fatigué, vidé, et manquait à la fois d'essence et d'énergie. Il pouvait aisément deviner que les trois membres de l'escadron qui l'accompagnaient étaient dans le même état. Ludwig remit son masque en place pour répondre. « Ici Leader Schwarz à tour de contrôle. Nous sommes actuellement sur vecteur un-sept-trois en direction deux-quatre-cinq, tout semble normal. Terminé.
- Merci, Leader Schwarz. Nous avons reçu des rapports de chasseurs ennemis patrouillant dans votre zone. Soyez sur vos gardes. Terminé. »
Ludwig scruta à nouveau le ciel avec attention, son regard allant de la vaste étendue bleue qui le surplombait aux larges champs verdoyants de la campagne en-dessous de lui. Sa poitrine se serra à cette vue, comme elle le faisait toujours, sa mémoire l'assaillant d'herbe verte, de chênes et de magnifiques, parfaits après-midis. Levant les yeux, son regard se posa sur la petite fleur rouge et abîmée qu'il avait attaché à l'avant du cockpit.
Il pensait constamment à Feliciano ces jours-ci. Des pensées, des souvenirs – tout ce que Ludwig avait pour tenir. Il n'avait plus vu Feliciano depuis la magnifique et orageuse nuit, presque semblable à un rêve, où ils s'étaient séparés. Observer Feliciano dormir, s'habiller en silence et glisser la précieuse photographie dans son portefeuille, déposer un dernier baiser sur la peau douce et chaude de Feliciano et l'entendre soupirer dans son sommeil... Laisser Feliciano cette nuit-là fut la chose la plus difficile que Ludwig ait jamais fait. Et puis tout se changea en enfer. Les Américains débarquèrent et forcèrent l'unité de Ludwig à se retirer. Des mois de batailles aériennes désespérées, de retraite constante ; à perdre des appareils et des hommes, toujours à perdre des hommes. Vingt-deux ans et Ludwig était l'un des vétérans du front italien. Son pays et son devoir avaient toujours tout été pour Ludwig. Et pourtant, maintenant, après avoir vu plus de guerre et ressenti plus de paix qu'il ait jamais rêvé de pouvoir supporter, il était étrange de constater la fréquence à laquelle les paroles simples, naïves et honnêtes de Feliciano résonnaient dans la tête de Ludwig. "La Suisse, Ludwig. Je partirais tout de suite si tu me le demandais. A la seconde."
Ludwig tâcha de remettre de l'ordre dans ses pensées et parla à nouveau dans son masque. « Nous n'avons aucun appareil en vue en ce moment, tour de contrôle. Si quelque chose change nous vous tiendrons au courant. Je répète, notre destination actuelle est deux-... »
L'explosion arriva de nulle part. Une traînée rouge enflammée se rua vers le côté droit de l'avion et Ludwig, par réflexe, augmenta rapidement son altitude. Ses yeux se posèrent sur les rétroviseurs et, cette fois, il le vit. Indéniable. Un avion plongeant derrière lui, un Mustang, se rapprochant rapidement. Ludwig jura bruyamment. Il écrasa les commandes et changea de canal audio pour s'adresser à ses camarades pilotes. « Attention, attention, Mustang en approche, prenez des me... » Et il y en eu d'autres. Le ciel derrière lui fut soudain rempli d'avions ennemis, sortant du soleil, surgissant de nulle part. Ludwig en compta quatre avant de se raidir, d'attraper les commandes de l'avion et de crier. « Rompez la formation et engagez le combat! »
Ludwig donna un coup de pied au gouvernail vers la gauche et fit faire une brutale embardée à son appareil. Le premier Mustang s'engagea juste derrière lui avec assurance. Autour de lui ses trois pilotes exécutèrent ses ordres et l'escadron se rompit calmement. « On monte, » cria Ludwig. « Montez en formation d'altitude. Exécutez immédiatement les manœuvres d'esquives, nous sommes attaqués.
- Schwarz Deux, suivez ça, » s'éleva la voix de son équipier. Ludwig le connaissait à peine. Il connaissait à peine chacun des pilotes, ils étaient tous d'assez jeunes recrues... Trop de pilotes avaient été perdus récemment. C'était censé n'être qu'une mission simple. Une pause pour Ludwig et une séance d'initiation pour la bleusaille. Une embuscade des forces alliées étaient la dernière chose qu'il leur fallait, surtout épuisés comme ils l'étaient de leur dernière mission. Leurs voix parurent alarmées lorsqu'ils parlèrent sur le canal audio sans même utiliser leurs noms de code.
- D'où est-ce qu'ils arrivent, putain?
- C'est les Anglais?
- Non, c'est les Américains.
- Bordel, je suis trop crevé pour cette merde. »
Une autre explosion retentit entre les avions et l'estomac de Ludwig sursauta, ses nerfs légèrement tiraillés par la nature inattendue de l'attaque et par les pilotes inexpérimentés qu'il dirigeait. « Fermez-la et concentrez-vous. Il faut qu'on gagne de l'altitude. » Ils devaient monter au-dessus des Mustangs pour pouvoir leur coller au train. Ils avaient besoin de gagner l'avantage dont ils manquaient gravement. Ludwig continua sa lente ascension mais le Mustang derrière lui suivit facilement, maintenant sa hauteur par rapport à lui tout le long. Puis il disparut. Ludwig cligna des yeux, ébloui par la vitesse à laquelle l'avion avait quitté son champ de vision. « Mais où est-ce qu'il est pa... »
Soudain, le Mustang apparut devant lui, arrivé de nulle part. En quelques secondes, Ludwig réalisa de qui il s'agissait. Les mots attiraient l'attention, armoriés, trop évidents, sur le côté du Mustang P-51. "Lady Beth". Ludwig jura et fit plonger brutalement son avion. Son équipier sembla avoir remarqué au même moment.
- Bordel, leur chef est le Magicien, » fit sa voix paniquée dans le canal.
- Quoi? Ce gars est inhumain, il est...
- Je vous ai dit de fermer vos gueules! » cria Ludwig. Il devait garder ses hommes calmes même lorsqu'ils combattaient. Mais il comprenait leur détresse. Il connaissait cet Américain. Il l'avait combattu auparavant, de nombreuses fois, depuis que les Américains avaient débarqué. Et il méritait son nom, impossible à repérer, trop rapide et évasif. Mais Ludwig serra les dents et sourit d'un air sinistre. Le "Magicien" était peut-être le meilleur de ce que les Américains avaient à envoyer. Mais Ludwig était définitivement le meilleur de ce que les Allemands avaient à leur opposer. « Je m'occupe de celui-là. Occupez-vous des avions qui vous suivent. »
Ludwig redressa son avion et effectua une rotation qui le mena à une rapide remontée. Comme il le pensait, le Mustang n'était pas capable de redresser aussi vite que lui et Ludwig eut enfin l'avantage de l'altitude sur l'Américain. Il tâcha de le garder. Il scruta rapidement l'espace aérien dans son champ de vision, ne voyant heureusement rien d'autre que les quatre avions qui leur avaient tendu une embuscade. Il prit rapidement de l'altitude en spirale, essayant de trouver une position avantageuse pour attaquer. Ses haut-parleurs grésillèrent une nouvelle fois.
- Ici tour de contrôle à Leader Schwarz. Nous avons perdu votre signal audio. Quelle est votre situation, terminé? »
Ludwig plongea vers l'arrière du Mustang, inspira, se concentra et tira trois coups droit vers lui. Le Magicien les esquiva facilement. Ludwig jura bruyamment dans le canal. « Nous avons été attaqués par quatre Mustangs ennemis et sommes en train de nous défendre. Il semblerait qu'ils suivent une formation en échelons et... une seconde, tour de contrôle, on dirait que... » Les yeux de Ludwig s'écarquillèrent. Dans le ciel, devant lui, deux nouveaux Mustangs ennemis apparurent. Il vérifia ses rétroviseurs pour en voir deux autres arriver par derrière. Et soudain, ils furent encerclés. Ludwig sentit son pouls battre vite mais régulièrement dans ses oreilles. Ses paumes se couvrirent de sueur. Sa gorge devint sèche tandis qu'il essayait de déglutir. Ils étaient trop nombreux. « Tour de contrôle, nous sommes encerclés. Nous nous préparons à fuir. » Il changea de canal d'une main ferme. « Leader Schwarz à escadron Schwarz, restez en altitude, préparez-vous à fuir, nous sommes... » Bon sang, les Américains étaient partout. « Scharz Trois, un Mustang arrive sur toi. » Il n'y eu aucune réponse et aucune tentative de fuite de la part du pilote. La panique, la colère et la frustration montèrent dans la poitrine de Ludwig. « Bordel, Schwarz Trois, plonge! En piqué!
- Je suis touché!
- Ejection, » hurla frénétiquement Ludwig. « Schwarz Trois, éjection immédiate! » C'était trop tard. Le Messerschmitt se changea en brasier, ses pièces explosant en tous sens et laissant des trainées ardentes de fumées noires et blanches. Ludwig le regarda avec des yeux vides, son cerveaux lui hurlant de faire quelque chose, de donner un ordre qui pourrait résoudre cette situation désespérée. Il avait perdu un homme. Il n'en perdrait pas un autre. Il essaya de surveiller les Mustangs ennemis alors même qu'il faisait face à leur imperturbable leader tournant autour de lui en une invraisemblable spirale. Derrière lui, Ludwig pouvait voir les avions effectuer une formation en échelons. Un escadron à basse altitude venant de l'est, un autre à haute altitude venant du sud. Son corps battait sous une tension contrôlée. Il n'y avait rien d'autre à faire. Ils ne pouvaient pas remporter ce combat. Il donna ses ordres, la respiration calme, la tête claire.
- Ici Leader Schwarz. Effectuez immédiatement un rapide plongé en piqué puis séparez-vous en différents paliers de vol en direction deux-cinq-sept, vers la base. Essayez de les semer. Ce combat est impossible. » Les deux avions quittèrent son champ de vision tandis qu'ils suivaient ses ordres. Un instant plus tard, la voix de son équipier retentit dans les haut-parleurs.
- Leader Schwarz, vous n'avez pas exécuté la manœuvre. »
Ludwig répondit calmement. « Suivez mes instructions et dirigez-vous vecteur deux-cinq-sept.
- Mais monsieur...
- C'est un ordre direct. Terminé.
- Lieutenant! »
Ludwig coupa le canal, mobilisa toute sa concentration et prit une profonde inspiration étranglée. Il regarda les commandes, le sol, la précieuse fleur rouge. Puis son regard croisa le commandant américain, leur dénommé Magicien. Il vérifia ses rétroviseurs pour voir ses hommes voler au loin, ayant semé les mustangs les plus lents avec succès, puis il se positionna pour assurer une concentration complète et ininterrompue sur son propre avion. Huit appareils américains l'encerclaient à présent. Mais le Magicien était la seule cible de Ludwig. « Approche, Magicien, » murmura-t-il, l'excitation, l'anticipation et une concentration régulière battant dans sa tête. « Eblouie-moi. »
Ludwig ne mit que peu de temps à se perdre une nouvelle fois dans le chaos contrôlé et tourbillonnant d'un combat aérien. Il laissait son esprit s'apaiser et Greta devenir une extension de lui-même. La laissait dominer, laissait ses instincts prendre le contrôle, jusqu'à ce que Greta semble tourner, vriller et attaquer d'elle-même. Le premier appareil ennemi tomba presque avant que Ludwig ne réalise qu'il tirait. Mais même alors que le Mustang tombait dans une pluie d'étincelles, un autre le remplaçait. Et ce putain de Magicien collait encore au train de Ludwig et refusait d'en démordre. Un autre avion descendit sur lui et Ludwig effectua une vrille sur le côté pour le dégager. Et une fois de plus, le Magicien disparut, vite remplacé par un autre Mustang. Ce groupe était bien organisé, contrôlé et pourtant imprévisible. Et quelque part au fond de lui, Ludwig avait le sentiment étrange qu'ils jouaient avec lui, ou bien, même si c'était impensable, qu'ils lui accordaient une sorte de chance. « Saleté d'Américains, » grogna Ludwig pour lui-même tandis qu'il tâchait de surveiller le vol des Mustangs derrière lui.
Ludwig monta d'un niveau, capta un Mustang dans son champs de vision et tira directement. L'avion ennemi fit un tonneau et tomba dans une traînée de fumée noire. Se retournant immédiatement, Ludwig sema un autre avion qui le collait tout en scrutant le ciel à la recherche de cibles. Puis la fumée se dissipa et il le vit. Le cœur de Ludwig battit plus fort tandis qu'il cherchait une meilleure vue sur le commandant américain. Le Magicien. Le "Lady Beth". Ludwig l'avait dans son collimateur. Ses mains se crispèrent sur les commandes. Il se cala correctement et sourit sinistrement tandis qu'il se préparait à tirer.
Et sa vision fut obstruée lorsque le coéquipier du Magicien apparut soudain devant lui, la feuille d'érable rouge ornant son Mustang le rendant immédiatement reconnaissable. Le coéquipier effectua un demi-tour inattendu et tira droit sur l'avion de Ludwig. Ce dernier voulut effectuer une manœuvre en tonneaux pour l'éviter mais c'était trop tard. Le coup déchira le moteur et l'avion trembla tandis qu'il perdait de l'altitude. Ludwig devait se battre avec les commandes pour conserver le niveau de vol. « Plus haut, Greta, » grogna-t-il. « Plus haut, plus haut! » Il était furieux contre lui-même. Il aurait dû prévoir l'arrivée du coéquipier du commandant, aurait dû l'attendre. Mais personne ne semblait jamais le remarquer avant le dernier moment. Ludwig secoua la tête pour s'éclaircir les idées. Il ne tomberait pas comme ça. Pas sans entraîner le Magicien dans sa chute.
Mais Ludwig pouvait voir la fumée s'échapper du côté de son avion. Le moteur faiblit, crachotant dans sa lutte pour conserver sa puissance. Ludwig essaya de remonter mais cela devenait impossible. Son avion volait bien trop lentement. Il attrapa son masque et alluma le canal. Il n'y avait, à nouveau, qu'une seule chose à faire. « Leader Schwarz à Tour de Contrôle. Je suis touché. Mon moteur est en panne. Je vais faire une tentative d'atterrissage.
- Leader Schwarz, vous êtes sur le territoire des forces alliées.
- Je n'ai pas le choix. » Un nouveau coup. Son avion pencha sur le côté et Ludwig se battit pour le redresser à nouveau. Ce n'était pas bon. Il tombait. « Mon aile droite est touchée. Je dois atterrir immédiatement. »
Il y eut un léger silence avant que la Tour de Contrôle ne réponde. « Bonne chance, Leader Schwarz. »
Ludwig arracha son masque et tâcha de respirer, de redresser son avion, de survivre. Dans ces conditions, il ne pouvait pas atterrir en toute sécurité. Mais s'il ne descendait pas maintenant l'avion partirait bientôt en un tête-à-queue mortel. Il entama une descente en escalier, l'escadron de basse altitude aligné derrière lui. Il ne leur prêta aucune attention. Toute sa force, toute sa concentration, était tournée vers le contrôle de son appareil défectueux qui devenait rapidement incontrôlable. Une pluie d'étincelles ricocha contre la fenêtre. Une fumée blanche commença à envahir le cockpit. Sa vitesse augmenta. Il grinça des dents et tâcha de rester concentré.
Mais un millier de pensées et d'images s'imposèrent soudainement dans son esprit. Jouer avec les longs cheveux blancs de son grand-père lorsqu'il était petit. Regarder Gilbert leur faire un signe d'adieux en montant dans le train, tiré à quatre épingles dans son nouvel uniforme d'infanterie. Et Feliciano : magnifique, étrange, merveilleux Feliciano. Le seul aux yeux de Ludwig, son monde. Feliciano courant et riant dans l'herbe chaude et verte, plaçant une fleur dans sa veste, souriant joyeusement pour une photo, hoquetant sous lui dans un grenier à foin, s'agrippant à ses bras et le suppliant de s'enfuir avec lui. La vue de Ludwig s'obscurcit et se flouta sous l'effet de la fumée alors qu'il tendait le bras à travers le cockpit en direction de la fleur rouge. "Tiens Ludwig, tu peux prendre ça. En italien, "fleur" se dit "fiore"!"
Le sol approchait, les larges champs verts s'élevaient bien trop vite vers lui. Ludwig tira l'avion en position d'atterrissage, se prépara et serra la petite fleur abîmée contre sa poitrine. A la dernière seconde il ferma les yeux. « Feliciano... »
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auf Wiedersehen sweetheart (français)
Fanfictiontraduction française de la fanfiction "auf Wiedersehen sweetheart" par goerge deValier: "Seconde Guerre Mondiale, en Italie ; Feliciano Vargas est un membre passionné mais peureux de la résistance italienne. Tomber amoureux d'un pilote de combat all...