Chapitre n°15

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Le printemps passa dans un brouillard de douleur et de confusion. Des draps blancs, des mains froides, un linge frais qui se réchauffait au contact de sa peau brûlante. Des visages qui dérivaient dans sa vision brumeuse et indistincte – Lovino, Papy, des personnes étranges qu'il ne connaissait pas. De l'eau au goût de métal, de la nourriture qu'il ne pouvait pas avaler. Quelqu'un qui priait ; quelqu'un qui pleurait. L'odeur propre et chaude des fleurs et des herbes du jardin. Et toujours les rêves. Des rêves de Ludwig, de chênes et de feu de cheminé, d'après-midi d'hiver dont Feliciano n'était pas sûr qu'ils soient réels. Mais maintenant, il ne pouvait pas être sûr que quoi que ce soit fût réel.
Lorsque Feliciano se réveilla, l'été avait déjà commencé. Avec les Allemands loin du village, Papy et Lovino travaillaient à nouveau dans les champs. Feliciano passait ses journées assis dans le jardin, parfois à lire, parfois à se souvenir. De temps à autres, Antonio le rejoignait. Feliciano était reconnaissant pour sa compagnie, mais Antonio toussait tellement que cela rendait la conversation difficile. Habituellement, ils se contentaient de regarder le ciel en silence pendant des heures, mais Antonio avait toujours l'air de souffrir. Très rarement, s'il n'avait pas trop mal, Lovino aidait Feliciano à marcher jusqu'au chêne. Mais lorsque Feliciano parlait de Ludwig, Lovino se contentait de regarder ailleurs.
Feliciano ne se souvenait pas de l'hôpital. Il ne se souvenait pas que l'on ait retiré la balle de sa peau. Il ne se souvenait pas avoir été ramené chez lui, à peine conscient. Tout ce dont Feliciano se souvenait, c'était de voir le visage de Ludwig, de sentir ses bras, d'entendre sa voix tandis qu'une douleur perçante déchirait son corps. Tout ce qu'il savait, c'était que Ludwig était parti. Tout ce qu'il tâchait de faire, jour après jour, c'était de se débarrasser de son angoisse, et d'ignorer sa peur. Ce n'est qu'en automne que Papy Roma assit Feliciano à la cuisine et essaya de lui expliquer.
- Feliciano. Je veux que tu m'écoutes, et je veux que tu sois fort, d'accord ? »
Le regard de Feliciano s'écarta des yeux tristes et inquiets de Roma. Il écouta le tic-tac de l'horloge retentir comme le tonnerre dans la pièce silencieuse et regarda les feuilles d'automne flotter paisiblement dans le jardin par la fenêtre. « Je ne crois pas que j'aie envie d'entendre, Papy. »
Feliciano ne résista pas lorsque Roma tendit le bras et prit sa main sur la table de bois tiède. « S'il-te-plaît, Feli. J'ai attendu trop longtemps pour te le dire. Tu as attendu trop longtemps pour l'entendre. » Feliciano ne répondit pas, mais n'arracha pas non plus son regard aux feuilles qui dansaient dehors. « Feliciano… Tu te souviens d'Alfred ? Ton ami américain, le pilote ?
- Oui. » Feliciano ignora le pincement dans sa poitrine, le battement irrégulier de son pouls. Il ne voulait pas ressentir. Il avait passé des mois à essayer de ne pas ressentir. Feliciano était dégoûté et fatigué de ressentir.
- Tu sais bien comment Lovino et moi avons pu le sauver, n'est-ce pas ?
- L… Lud… » Feliciano ferma les yeux, fermement. Il ne pouvait pas dire son nom. S'il disait son nom, ce serait trop réel, et cela serait trop douloureux. « Il te l'a dit.
- Oui, » dit doucement Roma. « Je me disais que tu le savais. »
Bien sûr qu'il savait. Même si Roma et Lovino étaient restés plutôt silencieux, il n'avait pas été difficile pour Feliciano de recoller les morceaux. Certes, il ne savait pas tout. Mais avec ce qu'on lui avait dit, avec ce qu'il avait entendu et avec ce qu'il avait compris de lui-même, Feliciano en savait assez. Comment Alfred avait été descendu et capturé. Comment Ludwig avait révélé à Roma la position d'Alfred et avait planifié une évasion. Comment Roma et Lovino avaient ramassé le pilote américain et l'avaient emmené à une base américaine. Comment ni son Papy ni son frère ne voulait en dire plus à Feliciano.
Roma parla doucement, comme s'il avait peur de briser le silence, ou quelque chose d'autre. « Feli. La nuit où Ludwig nous a amené Alfred… juste après nous avoir confié Alfred… » Roma prit une profonde inspiration et prononça calmement les mots suivants. « Feli, ce que Ludwig a fait était très noble, et très brave. C'était aussi contre la loi militaire. Cette nuit, Ludwig a été arrêté par la Gestapo. »
Les mots déchirèrent le cœur de Feliciano comme une nouvelle balle. Il ne pouvait plus contenir ses sentiments, ses peurs, et ses soupçons dont il avait essayé de se débarrasser pendant des mois. Encore une fois, il ne pouvait plus respirer, sa peau devint froide, la pièce tournoya comme les feuilles qui tombaient dehors, et tout ce que Feliciano pouvait penser était… « La Gestapo… La Gestapo avait Antonio… Oh mon Dieu… »
Roma l'interrompit, bruyant et ferme. « Non, Feli, écoute-moi. Ils ne lui ont pas fait ça. »
Feliciano ravala ses larmes, cligna des yeux suppliants vers Roma. Il grinça des dents et secoua la tête. Ne le dit pas… ne le dit pas… « Non. »
Roma pressa la main de Feliciano. « Ils ne l'ont pas tué non plus. Ludwig était très connu en Allemagne. L'armée allemande n'exécuterait pas un de ses pilotes les plus reconnus à un moment aussi crucial – le dommage moral serait trop drastique. »
Feliciano dut faire une pause pour respirer. Il posa une main à l'endroit où la balle avait déchiré sa peau. Cette panique froide était épuisante et la vieille douleur dans sa poitrine grandissait et s'aiguisait. « Alors quoi ? » demanda-t-il avec hésitation. Il ne voulait pas savoir, mais il avait besoin de savoir, et tout ce que pouvait penser Feliciano c'était que son cœur était sur le point d'être brisé de façon irréparable. « Qu'est-ce qu'il est arrivé à Lud- à Ludwig ? »
Roma expira bruyamment. « Tout ce que nous savons, c'est qu'il a été envoyé sur le front russe. Il a probablement été placé dans une unité punitive. »
Feliciano ne comprenait pas. « Une quoi ?
- C'est comme une prison militaire. Des unités de combat faites de criminels et de traîtres. On leur confie les missions que l'on considère trop dangereuses pour l'armée normale, et… » Roma s'interrompit et soupira. Feliciano attendit qu'il poursuive. « Et aucun ne survit très longtemps. »
La pièce devint plus sombre – un nuage avait sûrement flotté devant le soleil. Feliciano resta assis en silence, à se demander pourquoi il ne hurlait pas, à se demander pourquoi il n'était pas en train de tomber au sol. Étrangement, il se sentait simplement engourdi. « Oh. » Feliciano regarda à nouveau par la fenêtre en attendant que le ciel s'éclaircisse à nouveau. « Pourquoi tu ne me l'as pas dit ?
- Tu étais malade, Feli. J'avais déjà si peur que tu ne survives pas. Je suis désolé. »
Feliciano hocha la tête. « Mais tu ne sais pas. Tu n'es pas sûr qu'il est mort.
- Non. Mais… Oh Feli, je suis vraiment désolé, mais… mais il vaudrait mieux que tu l'oublies. »
Ces mots stupéfièrent Feliciano. Il ne pouvait même pas être sûr de les avoir entendus correctement. Sa tête se redressa brusquement et il fixa Roma d'un air incrédule. « L'oublier ? »
Roma avait presque l'air coupable. « Je ne supporterai pas de te voir comme ça pour toujours. Avant, tu riais et tu chantais. » Roma cligna lourdement des yeux et regarda la table. « Tu souriais. » Il secoua la tête comme pour chasser ses pensées et se concentra de nouveau sur Feliciano. « Ludwig ne reviendra pas, Feliciano. L'oublier c'est… » Roma haussa les épaules. « C'est tout ce que tu peux faire. »
Feliciano n'arrivait pas à y croire. Il en rit même. Oublier Ludwig – il n'avait jamais entendu de suggestion plus impossible. Il regarda Roma dans les yeux. « Et si je te disais d'oublier Mamie. D'oublier Maman. Est-ce que tu en serais capable ? »
Roma ferma douloureusement les yeux. « Feli… »
Feliciano cligna des yeux et sentit son regard dériver une fois de plus. Était-ce vraiment la fin ? Était-ce vraiment la dernière chose qu'il entendrait au sujet de la personne qui comptait plus pour Feliciano que qui ou quoi que ce soit qu'il ait jamais connu ? Tout était trop calme. Tout était trop silencieux. Il aurait dut y avoir un tremblement de terre ; le ciel aurait dut tomber. Pourquoi est-ce qu'il ne hurlait toujours pas ? Pourquoi n'était-ce pas la fin du monde ? « Alors je ne saurai jamais. » Feliciano réalisa à peine qu'il avait prononcé ces mots à voix haute. « Je ne saurai jamais s'il est mort rapidement. S'il a souffert, s'il était seul. Je ne saurai jamais si c'était une balle ou le froid ou…
- Arrête, Feliciano ! » L'ordre de Roma fut une intrusion surprenante dans les pensées de Feliciano. « Tu ne peux pas penser comme ça, tu ne peux pas, ça va te rendre fou ! »
Feliciano lâcha un court soupir. Il devait se débarrasser de l'image terrifiante de Ludwig qui tombait sans vie dans la neige russe. Il essaya encore, désespérément, de ne pas penser de ne pas ressentir. « Je ne veux plus rien entendre, Papy. » Feliciano réalisa que sa main était encore dans celle de Rome et la retira d'une secousse. « Je veux juste partir. »
Et à nouveau l'hiver. Un an depuis que Feliciano avait rencontré un officier allemand sur une route de campagne et que le monde avait changé. Un an depuis que Feliciano avait trouvé la seule vraie chose qui comptait dans la vie. Feliciano remarqua à peine le passage de la saison et le retour au printemps. Remarqua à peine que la guerre se poursuivait, maintenant dans d'autres pays, d'autres villages. Se réjouit à peine lorsque les nouvelles de la reddition de l'Allemagne vinrent, suivies quelques mois plus tard par celle du Japon. Les jours se suivaient, vides. Les mois s'étiraient, stériles. Feliciano ne le remarqua même pas lorsque la guerre se termina.
 
 
Automne, 1947
 
 
Feliciano finit par s'habituer à une certaine forme d'engourdissement. C'était le seul moyen pour lui de continuer, jour après jour. Il ne se souvenait pas toujours consciemment de Ludwig, ces jours-ci. A la place, c'était comme une ombre constante, une présence qui était toujours là, toujours avec Feliciano, près de lui et en lui. Près de quatre ans avaient passé depuis la dernière fois où Feliciano avait vu Ludwig. La Resistenza était brisée, changée en un mouvement politique avec lequel Roma ne voulait rien avoir à faire. Maintenant, Roma travaillait dans les champs. Feliciano aidait comme il pouvait, mais il s'essoufflait encore de temps en temps, et la douleur de la blessure dans sa poitrine l'empêchait de travailler trop longtemps. Lovino et Antonio avaient déménagé, plus près du docteur de la ville. Et quand bien même tout changeait, rien ne changeait. Feliciano ne savait pas s'il lui restait de l'espoir, ni où il aurait pu s'échapper ; il ne savait pas s'il attendait, ni ce qu'il attendait. Tout ce qu'il savait, c'était qu'une part de lui – une part de lui minuscule, persistante, têtue – refusait de laisser partir Ludwig.
Alors les jours et les mois et les années passaient lentement, engourdis. La plupart des jours étaient corrects. Des mois pouvaient passer dans une étrange normalité apparente. Mais parfois la vieille douleur l'envahissait. Cela pouvait être un simple détail – l'odeur du romarin, une fleur rouge tombée d'un arbre, les accords familiers d'une vieille chanson. Alors Feliciano se souvenait du rire profond de Ludwig, et de la sensation de ses lèvres de l'odeur de sa veste et du bleu de ses yeux. Il entendait presque la voix de Ludwig, sentait presque sa grande main dans la sienne. Et Feliciano avait tant besoin de lui qu'il tombait, ou hurlait, ou jetait quelque chose, n'importe quoi, contre le mur. Il ressentait trop, comme il le faisait auparavant, et l'angoisse griffait sa poitrine jusqu'à ce qu'il ait presque envie de mourir.
Les jours comme ça, tout ce que Feliciano pouvait faire, c'était marcher jusqu'au chêne. Il regardait le ciel s'assombrir, sentait le vent se rafraîchir. Et il s'autorisait à se souvenir. Il essayait de ramener à sa mémoire chaque mot que Ludwig lui ait dit. Il chantait doucement « Bella Ciao » et « Auf Wiedersehen, Sweetheart ». Il ramassait des fleurs et se souvenait des grandes mains de Ludwig qui tenaient la petite marguerite rouge, de la voix de Ludwig qui disait qu'il s'agissait de son porte-bonheur. Il se demandait si Ludwig avait encore la fleur, ou s'il la tenait en poussant son dernier soupir. Il courait dans l'herbe et se souvenait de la sensation de tomber en riant aux côtés des yeux les plus bleus et du sourire le plus gentil qu'il ait jamais vu.
Les jours comme ça, Feliciano levait le regard vers les collines, se souvenait avoir marché avec Ludwig et s'être assis sur les ruines d'une vieille église. Se souvenait avoir contemplé le paysage couvert de nuages et la ville minuscules en contrebas, se souvenait avoir cueilli des feuilles d'arbres et pris des photos. Il n'avait plus besoin de la photo de Ludwig. Bien sûr, il la gardait près de son cœur, chaque jour. Mais il n'avait pas besoin de la regarder pour la voir, l'image avait été gravée depuis longtemps dans son cœur et sa mémoire. Et pourtant, parfois, en regardant cette colline qu'il ne pouvait plus gravir seul, Feliciano prenait la petite photo dans sa poche. Il passait ses doigts sur l'image du visage de Ludwig, sur les mots au dos. Auf wiedersehen, sweetheart. Et il se souvenait.
Les jours comme ça, Feliciano laissait ses yeux s'aventurer en direction de la vieille grange, et se souvenait de la nuit la plus merveilleuse de sa vie. De la confusion de Ludwig face à une cheminée dans une grange, de sa surprise muette en voyant Feliciano retirer ses vêtements. Des mains délicates de Ludwig, de sa peau chaude ; de ses yeux assombris et de son souffle rapide. Des battements du cœur de Ludwig contre l'oreille de Feliciano, de ses grands bras sûrs qui tenaient Feliciano comme s'ils ne le lâcheraient plus jamais.
Aujourd'hui était l'un de ces jours. Le soleil se teintait d'orange brûlé dans le ciel sans nuage de la mi-journée tandis que Feliciano s'asseyait à la place familière contre l'arbre, l'écorce dans son dos polie par les années jusqu'à en devenir presque douce. Il faisait tourner une feuille entre ses doigts d'un air absent, fredonnait pour lui-même, sentait la paix que cet endroit évoquait l'envahir doucement. C'était là, l'ailleurs de Feliciano, maintenant. C'était le centre de sa mémoire, le répit de son âme et le reposoir de son cœur.
Le jour se déroulait, lent, calme et tranquille, jusqu'à ce que le ciel commence à s'obscurcir peu à peu. Une brève bourrasque de vent secoua les feuilles fragiles d'un arbre proche, les envoyant tournoyer devant les yeux de Feliciano. Et presque au même moment, ses cheveux se hérissèrent soudainement sur sa nuque. Un étrange pincement de méfiance prit naissance dans ses épaules. Feliciano ne mit que quelques instants à comprendre que quelqu'un l'observait. Un éclair de peur parcouru son crâne, descendit le long de sa colonne vertébrale, et il sauta aussitôt sur ses pieds.
L'homme s'approcha lentement de lui, vêtu de façon élégante mais fonctionnelle. Feliciano se plaqua contre le tronc, son pouls accéléré par la peur sous sa peau. Il ne rencontrait jamais d'étrangers par ici. Personne ne venait aussi loin dans les champs ces temps-ci, pas depuis le début de la guerre. Alors qui était cet homme qui s'avançait vers lui d'un pas si déterminé ? Tandis que l'homme approchait, Feliciano eut un hoquet impressionné en remarquant qu'il était incroyablement beau. Il semblait approcher les trente ans et portait un costume bien repassé et des lunettes avec de fines montures métalliques. Ses cheveux bruns sombres tombaient devant son visage éblouissant et son expression solennelle mais aimable. Feliciano attendit, confus. Cet homme ne ressemblait à personne dans le village. Cela dit, étrangement, Feliciano ne se sentait plus effrayé et fit un pas en avant. L'homme s'arrêta à quelques pas, sourit un peu et dit, « Feliciano Vargas ? »
Feliciano sentit sa mâchoire tomber et ses yeux s'écarquiller. Stupéfait et confus, il ne put que balbutier, « Mais qui… Quoi… Comment vous savez comment je m'appelle ? »
L'homme baissa légèrement la tête. « Je vous demande pardon. » Il parlait anglais, avec un accent familier. « Je ne parle pas l'italien. On m'a dit que vous parliez anglais ?
- Oh. » Feliciano passa à l'anglais. « Oui. Désolé, je me demandais juste qui…
- Je m'appelle Roderich Edelstein. Je suis ici de la part de quelqu'un qui ne peut pas venir lui-même. »
Et alors, Feliciano n'entendait plus rien. Son esprit se vida. Il sentit ses mains s'élever incontrôlablement vers son visage, se sentit tomber contre l'arbre derrière lui. Sa poitrine se bloqua et une panique familière, horrible, brûlante, parcourut ses veines. Il secoua la tête mais il n'arrivait ni à voir ni à penser, et lorsqu'il tenta de reprendre son souffle il ne produisit qu'un hoquet étranglé. Il ne voulait pas entendre… Il ne voulait pas savoir… Roderich apparut dans l'ombre envahissante, ses insolites yeux violets écarquillés par l'inquiétude. Sa voix était lointaine.
- Feliciano, s'il-te-plait. Ecoute-moi. J'ai été envoyé par Ludwig Beilschmidt. Je suis venu pour te conduire à lui, si tu le souhaites. »
Ludwig… Feliciano comprit soudain. L'air gonfla ses poumons, la lumière de l'après-midi revint en force et tout prit un sens lumineux, clair et magnifique. Bien sûr ! Il ne comprenait pas comment, ni pourquoi, ni quand c'était arrivé. Mais il n'était pas triste, ni stupéfait ; à la place, il se sentait envahis de joie. Le monde avait été réduit à néant, puis était revenu, étincelant et neuf. Feliciano rit joyeusement, d'un rire bruyant, clair et brillant. « Oh mon Dieu. Je ne m'étais même pas rendu compte que j'étais mort ! »
Roderich cligna des yeux en silence pendant un moment, fronçant les yeux de confusion. « Je te demande pardon ? Mort ? »
Feliciano rit à nouveau. « Eh bien oui, bien sûr. Et vous êtes un ange. Vous devez l'être puisque vous êtes si beau, et que vous allez me conduire auprès de Ludwig, et ça doit vouloir dire que je suis mort. Et vous êtes un ange allemand, d'ailleurs, parce que vous parlez comme le faisait Ludwig, mais votre voix n'est pas aussi profonde et timide et agréable que la sienne. Au fait, comment est-ce que je suis mort ? Oh, mais ce n'est pas important, rien de tout ça n'est important, est-ce que je peux aller le voir maintenant ? Est-ce que vous pouvez m'emmener le voir ? S'il-vous-plaît ? »
Roderich eut l'air perplexe, avant d'éclater de rire et de secouer la tête. « Il m'avait bel et bien dit que tu étais étrange. Non, Feliciano, je ne suis pas un ange. Et tu n'es pas mort. Et Ludwig ne l'est pas non plus.
- Je ne le suis pas ? » Feliciano s'interrompit pour appréhender ce changement de circonstances inattendu. Tout ralentit et tourbillonna autour de lui. Les bourrasques de vent, le soleil qui se couchait. Tout cela n'avait de sens que s'il était mort. Il pouvait comprendre cela. Il pouvait accepter cela. Mais ça, c'était trop. « Alors il est… Alors Ludwig…
- Est en vie. En Allemagne. » Roderich rit encore, doucement. « Et il ne pense qu'à toi. »
Le corps de Feliciano devint froid et rigide. Il ne pouvait pas comprendre, il ne pouvait pas vraiment saisir. C'était trop incroyablement merveilleux, trop étrange et soudain, et s'il se mettait à y croire, il perdrait le contrôle à coup sûr. Il se contenta de respirer profondément, une main sur sa poitrine pour calmer la vague familière de sensations envahissantes. Ludwig… « Non. » Feliciano secoua encore la tête. « Je rêve. Ou je délire, ou… Vous êtes sûr que je ne suis pas mort ? »
Roderich hocha la tête. « Plutôt sûr. »
Le corps figé de Feliciano parut fondre. La sueur perla sur son front, son pouls décolla, brûlant dans ses veines. « C'est juste que je… J'ai attendu si longtemps, et tout le monde disait que Ludwig était… était mort, ou perdu, et que je devais l'oublier, alors je croyais que je ne le reverrais plus jamais, j'étais certain de ne le revoir qu'après ma mort, mais… Mais il est en vie, et… Vous ne comprenez pas, c'est trop, et ça fait si longtemps, et je ne sais pas…
- Respire, Feliciano. »
Ce n'est que lorsque Roderich prononça ces mots que Feliciano réalisa qu'il tremblait, à bout de souffle. Il posa ses mains sur ses genoux et se pencha, prenant de profondes inspirations étranglées. Le doute bouchait encore ses pensées. Cela ne pouvait pas être vrai, il devait y avoir un problème… « Pourquoi est-ce que Ludwig n'est pas venu lui-même ? » Roderich resta silencieux un instant avant de simplement dire, « Il a essayé. »
Les yeux de Feliciano piquaient et sa gorge s'étouffait avec ces émotions trop puissantes dont il avait passé des années à essayer de se débarrasser. « Et vous, comment… Qui… »
La voix de Roderich resta calme, égale. « Je suis un ami du frère de Ludwig. De Gilbert. »
La tête de Feliciano tournait, refusait encore de le laisser accepter cela. Roderich connaissait son nom, connaissait Ludwig et Gilbert, mais pourtant… « Mais comment savoir… »
Roderich répondit à sa question avant même qu'il ne la pose. « Il a ta photo. Il l'a gardée toutes ces années. Tu souris, et tu portes sa veste. Il y a deux mots au dos – bella ciao. »
Les larmes débordèrent. Quelques instants auparavant, ce n'était qu'un autre après-midi d'automne sous le chêne. Maintenant, c'était comme si la vie de Feliciano s'était arrêtée et avait repris. Ludwig. Ludwig était en vie. Ludwig existait quelque part dans le monde, et Feliciano allait le revoir. Feliciano avait envie de rire, de crier, de tomber au sol en disant des remerciements. Mais il se contenta de finalement lever les yeux, ragaillardi, et hocha la tête en essuyant ses larmes. « Est-ce qu'on peut partir tout de suite ? »
Roderich lui sourit gentiment en retour. « Je suis sûr que ton Papy voudrais te dire au revoir, d'abord. »
 
 
- Je crois que le pire que j'ai vu de Gilbert, c'était en Tchécoslovaquie, un été. » Antonio se pencha en avant sur le canapé tandis qu'il parlait en anglais, ses yeux verts étincelants, le visage éclairé et souriant. « Et je vous le dis, quand je dis que c'était le pire que j'ai vu de Gilbert, putain, ça en dit long. »
Roderich leva les yeux au plafond. « Oh, je vous crois. Mais je pense vraiment avoir quelques histoires qui rivalisent avec les vôtres. » Roderich secoua la tête et souffla un rire court et incrédule. « Je n'arrive toujours pas à croire que j'aie rencontré un ami de Gilbert, ici, en Italie ! » Roderich posa délicatement son verre de vin sur la table près de son fauteuil. Feliciano remarqua que tout ce que l'homme faisait était raffiné, délicat. Difficile de croire qu'il ait été dans l'armée.
Antonio et Roderich échangeaient des histoires depuis plus d'une heure, maintenant, délirant d'excitation d'avoir tous deux trouvé une autre connaissance de Gilbert Beilschmidt. Feliciano était stupéfait d'apprendre qu'Antonio avait été ami avec le frère aîné de Ludwig pendant des années, même si cela expliquait plusieurs choses. Antonio répondit à Roderich par un rire. Il ne toussait même pas, ne se tenait pas la poitrine de douleur. L'état mental d'Antonio s'était remarquablement amélioré au fil des dernières années, mais c'était encore inhabituel – Feliciano ne l'avait pas vu aussi heureux depuis le début de la guerre. Il semblait presque revenu à lui. « J'ai appris il y a longtemps que le monde livre les choses les plus étranges, juste au moment où on ne les attend pas. » Antonio sourit à Lovino, qui se contenta de lever les yeux au ciel et de regarder ailleurs.
Feliciano arrivait à peine à se tenir tranquille sur le canapé à l'opposé d'Antonio. Un bonheur brillant, rêvé, incontrôlable, courait dans ses veines comme une marée vive, s'envolait dans sa poitrine et sa tête et illuminait le monde de couleurs éblouissantes et assourdissantes. Chaque rêve impossible que Feliciano avait fait pendant quatre longues années était maintenant juste devant lui, en lui, éclatait autour de lui ; chacune de ces quatre années d'incertitude d'évanouissait et tombait et se réduisait à néant. Papy Roma était assis à ses côtés avec un sourire chaleureux et versait généreusement du vin. Lovino était assis auprès d'Antonio, le visage illuminé de bonheur en le voyant parler de ses vieux souvenirs du frère de Ludwig, Gilbert. Mais même ainsi, avec tout le monde qui parlait et buvait, heureux ensemble, Feliciano ne pensait qu'à partir qu'à rejoindre Ludwig, le voir et le tenir et savoir que cette fois ce serait pour toujours. Demain était trop long à attendre.
- Alors, qu'est-ce qui s'est passé avec Gilbert, en Tchécoslovaquie ? » demanda Lovino en portant son vin à ses lèvres et en baissant la tête. Feliciano gloussa doucement. Lovino faisait de son mieux pour cacher son sourire.
Antonio posa son verre pour pouvoir utiliser son bras droit ; son bras gauche, brisé, avait été amputé l'année précédente. « Eh bien. Est-ce que tu as déjà goûté à l'absinthe ? »
Tout le monde secoua la tête, sauf Roma qui soupira et dit, « Une fois, en Egypte. La fille était magnifique. Nous avons bu le nectar vert et respiré la fumée sucrée d'un narguilé doré. Je ne sais toujours pas si les serpents étaient réels. »
Feliciano et Roderich rirent, Lovino s'écria « Papy ! » d'un air indigné, et Antonio sourit et se pencha en avant à nouveau.
- Ah, mais je vous assure, Signore, que ce narguilé égyptien n'a rien à voir avec l'absinthe Tchèque. Ce truc est sérieusement intense. Gilbert, Francis et moi, on était dans une petite taverne tchèque quand Gilbert a décidé d'y goûter. Parce que bien sûr, Gilbert peut boire n'importe quoi. » Roderich rit doucement en entendant cela. « Alors, il se lève au milieu de la taverne, s'écrit ''Cette pisse tchèque est comme une limonade pour un Allemand !'' et s'enfile la moitié de la bouteille. »
Roderich leva les yeux au ciel en souriant et Feliciano hoqueta bruyamment. « Non !
- Je te le jure, ses yeux lui sont presque sortis de la tête pour rouler sur le plancher !
- Alors qu'est-ce qu'il a fait ? » demanda Lovino en regardant Antonio du coin de l'œil.
Antonio rit en répondant. « Gilbert… est devenu fou. Il a commencé à hurler qu'il devait rentrer en Allemagne à l'instant. Il est sorti dans la rue en courant, a attrapé un pauvre passant par le col et a hurlé, ''WIE KOMME ICH NACH BERLIN ?''
- Oh, oh ! » fit Feliciano tout excité tandis que les autres riaient bruyamment. Il étudiait l'allemand depuis la fin de la guerre. Il était fier de pouvoir traduire la dernière phrase d'Antonio. « ''Comment est-ce que je vais à Berlin ?'' C'est ça ?
Sehr gut, Feli ! » sourit Antonio, et Feliciano sentit un frisson courir sur sa colonne vertébrale à ces mots. Et dire qu'il pourrait entendre Ludwig les dire à nouveau… Bientôt… Antonio fit à nouveau des gestes avec son bras en parlant. « L'homme terrifié a hurlé ''Vlak ! Vlak !'' alors Gilbert descend la rue en courant voir chaque homme qu'il voit et en hurlant, ''Je cherche Vlak ! C'est toi, Vlak ?''
- Qu'est-ce que vous faisiez, vous ? » parvint à dire Lovino entre deux éclats de rire. « Vous n'auriez pas dû l'arrêter ? »
Les yeux d'Antonio s'écarquillèrent d'incrédulité. « Tu plaisantes ? C'était à mourir de rire ! Francis et moi, on l'a suivi quelques pas plus loin en riant comme des hystériques pendant que Gilbert courait de partout comme un lunatique dans les rues de Prague en hurlant, ''Il faut que Vlak me ramène à Berlin !'' »
Roderich avait l'air étrangement peu surpris. « Il a trouvé un Vlak, n'est-ce pas. »
Antonio sourit. « Oui, ça oui. Un monsieur Jakub Vlak, inspecteur de police, qui a emmené un Gilbert très volontaire et enthousiaste en garde-à-vue. On a accouru pour essayer de lui expliquer, mais Gilbert avait l'air plutôt ravi et très content que M. Vlak veuille bien l'emmener à Berlin. »
Roderich porta une main à son front. Il y eut un petit sourire pensif sur ses lèvres, mais son expression parut brièvement douloureuse. « Mein Gott, Gilbert…
- Francis et moi, on a passé tout l'après-midi au poste de police, à parler un mélange ridicule de neuf langues parce qu'aucun de nous deux ne parlait Tchèque, en essayant de convaincre les officiers de ne pas envoyer Gilbert dans un asile pour lunatiques. Par chance, entre temps, il a dessaoulé juste assez pour prouver qu'il n'était pas complètement fou, juste très saoul, et ils nous ont enfin laissé partir.
- Comme ça ? » demanda Roma, l'air douteux.
Les yeux d'Antonio s'illuminèrent. « Pas avant de nous avoir donné une carte pour nous rendre à la gare la plus proche en nous disant de partir. Alors on tire Gilbert de là, on ouvre la carte, et qu'est-ce qu'on voit d'écrit à l'emplacement de la gare ? »
Lovino souffla une exclamation de prise de conscience. « Oh non.
- Oh si. ''Vlak'' » Antonio se redressa et ramassa son verre. « Ça veut dire ''train'' en tchèque. »
Tout le monde éclata de rire à nouveau. Roderich se contenta de secouer la tête, une expression pensive de souvenirs doux-amers sur le visage. « C'est Gilbert tout craché. »
Antonio sourit, compatissant. « Il est un peu dur à supporter, parfois. Mais il est si drôle. Et aussi un homme bon. »
Roderich haussa les épaules, l'expression à nouveau doucement tordue de douleur. « C'est le meilleur homme que j'aie jamais connu. » Feliciano pencha la tête pensivement en regardant Roderich de plus près. Tout ce qu'il savait, jusque-là, c'était que Roderich avait été sur le front russe avec Gilbert. Il n'était pas difficile de voir qu'il aimait aussi profondément Gilbert. Roderich soupira doucement, tendit la main vers son verre, et Feliciano plissa les yeux lorsqu'il remarqua une étrange marque juste au-dessus du poignet de l'Autrichien.
- Roderich, pourquoi est-ce qu'il y a un numéro sur ton bras ? »
Roderich se figea. Un silence lourd tomba dans la pièce. Feliciano se sentit aussitôt confus. Lovino et Antonio jetèrent tous deux un regard au poignet de Roderich, puis regardèrent vite ailleurs. Feliciano commença à craindre d'avoir dit quelque chose de mal.
- Ne sois pas malpoli, Feli, » dit doucement Lovino.
Feliciano sentit ses sourcils se froncer. Pourquoi était-ce malpoli de poser une question au sujet du numéro sur le bras de Roderich ? « Mais je voulais juste…
- Non, ce n'est rien. » Roderich souriait, mais il tira sa manche pour couvrir son poignet. Puis il lança un regard en coin à Feliciano en levant un sourcil conspirateur. « C'est le nombre de Russes que j'ai tué sur le front. »
Feliciano hoqueta, abasourdi. Le numéro était long d'au moins six chiffres. « Oh mon dieu !
- Tu dois être un tireur d'élite, » dit Antonio, mais il le dit d'une voix douce, triste, avec un petit sourire compatissant.
Feliciano avait le sentiment d'avoir raté quelque chose. Incertain, il demanda, « Est-ce que tu as vraiment tué autant de Russes, Roderich ? »
Roderich souffla un étrange sourire tristement amusé. « Non, Feliciano, pas autant. » Il baissa le regard, son sourire tomba et ses yeux s'assombrirent. « Un seul. »
Feliciano ne savait pas quoi en penser. Le silence suivant ne dura cependant qu'un instant, jusqu'à ce que Lovino hoche la tête vers Feliciano. « Feli. Papy est allé à la cuisine. Il veut peut-être parler avec toi. »
Feliciano sursauta en voyant l'espace vide à côté de lui. Il n'avait même pas remarqué le départ de Roma. Soudain effrayé en imaginant ce que son Papy pouvait penser au sujet de son départ, le lendemain, Feliciano s'excusa rapidement et se dirigea vers la cuisine.
 
 
Roma était debout à la fenêtre de la cuisine, à regarder les feuilles d'automne danser dans la brise du soir. Il rit presque pour lui-même. Bien sûr – il fallait que ce soit en automne. Pourquoi est-ce que tous ceux qu'il aimait le quittaient en automne ?
- Papy ? Est-ce que… Est-ce que tout va bien ? » Roma se retourna et sentit son cœur s'alourdir en voyant son petit-fils debout, petit et perdu, dans le cadre de la porte de la cuisine. Il semblait si hésitant. Roma sourit, soupira et haussa un peu les épaules.
- Je suppose que je suis juste un peu triste, Feli. »
Feliciano hoqueta et s'avança dans la pièce, les sourcils froncés par l'inquiétude. « Oh non ! Ne sois pas triste, s'il-te-plaît ! Ne sois pas triste quand je suis heureux !
- Et tu es heureux maintenant, n'est-ce pas ? » Lorsqu'il était petit, Feliciano était si vif et joyeux. Roma n'avait jamais connu d'enfant plus heureux depuis sa fille, sa Renaissa. Voir Feli silencieux et sans joie était mal, douloureux, et pourtant c'était bien trop habituel ces dernières années. Roma n'avait toujours voulu que protéger ses petits-fils. Il voulait qu'ils soient en sécurité. Il voulait qu'ils soient saufs. Roma voulait tout pour ses petits-fils.
Mais Feliciano n'était plus ce joyeux petit enfant. Ce n'était plus à Roma de le protéger. Roma ne pouvait pas faire semblant de comprendre cela : comment ses deux petits-fils étaient tombés amoureux d'un homme. Mais Roma avait failli les perdre tous les deux et il serait idiot de les perdre pour de bon pour une raison pareille. Et même s'il ne comprenait pas, Roma ne pouvait pas changer le simple fait que Feliciano aimait cet Allemand. Aujourd'hui était la première fois où Roma l'avait vraiment vu sourire depuis des mois. Roma avait accepté Antonio pour le bien de Lovino ; accepter cet Allemand était le seul moyen pour que Feliciano soit complètement heureux à nouveau. Et Roma comprit que, plus que tout autre chose, il ne souhaitait vraiment que voir ses petits-fils heureux.
- Je ne sais pas comment ni pourquoi, mais je suppose que cet Allemand est pour toi ce que mon Helena était pour moi. » Roma sourit tristement. Pas un jour ne passait depuis qu'il l'avait perdue sans que sa magnifique Hélène de Troie ne manque à Roma. Sans qu'il ne se souvienne de son sourire, ou de son rire, ou de ses blagues sarcastiques. Sans qu'il ne rêve d'elle. Sans qu'il ne pense à quel point elle serait fière de sa remarquable fille et de ses forts, délicieux et braves petits-fils. « Feli, » dit doucement Roma. « Tu ne seras jamais vraiment heureux sans cet Allemand. »
Feliciano hocha la tête, quoiqu'il semblât légèrement troublé. Il leva vers lui de grands yeux inquiets. « Papy… Il s'appelle Ludwig. »
Roma grinça des dents et tâcha de ne pas avoir un mouvement de recul. Cet homme était un allemand, il avait pris une information vitale à Feliciano et l'avait apportée à l'armée qui occupait le territoire, il était la raison pour laquelle Feliciano s'était pris une balle et en était presque mort. Il avait aussi risqué la Gestapo pour sauver un ennemi, et plus que cela, il était l'homme que Feliciano aimait. Roma prit une profonde inspiration et hocha la tête. « Feliciano, Ludwig est ton bonheur. Et tout ce que je veux, c'est que tu aies ton bonheur. » Roma eut un rire bref. « Mais je ne pensais pas que tu devrais aller le chercher en Allemagne. »
Feliciano eut un sourire brillant ; le genre de sourire qui illumine une pièce, le genre qu'il avait pour habitude de faire si facilement et si souvent. Le cœur de Roma décolla à sa vue. « Tu n'essayerais pas de m'arrêter ? »
Roma ne put réprimer un autre rire. « Tu crois que je pourrais ?
- Non. » Feliciano rit avec lui et Roma se dit qu'il était prêt à tout pour entendre ce son à nouveau.
- Je ne crois pas non plus. Alors. J'ai parlé avec Roderich. » Roma n'avait parlé avec Roderich que peu de temps mais il n'avait pas mis longtemps à comprendre que c'était un homme bon et honnête. « Il a l'air un peu délicat, c'est vrai, mais pour survivre à… eh bien, ce qu'il a vécu, il doit être beaucoup plus fort qu'il n'en a l'air. Reste avec lui. »
Feliciano hocha la tête. « Oui, Papy. »
Roma regarda Feliciano en silence pendant un moment. Il ne savait même pas quand il avait réalisé à quel point Feliciano avait grandi. Vingt-trois ans, et Roma ne pouvait s'empêcher de le considérer comme un enfant. Peut-être, en un sens, le ferait-il toujours. Peu importait à quel point il était loin de la vérité. « Je suis si fier de toi, Feli.
- C'est vrai ? »
Roma eut de la peine en voyant la surprise de Feliciano à ces mots. « Tu te souviens, je te l'ai dit, un jour – tu suis ton cœur. Tu suis ton bonheur. Feli – tu es l'homme le plus courageux que je connaisse. » Roma passa une main dans ses cheveux et soupira avec lassitude. Pourquoi est-ce qu'il avait l'impression de dire au revoir ?
- Je reviendrai, Papy, » dit Feliciano, sincèrement.
Roma cligna lourdement des yeux, éberlué. « Pour sûr, tu vas revenir. Qui a dit que tu ne reviendrais pas ? Par le ciel, tu vas revenir. »
Feliciano leva les mains en riant. « Je sais, je sais ! » Roma lui jeta un regard d'avertissement, en souriant, avant de l'attirer dans ses bras. Feliciano le serra fort contre lui. « Je t'aime, Papy. »
Roma le serra contre lui en se souvenant d'une époque plus simple – lorsque Feliciano ne savait rien de la passion et de l'amour, lorsqu'il était assez petit pour être protégé. Roma était terrifié à l'idée que Feliciano soit si loin, même si ce n'était que pour un petit moment. Après tout, Roma avait toujours voulu que ses petits-fils soient en sécurité. Mais il avait vu Feliciano en sécurité et misérable à la maison, et l'avait vu débordant de joie à la seule mention de ce pilote en Allemagne. Roma avait mis trop de temps à voir la vérité : il ne pouvait pas être heureux si ses petits-fils ne l'étaient pas.
Roma s'écarta et pressa doucement la paume de sa main sur la poitrine de Feliciano. Sa cicatrice était cachée sous sa chemise, mais Roma savait exactement où elle était. L'image de la balle que l'on retirait de sa peau était implantée dans la mémoire de Roma. « Je suis vraiment désolé de ne pas avoir été assez fort pour te protéger, Feli. »
- Ce n'est rien, Papy. Personne n'est assez fort pour tout contrôler. » Feliciano sourit, presque comme s'il se souvenait de quelque chose. « Et rien ne protège de l'amour. »
 
 
Un petit village en Allemagne…
 
 
Aldrich Beilschmidt se détourna brièvement, ferma les yeux et passa une main dans ses longs cheveux blancs. Ludwig avait à peine quitté cette place près de la fenêtre depuis des semaines. Il n'avait rien dit depuis que Roderich était parti pour l'Italie. Et maintenant, encore une fois, il refusait même la nourriture qu'il lui apportait. Aldrich l'avait posée sur la table à côté de son petit-fils, mais Ludwig ne détournait pas le regard des feuilles qui tombaient dehors.
Aldrich s'était toujours considéré comme un homme honnête. Il avait rempli ses devoirs envers son pays en se battant pour son honneur et en atteignant le rang de Major pendant la Grande Guerre. Il travaillait dur comme horloger jusqu'à ce que son atelier soit détruit pendant les bombardements. Il était honnête, il était loyal. Mais la plus grande réussite de la vie d'Aldrich était ses petits-fils. Après la mort de son fils et de sa belle-fille, Aldrich avait fait ce qu'il pouvait pour élever les garçons et en faire des hommes bons et honorables. Il avait vendu tout ce qu'il avait pour envoyer Ludwig en école de pilote. Il avait fait de son mieux pour Gilbert, bordel, et au moins il avait évité la prison à ce garçon. Aldrich n'avait toujours voulu qu'aider et endurcir ses petits-fils. Il voulait qu'ils réussissent. Il voulait qu'ils soient respectés. Aldrich voulait tout ce qui était important pour ses petits-fils.
Mais la guerre avait éclaté. Elle avait retourné le pays contre lui-même ; elle glorifiait le mal et taisait le bien. Elle avait fait d'Aldrich un dissident, et cela lui avait arraché ses petits-fils. Pendant des années, Aldrich avait regardé les saisons passer, seul. Avait regardé ce grand, ce magnifique pays tomber à genoux. Avait regardé le nom de Ludwig disparaître des papiers de propagande et tomber dans l'obscurité. Avait regardé les rapports et les nombres de dégâts sur le front russe monter et monter sans un mot au sujet de Gilbert. Aldrich avait perdu l'espoir. Avait perdu la foi. Avait tout perdu. Il avait le cœur brisé, il était amer. Et il était en colère. Parce qu'au final, à quoi cela avait-il servi ? Les années qu'il avait passées à prendre soin de ses garçons, à leur apprendre et à les guider et à les aimer ; la joie et la peine, l'effort et le soin d'élever deux garçons pour être des hommes. A quoi cela avait-il servi s'ils pouvaient être détruits si facilement par des événements qu'ils ne pouvaient pas contrôler ?
Mais ensuite cet étrange automne rêvé était venu et Aldrich avait récupéré une partie de ce qu'il avait perdu. Un jeune autrichien silencieux et raffiné lui avait apporté respect et gratitude et des nouvelles de Gilbert, lui avait apporté une profonde fierté pour l'aîné de ses petits-fils. Et lorsque Ludwig était enfin rentré à peine quelques semaines plus tard, pour la première fois depuis des années, Aldrich avait de l'espoir. Ludwig était vide, perdu et blessé. Il ne souriait pas, ne riait pas. Il parlait à peine, mais lorsqu'il le faisait, c'était au sujet d'un seul endroit et d'une seule personne. D'un village en Italie, de chênes et de fleurs rouges et de chansons sur l'amour et la résistance. D'herbe haute et jaune et de pluie torrentielle et de coups de fusil dans la nuit clair et chaude. D'un jeune homme avec des yeux brillants et un sourire plus brillant encore, dont il s'accrochait à la photo déchirée et tâchée de sang comme si c'était la seule chose au monde qui pouvait le sauver.
Aldrich avait toujours voulu que ses petits-fils réussissent. Mais il avait vu Ludwig célébré et estimé en tant que pilote du glorieux Troisième Reich, et il l'avait vu revenir à la maison brisé, rejeté, et oublié. Maintenant, Aldrich savait que plus que tout au monde, il voulait que ses petits-fils soient heureux. Il voulait que Ludwig soit heureux. Et étrangement, il semblait que la seule chose qui puisse lui rendre son bonheur soit un jeune homme italien qu'il avait connu pour à peine quelques jours, des années de cela.
Aldrich croyait avoir perdu ses deux petits-fils. Contre toute attente, on lui en avait rendu un, qui était au bord du précipice. Aldrich refusait de le perdre à nouveau. Alors si ce mystérieux petit Italien était ce qui lui ramènerait vraiment Ludwig, alors Aldrich payerait pour qu'il arrive rapidement avec une foi qu'il avait perdu il y avait longtemps.
Aldrich se retourna vers Ludwig qui regardait par la fenêtre d'un air absent, qui regardait avec des yeux qui ne voyaient rien qu'un hiver lointain dans la campagne italienne.
Et il espéra qu'il ne soit pas trop tard.

auf Wiedersehen sweetheart (français)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant