Chapitre n°17

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Ludwig était étendu auprès de Feliciano, ses mains calleuses, couvertes de cicatrices, entrelacée avec des doigts doux et chauds, son regard inébranlable fixé sur d'étincelants yeux d'or. Le soleil du matin était depuis longtemps devenu celui de l'après-midi, filtrant à travers les rideaux gonflés de la chambre et dessinant des traits de lumière sur les couvertures sous eux. Les cheveux auburn de Feliciano avaient des reflets d'or sur l'oreiller. Ludwig ne pouvait pas en détourner le regard ne pouvait s'empêcher de constamment tendre la main pour toucher Feliciano, pour le ramener près de lui. Il jouait délicatement avec cette boucle unique qui refusait de retomber, retraçait légèrement ces lèvres qui souriaient encore si aisément, passait une main avec soin et déférence de l'épaule de Feliciano jusqu'à son flanc. La voilà enfin, l'unique chose pour laquelle Ludwig avait vécu : l'unique raison pour laquelle il avait survécu. L'unique souvenir qui l'avait gardé en vie pendant quatre années de souffrance, d'horreur et de pur désespoir. Son lumineux, précieux, éternel Feliciano. Là, allongé près de lui, il partageait sa chaleur et son souffle et écoutait avec attention tandis que Ludwig essayait tant bien que mal de parler de ces quatre années cruelles.
Il avait été assez facile de raconter le début. D'avoir été arrêté par la police militaire, accusé de trahison pour avoir assisté l'évasion d'un prisonnier américain, avoir évité la peine capitale pour être condamné à l'humiliation et à la disgrâce sans autre formalité ni procès. Avoir été envoyé sur le front oriental, dans une bataille que tout le monde savait perdue d'avance, sans rien d'autre qu'un fusil à peine fonctionnel et la mission de mourir. Mais avec les Allemands qui perdaient du terrain sur tous les fronts la campagne russe était déjà perdue. Ils n'avaient aucune chance de garder l'ennemi à distance très longtemps. Ludwig passa à peine quelques jours dans son unité avant sa défaite inévitable et sa capture par les Russes. Et c'est là, en tant que prisonnier de guerre allemand, que le véritable enfer commença.
Ludwig s'interrompit et baissa les yeux sur les mains de Feliciano agrippées aux siennes. Il n'avait jamais parlé de ces années horribles à quiconque. Même à son grand-père, il n'avait pu offrir que quelques phrases désarticulées. Et même là, il était déterminé à en épargner le pire à Feliciano.
- Ce n'est pas grave, Ludwig. » Feliciano lui pressa la main. « Tu n'as pas besoin d'en dire plus, ça ne me dérange pas, je…
- Non. » Ludwig secoua la tête et prit une profonde inspiration. « J'en ai besoin. » Oui, il avait besoin de le raconter, et il n'y avait qu'une seule personne à laquelle il pouvait le raconter. Mais lorsque Feliciano lui sourit ainsi, hocha la tête avec sollicitude et le regarda avec des yeux aussi innocents, Ludwig sut qu'il n'avait pas besoin de tout entendre. Feliciano n'avait pas besoin d'entendre que les marques sur les poignets de Ludwig venaient des chaines qu'il portait pendant les courtes heures durant lesquelles on ne le faisait pas travailler. Qu'il pouvait encore voir les visages des cadavres gelés, des corps d'hommes morts au-dessus desquels il était obligé de se frayer un chemin. Que la cicatrice sur sa joue venait d'une correction qui l'avait presque tué, des coups qu'il avait reçus pour le crime de tendre la main à un homme qui avait trébuché. Feliciano ne devrait jamais avoir à savoir de telles choses. Alors, Ludwig choisit ses mots avec soin.
- Nous travaillions. C'est ça : c'est tout. Jour et nuit, on travaillait, à construire des ponts et à paver des routes à travers la glace. On mourait de faim – il n'y avait pas de nourriture et le peu d'eau que l'on recevait était sale. Et on gelait. Au bout d'un moment, nos vêtements tombaient en lambeaux. » Ludwig frissonna à ce souvenir. Les coups, la faim, la maladie dormante – étrangement rien de tout cela n'était comparable à ce froid amer, mordant, insurmontable. « Nos geôliers… » Ludwig dut s'interrompre un instant, incapable de le décrire… nous battaient, nous torturaient, riaient lorsqu'on saignait, nous tiraient dessus pour s'amuser… Ludwig laissa sa phrase dans le silence. « Ils disaient qu'on le méritaient. Ils disaient que notre armée leur faisait pire. C'est peut-être le cas – je ne sais pas. L'Est n'était pas ma guerre. »
Ludwig s'interrompit pour reprendre son souffle, pour se souvenir que les horreurs dont il parlait étaient terminées. La brise d'automne soufflait par la fenêtre ouverte, agitant légèrement les vieux modèles d'avions qui étaient encore suspendus au plafond. Dans le silence, Feliciano porta la main de Ludwig à ses lèvres, puis pressa sa joue lisse sur la peau rugueuse et durcie par le travail. Une vive vague de chaleur enfla et fit fondre le froid et la main de Ludwig trembla légèrement au toucher délicat de Feliciano. C'était ce pour quoi il avait survécu – ce pour quoi ils avaient tous les deux survécu. Feliciano ne dit rien, mais son expression était empreinte de douleur, et Ludwig comprit. Il eut besoin d'un moment pour poursuivre.
- Chaque jour j'attendais une occasion de fuir. Mais il n'y en a jamais eu. La seule échappatoire était la mort. Et il y en a tellement qui sont morts. Ceux qui n'étaient pas assez forts ; ceux qui laissaient tomber. » Parfois Ludwig pensait qu'ils étaient les plus intelligents. Parfois, dans cet enfer glacé, il les avait enviés. « Mais je savais que je ne pouvais pas abandonner. Il n'y a qu'une seule raison pour laquelle je n'ai pas abandonné. Au final j'ai tout perdu, tout oublié, je n'avais plus rien que cette unique raison de continuer.
- Quoi ? » demanda Feliciano, à bout de souffle. « C'était quoi, cette raison ? »
Ludwig cligna des yeux en silence, et faillit rire. Il n'y avait bien que Feliciano pour poser une question dont la réponse était si évidente. Ludwig glissa une mèche de cheveux égarée derrière son oreille. « Toi, Feliciano. »
Feliciano poussa un léger soupir, ses lèvres formant un petit sourire triste. « Oh.
- Je n'allais pas me laisser mourir tant que je savais que tu étais en vie. J'ai pris cette décision très tôt. Et je l'ai reprise, plusieurs fois, chaque jour. Pendant quatre années, j'ai refusé de mourir. Jusqu'au jour où je n'ai pas eu le choix. » Ludwig baissa les yeux, ses mains se remirent à trembler. Il n'était pas sûr de pouvoir se souvenir de cela sans se briser. Mais lorsqu'il sentit les doigts de Feliciano toucher sa joue et s'aventurer dans ses cheveux, Ludwig se souvint qu'il pouvait être fort. « Lorsqu'il n'y a plus eut d'arrivage de nouveaux prisonniers et que nous étions trop peu nombreux pour travailler, ils n'ont plus eu besoin de nous. Ils nous ont emmenés dans la forêt. Et nous ont dit de marcher. J'ai alors su que c'était la fin. Alors j'ai marché – je n'avais pas le choix. Onze pas… Ou peut-être douze ? » Ludwig fronça les sourcils, ses yeux se perdaient. « J'ai compté, mais je… Je ne… » La glace sous ses bottes, la neige dans ses yeux, le sang dans ses oreilles, son souffle qui se condensait devant lui… « Je ne me souviens pas…
- Ça n'a pas d'importance. » Feliciano pressa un baiser sur l'épaule de Ludwig et le ramena à la pièce ensoleillée. « Le nombre n'a aucune importance.
- Non. » Ludwig essaya de se concentrer sur la pièce : sur la lumière de la fenêtre, le bruit de la respiration de Feliciano, la clarté de ses yeux. « Mais à chacun d'entre eux, je me souvenais. Je me souvenais de toi. Je chaque mot que tu m'avais dit. De chaque sourire que tu m'avais offert. Du bruit de ton rire… Du bruit de tes larmes. Je n'arrivais pas à prier je n'arrivais pas à espérer. » Chaque pas dans la neige, chaque coup de feu, chaque homme qui tombait, mort, sur le sol de la forêt… « Je n'arrivais qu'à me souvenir. De l'odeur de tes cheveux. » Ludwig inspira, le nez dans les cheveux de Feliciano. « La sensation de ta peau. » Il passa ses doigts sur sa joue humide. « Chaque caresse. Chaque moment. De toute ma vie, tout ce dont je pouvais me souvenir, c'était les moments que j'avais passé avec toi. Et je n'avais pas peur de mourir. » Feliciano lâcha un hoquet tremblant. La concentration de Ludwig commença à se relâcher. « J'ai entendu le coup de feu, mais j'étais au sol avant de l'avoir senti. »
Cette fois, Feliciano réprima un sanglot, ses mains serrant presque douloureusement le bras de Ludwig. Les larmes sur ses joues brillaient dans la lumière de l'après-midi. Le cœur de Ludwig s'affaissa dans sa poitrine et il les essuya délicatement.
- Je suis désolé. J'arrête.
- Non, n'arrête pas. » Feliciano secoua la tête avec détermination, les yeux écarquillés et insistants. « Raconte-moi, Ludwig. Je veux entendre. Et je sais que c'est important, je sais qu'il faut que tu me le raconte, parce que tu ne parles que lorsque tu as quelque chose d'important à dire. »
Ludwig savait maintenant pourquoi il n'avait pu la dire à personne d'autre. Personne ne l'avait jamais compris aussi facilement que ce petit Italien. Ludwig eut besoin d'embrasser le front de Feliciano avant de pouvoir continuer. « Je savais que le coup était trop bas. Je savais que cela ne me tuerait pas – pas tout de suite. Mais les Russes n'ont pas tiré à nouveau. A la place, ils sont partis. Et je suis resté allongé dans la neige, seul, à attendre de mourir.
- Mais tu n'es pas mort, » dit Feliciano comme pour se rassurer. « Tu n'es pas mort, Ludwig, puisque tu es ici avec moi. »
Ludwig sentit ses lèvres tressaillir et sa poitrine se serrer. « Non, Feliciano. Je ne suis pas mort.
- Alors comment ? Comment est-ce que tu es revenu pour moi ? »
Ludwig baissa les yeux sur ses mains. Les souvenirs étaient si réels si froids. « Je ne sais plus combien de temps je suis resté là. Assez de temps pour qu'une couche de neige me recouvre et que je ne sente plus le froid. Je tenais ta photo, parce que je voulais… » la voix de Ludwig se brisa, sa gorge se serrait. « Je voulais que la dernière chose que je voie soit ton sourire. »
Le regard de Feliciano s'assombrit, ses lèvres s'entrouvrirent sous l'incrédulité. « Ma photo…
- Je la gardais cachée dans ma botte. La fleur que tu m'as donnée, en revanche… » Ludwig eut la nausée en se souvenant du moment où un soldat russe lui avait arraché la petite marguerite séchée des mains et l'avait mise en pièces. « Je suis désolé. Je l'ai perdue. » Ludwig déglutit, la gorge serrée, et poursuivit rapidement. « Mais j'ai gardé ta photo. Et alors que j'étais étendu, là, dans la neige, à regarder ta photo, ton visage, au moment où le monde commençait à devenir blanc… Une main gantée a touché la mienne. »
Feliciano hoqueta, les yeux encore plus ronds. « Qui c'était ?
- C'était une femme. » Ludwig le dit d'un air incrédule, car même maintenant, c'était difficile à croire. « Une dame vêtue de bleu, avec des cheveux blonds, courts, et des larmes sur ses joues, qui m'a d'abord parlé en russe. Je comprenais à peine. Elle ne parlait pas allemand, mais elle parlait anglais, et elle m'a dit qu'elle m'aiderait. Et elle l'a fait. »
A nouveau, Ludwig n'eut pas besoin de tout dire. Mais c'était parce qu'il ne se souvenait pas de grand-chose. Cela dit, il se souvenait bien s'être réveillé dans une large chambre éclairée par un feu de cheminée, dans un grand lit chaud et douillet pour la première fois depuis des années. Il se souvenait avoir essayé de bouger, et la vague de peur insupportable qui l'avait vidé lorsqu'il s'était aperçu qu'il ne sentait pas ses jambes. Il se souvenait avoir crié, paniqué, demandé où il était et pourquoi un Russe voudrait aider un Allemand comme lui. Et il se souvenait de cette main douce qui avait écarté ses cheveux pleins de sueur de son visage de la tristesse dans ses yeux bleus et bienveillants de cette voix douce et calme qui lui disait qu'il était en sécurité, que tout irait bien, qu'il lui rappelait un frère qu'elle avait aimé, dans une vie passée, avant que la révolution et la guerre ne le changent en une personne qu'elle ne reconnaissait plus.
Feliciano laissa Ludwig se souvenir en silence avant de demander enfin, « D'où est-ce qu'elle venait ?
- Elle vivait dans un vieux corps de ferme, près de l'endroit où nous travaillions, dans l'ouest, près de la frontière Ukrainienne. Elle aimait marcher dans les bois, et c'est là qu'elle m'a trouvé. » Ludwig se souvint à nouveau des mots de la femme un peu plus âgée, dits à son chevet après une nouvelle visite de l'équipe de médecins russes qu'elle payait bien : J'ai déçu beaucoup de gens dans ma vie. Mon frère, ma sœur, et les vies innocentes qu'ils ont tous les deux détruites. J'ai attendu de nombreuses années pour pouvoir me racheter. Il n'était peut-être que son espoir de rédemption, mais aussi longtemps qu'il vivrait, Ludwig n'oublierait jamais les yeux bleus et bienveillants de sa sauveuse. « Elle a contacté mon grand-père, et lorsque j'étais en état elle a payé pour que je sois transporté à Berlin.
- Quelle gentille dame, » dit simplement Feliciano. La version condensée des évènements que Ludwig racontait semblait lui suffire.
- Oui. Un ange. »
Feliciano sourit en entendant cela, traçant des cercles sur le bras de Ludwig avec son pouce. « Ton ange à toi, comme Gilbert l'a été pour Roderich, et Roderich pour moi et Lovino pour Antonio, et toi pour Alfred. Si seulement tout le monde avait un ange comme ça. » Feliciano secoua la tête, son sourire se changea en une moue. Ses joues étaient un peu rouges, et encore un peu humides. « Comment est-ce que certaines personnes peuvent faire des choses aussi merveilleusement bonnes, alors que d'autres sont aussi atroces ? Ça n'a pas de sens, Ludwig. Je ne comprends pas. »
Ludwig leva le regard et, clignant des yeux, regarda les petits avions tourner dans la brise. Il savait, au-delà de tout doute, qu'il ne connaîtrait jamais personne au monde qui ait une vision de ce dernier aussi belle que celle de Feliciano. « La guerre n'est que haine. Elle change les hommes en animaux. Mais l'amour nous permet de rester humains. »
Un long silence s'installa, brisé uniquement par leur respiration silencieuse et de temps à autres par un chant d'oiseau glissé par la fenêtre. Feliciano avait l'air de vouloir dire quelque chose, finalement ses yeux se baissèrent et ses mains s'immobilisèrent. « Tu m'as tellement manqué, Ludwig.
- Je sais. » Tellement… Feliciano ne saurait jamais à quel point. Mais c'était terminé, et il y avait cela maintenant, et il y aurait cela pour toujours.
- Je suis désolé. » Feliciano parut soudain hésitant. « Je souhaiterais… Je veux dire, je ne… »
Ludwig passa une main dans le dos de Feliciano et l'attira à lui. « Tu n'as pas à dire quoi que ce soit, Feliciano. Merci d'avoir écouté.
- Merci d'être revenu. » Feliciano se blottit contre la poitrine de Ludwig, et bien qu'il ne puisse pas les sentir, Ludwig savait que les jambes de Feliciano étaient entremêlées avec les siennes. Mais il put sentir le souffle chaud de Feliciano dans son cou lorsqu'il murmura doucement. « Ich liebe dich, Ludwig. »
Ludwig posa ses lèvres sur l'oreille de Feliciano et murmura en retour. « Ti amo, Feliciano. Pour toujours. »
 
 
Le matin suivant, Feliciano se réveilla dans les bras de Ludwig pour la première fois. Des oiseaux chantaient à la fenêtre, la lumière assourdie du soleil s'infiltrait à travers les rideaux, et la poitrine de Ludwig s'élevait et s'abaissait à un rythme régulier contre la joue de Feliciano. Une sensation indescriptible, inévitable, de chaleur, d'émerveillement et de lumière, une joie aérienne montait en lui. C'était comme si chaque larme avait été oubliée, chaque pincement au cœur dissout. Feliciano leva une main et toucha la joue de Ludwig, regarda ses paupières tressaillirent et ces yeux bleus s'ouvrir. Ludwig cligna des yeux une ou deux fois, et son regard s'éclaira d'un sourire doux. « Feliciano. »
Le cœur de Feliciano envoyait des vagues de vibration contre la surface de sa peau. « Ludwig. » Son ventre gargouilla. « J'ai faim. Il y a des pâtes, en Allemagne ?
- En Allemagne ? » Ludwig eut un regard vide pendant quelques instants, puis regarda autour de lui comme pour se rappeler où il était. Enfin, il soupira en comprenant, sourit à nouveau et passa son pouce contre la joue de Feliciano. « Oui. Mais pas pour le petit-déjeuner. Dis-moi – tu aimes toujours le chocolat ? »
Feliciano hoqueta bruyamment et se redressa d'un coup. « Du chocolat pour le petit-déjeuner ? Vraiment, Ludwig ? Oh, mon Dieu ! L'Allemagne est fantastique ! »
Toute la journée, Feliciano eut le sentiment de voler. Lorsque lui et Ludwig prirent du chocolat et du café dans la petite cuisine ensoleillée, se volant des regards et parlant de rien, oubliant parfois ce qu'ils faisaient tandis qu'ils s'observaient l'un l'autre. Lorsque Ludwig expliqua comment sa chaise noire et luisante fonctionnait, tournant les roues et bougeant les accoudoirs avant d'enfin abandonner et de laisser Feliciano s'asseoir sur ses genoux lorsqu'il roula à toute vitesse dans le couloir. Lorsqu'ils sortirent dans le jardin et se promenèrent dans la magnifique volière en plein air, pleine d'oiseaux, que Gilbert avait construite des années de cela. C'était étonnant à quel point il était naturellement bon, époustouflant, parfait d'être avec Ludwig à nouveau. Feliciano n'avait jamais ressenti un bonheur aussi facile et naturel de sa vie.
Mais là, dans le grand jardin verdoyant, debout un peu loin d'un Ludwig assis, entouré par trois énormes chiens qui bondissaient et aboyaient, Feliciano commençait à être un peu hésitant. Ludwig lança à nouveau la balle sur la pelouse et se tourna vers Feliciano lorsque les trois chiens s'élancèrent gaiement derrière. « Ils sont gentils, Feliciano. Viens leur dire bonjour. »
Feliciano s'accrocha au grillage du porche et fit un petit signe de la main. « Bonjour, les chiens-chiens. Je peux rentrer, maintenant ? »
Ludwig eut un petit rire. C'était le même rire profond dont Feliciano se souvenait si bien, et pourtant il semblait que Ludwig n'y soit pas encore habitué. « Ils ne vont pas te faire de mal. »
Feliciano regarda d'un air hésitant les trois chiens qui se couraient après sur le gazon. Un doré, un marron, un noir, et tous trois étaient énormes, et bondissaient et aboyaient encore. Le doré attrapa la balle le premier et traversa le jardin à nouveau pour l'apporter à Ludwig. Les autres furent un peu plus lents.
- Ils sont vieux maintenant, » dit Ludwig en prenant la balle du chien doré avant de lui ébouriffer le poil. Il avait soudain l'air triste. « Je suis parti si longtemps que j'ai raté la majeur partie de leur vie. Mais il leur reste encore quelques années. » Ludwig caressa les longues oreilles du chien en lui parlant en allemand.
Feliciano sentit une flamme brûlante sous sa peau. Son merveilleux, bienveillant Ludwig était aussi bon et doux qu'il s'en était toujours souvenu. Feliciano regarda les chiens rassemblés autour de Ludwig, la langue pendante et la queue agitée, remarquant à peine Feliciano là où il se tenait. Peut-être qu'ils n'étaient pas si effrayant que cela. Et s'ils pouvaient faire sourire Ludwig comme cela… « Il a l'air gentil, » dit Feliciano d'un air hésitant. « Le doré a l'air gentil. »
Ludwig lui lança un sourire et le cœur de Feliciano se retourna dans sa poitrine. Il aurait pu donner n'importe quoi pour voir ce sourire. « Ça, c'est Aster. Ce n'était qu'un chiot quand j'ai quitté la maison. Il est très doux – il veut simplement s'amuser. »
Feliciano s'obligea à faire un pas précautionneux dans l'herbe, surveillant nerveusement l'énorme chien noir, tout près. « D'accord, je caresserai Aster. Aster n'a pas l'air aussi méchant que le marron avec plein de poils, ou le gros noir.
- La brune toute poilue, c'est Blackie. » Blackie essaya de pousser Aster de son chemin et Ludwig la repoussa d'un air joueur. « Et elle n'est pas méchante. Elle est juste un peu jalouse, parfois. »
Feliciano fit un pas de plus en se mordant la lèvre lorsque Blackie bondit et posa ses énormes pattes de devant sur la poitrine de Ludwig. « Pourquoi est-ce que c'est la brune qui s'appelle Blackie ?
- Je l'ai trouvée dans une vieille usine, je devais avoir dix-huit ans. » Ludwig remit fermement les pattes de Blackie sur le sol. « Elle était si petite et se cachait dans une cheminée, toute noire de suie. Alors je l'ai appelée Blackie et je l'ai ramenée à la maison. »
Feliciano hoqueta, horrifié, et s'approcha encore. « Dans une cheminée ? Pauvre petite Blackie ! D'accord, je vais caresser Blackie. Mais le gros noir est toujours trop effrayant.
- Ça, c'est Berlitz, » dit Ludwig lorsque le chien noir arriva enfin auprès de lui. Il avait mis longtemps à traverser le jardin à nouveau. « Il n'est pas effrayant du tout. C'est vrai, il est gros, et il aboie fort, et il est un peu timide avec les inconnus – mais il est tout simplement attentif et loyal, et il ne ferait jamais de mal à personne. Il est très vieux maintenant, et il est devenu sourd à cause des bombardements. »
Feliciano porta une main à sa poitrine et sentit ses lèvres trembler. Pas étonnant que ce pauvre Berlitz soit si lent… « Il est sourd ? Oh, pauvre toutou ! Je crois que je vais caresser Berlitz. »
Ludwig rit à nouveau, faisant décoller le cœur de Feliciano. Il tendit la main vers lui et lui fit un petit signe de la tête. « Alors vient. »
Feliciano regarda la main tendue de Ludwig, son visage souriant, et se mit à rire vivement. Comment pouvait-il avoir peur de quelque chose d'aussi ridicule ? Il accourut auprès de Ludwig, s'assit sur ses genoux, et les trois chiens appelèrent aussitôt son attention. Feliciano tendit une main vers Berlitz qui frotta doucement sa truffe pelucheuse et humide contre sa paume.
Ludwig passa ses bras autour de la taille de Feliciano et le tira contre lui. « Ils t'aiment bien. » Il avait l'air ravi.
Feliciano hocha joyeusement la tête, sa peur stupide avait complètement disparu. Lorsque les trois chiens tout doux se pressèrent autour d'eux, reniflant curieusement et agitant la queue de joie, Feliciano se demanda comment il avait fait pour les trouver effrayants. Il prit la balle des mains de Ludwig et la lança à travers le jardin. Aster et Blackie coururent après, mais Berlitz se contenta de poser sa tête sur le genou de Feliciano.
La main de Ludwig rejoignit celle de Feliciano. « Je t'avais dit qu'ils n'étaient pas effrayants. »
Feliciano soupira de bonheur et embrassa le sommet de la tête de Ludwig. « On devrait prendre un chaton. »
Ludwig se contenta de rire.
 
 
Feliciano et Ludwig passèrent l'automne en Allemagne. Le petit village bordé de forêts était exactement tel que Ludwig l'avait décrit, parmi les ruines de l'église au sommet de la colline, en Italie. C'était chaleureux et amical et cela donnait vraiment l'impression d'être chez soi. Ils passèrent la majeure partie de leur temps dehors, soit dans les rues du village soit dans les champs environnants, dans l'air frais et le soleil assourdi. D'habitude, Ludwig était déterminé à pousser sa chaise roulante lui-même, mais parfois il laissait Feliciano le pousser doucement dans les rues pavées, devant les jolies boutiques, les maisons au toit pointu et les beaux jardins bien entretenus. Quelques fois, Feliciano pensa qu'il aurait aimé grimper jusqu'au grand château blanc, mais il était au bout d'une rangée d'escaliers, et il ne voulait pas y aller sans Ludwig, et ce n'était probablement pas si intéressant que cela de toute façon.
Alors, l'automne passa comme un rêve. Mais contrairement au sommeil éveillé gourd et cauchemardesque auquel Feliciano s'était habitué depuis la guerre, ce rêve-là était magnifique, et il souhaitait ne jamais se réveiller. Feliciano s'étonnait de la facilité avec laquelle il se faisait à cette étrange nouvelle vie en Allemagne. Le grand-père de Ludwig était sérieux, mais gentil – il était loin d'être aussi effrayant qu'il semblait au premier abord. Il montra à Feliciano ses vieilles médailles de guerre, l'aida parfois avec son allemand, et laissa même Feliciano l'appeler Opa Aldrich, bien qu'il en parût un peu surpris au début. A la plus grande joie de Feliciano, Roderich resta avec eux tout l'automne. Le soir, après les longues marches de Feliciano et Ludwig, ils buvaient tous un vin épicé appelé gluehwein pendant que Roderich jouait du piano. Il apprit à Feliciano plein de charmantes chansons, à propos de rêves et de lendemains et de lampadaires, mais la chanson que Feliciano préférait chanter restait « l'Auf Wiedersehen » de Ludwig et la sienne. Ces glorieux jours d'automne passèrent dans un émerveillement et un bonheur infini, et avant qu'il ne s'en rende compte, c'était presque l'hiver.
Le jour précédent le départ de Feliciano et Ludwig pour l'Italie, ils passèrent l'après-midi à la taverne locale. Feliciano était venu plusieurs fois, maintenant, mais la différence par rapport aux cantinas de chez lui le surprenait toujours. De longs bancs de bois couraient sous de lourdes tables sculptées, des vitraux ornaient les vieux murs de brique et il y avait même une grosse tête d'élan empaillée au-dessus de la cheminé, bien que Ludwig lui ait assuré qu'elle n'était pas réelle. Des serveuses aux cheveux tressés et aux jolies robes portaient des dizaines de verres de bière entre les tables, et un orchestre jouait sur une scène, dans un coin, et les musiciens portaient des bretelles et de drôles de chapeaux et jouaient de gros instruments luisants.
La seule chose qui dérangeait Feliciano au sujet de cet endroit, c'était qu'il n'aimait pas vraiment la bière. Mais c'était une taverne, après tout, et c'était ce que Ludwig, Roderich et Opa Aldrich commandaient toujours. Ils avaient déjà bu la moitié des leurs, alors Feliciano prit une gorgée hésitante de sa choppe et fit immédiatement la grimace. Ludwig parut réprimer un sourire. « Tu peux commander autre-chose, Feliciano. »
Feliciano lui lança un regard en coin. « Mais c'est une taverne. »
Les yeux de Ludwig se plissèrent et il porta brièvement son poing à ses lèvres. « Oui, mais comme je te l'ai dit, tu n'as pas besoin de boire de la bière.
- Mais… » Feliciano jeta un regard furtif à la salle. Ils étaient tous les quatre assis au bout d'une longue table près du mur, leur place habituelle, pour faire de la place à la chaise de Ludwig. D'ici, en tout cas, la bière avait l'air obligatoire – chaque personne visible était en train de boire le liquide ambre et mousseux dans de grandes choppes lourdes. « Tu es sûr ? »
Ludwig hocha la tête. « Bien sûr. Il y a du cidre, ou du schnaps, ou du vin…
- Oh, je ne sais pas si je devrais boire du vin dans une taverne, Ludwig. Ce ne serait pas très poli. En plus, Lovino dit que je deviens très agaçant quand je bois du vin, et en général je me mets à chanter, et je ne crois pas que ces musiciens avec des chapeaux rigolos apprécieraient. » Feliciano se pencha en avant et murmura. « Quelqu'un devrait leur dire qu'on est censé sourire lorsqu'on joue de la musique. Ooh ! » Feliciano se redressa et fit signe à une serveuse qui passait, un large plateau chargé de nourriture dans les bras. « Des bretzels ! Danke, Fräulein. Ils vont me manquer quand on sera rentrés en Italie, même si j'ai hâte de pouvoir remanger des pâtes correctes. Vous, les Allemands, vous n'arrivez jamais à faire la sauce correctement, et puis vous n'avez vraiment pas besoin de mettre du chou dans tout ce que vous mangez. Mais j'ai vraiment hâte de dire à Lovino qu'il y a du chocolat pour le petit-déjeuner, même s'il ne me croira probablement pas… Ooh, des cacahuètes… »
Roderich lança un regard amusé à Ludwig en riant doucement tandis que Feliciano prenait des poignées de nourriture du plateau de la serveuse perplexe. « Cela fera tout drôle de ne plus t'avoir avec nous, Feli. »
Aldrich secoua la tête avec une expression familière de perplexité et de léger amusement. « En tout cas ce sera plus… calme. » Il fit un signe de tête à la serveuse lorsqu'elle s'éloigna et elle lui répondit avec un sourire lumineux. Opa Aldrich était aussi populaire auprès des filles d'ici que Papy Roma l'était à la maison.
- Oh, mais on ne sera pas partis pour toujours, » dit Feliciano, sincèrement. Lui et Ludwig avaient décidé de diviser leur temps entre l'Italie et l'Allemagne. Il faisait tout simplement trop froid ici, pour le moment, et Ludwig détestait le froid maintenant. « On reviendra l'été prochain, pas vrai, Ludwig ? »
Ludwig ne répondit pas, mais hocha la tête et sa main alla chercher celle de Feliciano sous la table. Feliciano la prit et lui offrit un bretzel de sa main libre. Ludwig secoua la tête dans un refus silencieux, même si l'hilarité brillait dans les profondeurs de ses yeux. Il était souvent silencieux, ces jours-ci, mais ce n'était pas grave. Ludwig n'avait pas besoin de parler pour faire comprendre à Feliciano qu'il partageait son impérissable contentement.
- Vous êtes comme deux petits oiseaux, » dit Roderich en souriant doucement tandis qu'il s'appliquait à nettoyer ses lunettes. « A vous envoler vers le sud pour l'hiver.
- Contrairement à toi, Roderich, » dit Aldrich en se penchant en avant pour remplir sa choppe à la grande jarre de bière posée sur la table. « L'hiver Allemand est loin d'être aussi froid que l'endroit où tu te rends. Je ne comprends toujours pas pourquoi tu n'attends pas le printemps. » Feliciano savait qu'Aldrich n'était pas pressé de se retrouver tout seul à nouveau. Il avait déjà montré sa déception quant au fait que Ludwig parte pour l'Italie, et il était évident qu'il considérait Roderich et Feliciano comme ses propres petits-fils. Feliciano espérait seulement que Papy Roma ressente la même chose au sujet de Ludwig, un jour.
Roderich s'excusa d'un haussement d'épaules. « J'ai déjà attendu trop longtemps à ce sujet. J'aurais dû partir il y a des mois de cela.
- Tu nous rendras visite en Italie quand tu auras fini ? » demanda Feliciano avec enthousiasme. « Et tu me rapporteras quelque chose ? Qu'est-ce qu'ils ont en Finlande, d'abord ?
- De la Vodka ? » proposa Aldrich.
Les lèvres de Feliciano se tordirent de dégoût. « Oh, ne me ramène pas de Vodka, Roderich. Je crois que je préfèrerais presque la bière. »
Roderich sourit en remettant ses lunettes en place. « Je suis sûr que je te trouverai quelque chose, Feli. Et je serai ravi de vous rendre visite. Peut-être que tu pourrais même venir avec moi, Aldrich. »
Feliciano tourna un visage suppliant vers Aldrich. « Oh oui ! Et tu pourrais rencontrer Papy Roma, et Lovino, et Antonio…
- Antonio, » répéta Aldrich d'un air pensif en tapant de l'ongle sur sa choppe. « C'est l'ami espagnol de Gilbert, non ? Celui qui riait tout le temps. Il avait pour habitude de t'envoyer de petits avions, Ludwig. »
Ludwig hocha la tête. « Oui. J'ai hâte de le revoir. »
Feliciano leva les mains au ciel et rit. « Bien sûr, j'oubliais que tu le connaissais déjà. Vous ne trouvez pas ça drôle que tout le monde ait l'air de se connaître ? Le monde est petit, c'est ce que dit Papy Roma. Je crois que vous seriez bons amis avec mon Papy, Opa Aldrich. Tu es déjà venu en Italie ? »
Aldrich baissa les yeux sur sa bière, l'air soudain étrangement absent. « Pas depuis de nombreuses années, Feliciano. J'ai combattu au nord-est, sur la rivière Isonzo, pendant la Grande Guerre.
- Isonzo ? » Feliciano abattit ses mains sur la table et se pencha en avant sous la surprise. Il avait déjà entendu ce nom de nombreuses fois, à la fois dans la bouche d'étrangers admiratifs et dans les histoires de guerre de Papy Roma. Il était le Maggiore Vargas, après tout, le héros de la campagne d'Isonzo. « Mon Papy a combattu à Isonzo ! Il était le plus jeune Major de l'armée Italienne, vous savez. » Feliciano hoqueta, les yeux écarquillés. Papy Roma avait fait partie de l'armée italienne Opa Aldrich, de l'armée allemande. Ils avaient été ennemis. « Oh mon Dieu… Tu crois que vous vous êtes combattus l'un l'autre ? »
Aldrich se figea, ses jointures devinrent blanches lorsqu'il s'agrippa à sa chope de bière. Il eut besoin de quelques instants avant de bredouiller d'un air incrédule, « Major Vargas. Ton grand-père ne serait pas… Augustus Vargas ? »
Feliciano sentit la main de Ludwig s'accrocher un peu plus fermement à la sienne. « Alors tu l'a connu ! Wow ! Le monde est vraiment petit ! Mais plus personne ne l'appelle Augustus, il a cogné la dernière personne qui l'a appelé comme ça. »
Roderich avait l'air presque aussi choqué qu'Aldrich. « Vous avez dû commander les deux camps opposés de la bataille, » dit-il d'un air incrédule. « C'est extraordinaire ! »
Aldrich ne répondit pas, toujours silencieux, le regard dans le vague. Les autres attendirent en silence et Ludwig finit par dire doucement. « Grosvater ? »
Aldrich secoua la tête légèrement puis prit une longue rasade de bière comme pour se calmer. « Je ne l'ai connu que très brièvement, Feliciano. Il serait plus juste de dire que j'avais entendu parler de lui. C'était un ennemi féroce, mais aussi le plus honorable que j'aie jamais combattu. » Le regard d'Aldrich passa de Ludwig à Feliciano et il poussa un court éclat de rire. « Le petit-fils du Major Vargas. Mein Gott, j'ai besoin de plus de bière. »
 
 
Le cœur de Feliciano battait la chamade et son corps entier lui semblait décoller, surexcité à l'idée de retrouver les cieux bleus et agréables de l'Italie après le profond froid de l'Allemagne. Le voyage en train en compagnie de Ludwig fut bien plus agréable que l'interminable premier voyage fait sans lui, mais Feliciano se sentit tout de même soulagé d'être dehors à nouveau : dans le placide soleil de l'après-midi, sur cette route de village déjà bien usée, parmi les odeurs et les paysages familiers et les chants d'oiseau vibrants. Ludwig mit plus de temps que d'habitude à faire rouler sa chaise sur le chemin de campagne, mais la lenteur était agréable. Feliciano ne pouvait s'empêcher faire des allers-retours en courant jusqu'aux champs, les bras écartés, riant dans la brise douce. L'Allemagne était fantastique, mais c'était si bon d'être chez soi.
Plus loin sur la route, près du vieux tank en ruine, Ludwig s'arrêta un moment pour étirer ses mains. « Regarde, Ludwig, » s'écria Feliciano tandis qu'il revenait en courant. « La lavande est encore en fleur !
- C'est bien, » répondit Ludwig, un petit sourire pensif sur les lèvres. « Un hiver court ne me dérangerait pas. » Il soupira doucement en regardant autour de lui et secoua la tête d'un air émerveillé. « Incroyable, » dit-il à voix basse. « C'est exactement comme je m'en souviens. Même le tank est encore là. »
La grosse machine en acier était complètement rouillée maintenant, des herbes hautes, de longues vrilles et des tiges colorées rampaient sur les côtés. Il avait été au bord de cette route si longtemps que Feliciano ne le remarquait presque plus. « J'imagine qu'ils ont dû l'oublier ici – il est là depuis le début de la guerre, et personne n'est jamais revenu le récupérer.
- C'est un vieux Panzer 1, un modèle de 1937.
- Oh. Vraiment ? » Feliciano ne savait rien sur le sujet. Il montra du doigt les touffes d'herbes colorées qui poussaient sur la carrosserie. « Regarde – il y a des fleurs dedans. Il est bien plus joli comme ça, tu ne trouves pas ? Et oh ! » Dans l'amas de fleurs emmêlées dans les herbes, Feliciano repéra une unique marguerite rouge et vive. Il tendit le bras et la ramassa précautionneusement, l'épousseta et la mit dans la main de Ludwig. « Voilà, Ludwig, c'est pour remplacer celle que tu as perdu en Russie. »
Ludwig regarda la fleur en silence. Après quelques instants, il détourna la tête et cligna rapidement des yeux. « Merci, » dit-il enfin lorsqu'il retourna son regard vers Feliciano, ses pensées insondables derrière ses yeux aussi bleus que le ciel clair et sans nuage. Feliciano sentit son souffle se couper dans sa gorge – après tout ce temps, ces yeux bleus étaient exactement les mêmes. Et c'était exactement l'endroit où Feliciano s'y était perdu pour la première fois.
- Aller viens, Ludwig. » Feliciano s'obligea à parler, mais sentit qu'il brisait un sort. « C'est par là. »
Ils savaient tous deux où ils allaient : nulle besoin de le dire. Un peu plus loin sur la route, après un petit virage, le champ familier apparut comme une mer de vert et d'or. Et devant l'arrière-plan des montagnes, grand et fort et éternel, se tenait leur chêne leur ailleurs. Le cœur de Feliciano bondit, son sang prit feu, et il s'élança une fois de plus, l'herbe jaune qui avait été sauvage effleura à peine ses chevilles tandis qu'il courait. Toutes ces années, il avait attendu ici, seul, et maintenant il était enfin de retour avec Ludwig. Un rire monta dans sa poitrine et sa tête s'allégea. C'était trop parfaitement merveilleux pour être vrai. Lorsque Feliciano atteignit l'arbre, il se retourna pour l'appeler, mais à la place il se figea, les mots moururent sur ses lèvres. Ludwig ne fit pas un geste pour le suivre. Il se contentait de le regarder, immobile, les yeux fixés sur Feliciano et les lèvres tordues en un petit sourire pensif.
Une brise soudaine secoua les feuilles au-dessus de leurs têtes et un souvenir éphémère passa devant les yeux de Feliciano. Une image de Ludwig dans son uniforme gris d'officier taillé sur mesure, la tête haute et les épaules droites, marchant vaillamment à travers le champ avec le soleil qui se couchait derrière lui. Aussitôt, l'image disparut. Mais ce qui lui restait était si incroyablement parfait que Feliciano sentit son cœur se retourner et son souffle se coincer. Ça n'avait jamais été l'uniforme élégant, ni le visage charmant, ni cette force immense et tranquille. C'était sa gentillesse, sa loyauté c'était la façon dont il aidait Feliciano à se sentir accepté, respecté et sauf. C'était pour cela que Feliciano l'aimait. C'était pour cela qu'il remarquait à peine la chaise roulante noire et luisante. Parce que ça n'avait jamais été l'apparence de Ludwig jamais été ses capacités. Même s'il avait changé, c'était le même Ludwig que le pilote en uniforme d'officier, et cet endroit serait toujours leur ailleurs, et Feliciano ne l'avait jamais autant aimé. Il attendit là, le souffle court et la peau qui picotait, alors que Ludwig avançait lentement à travers le champ. Lorsqu'il l'atteignit enfin, Ludwig prit la main de Feliciano et sourit. « Buon giorno, Bello. »
Ces mots firent trembler les genoux de Feliciano. Le vent fouetta ses cheveux et il eut un rire clair, joyeux, incontrôlable. « Guten Tag, Sweetheart ! » Feliciano tomba sur les genoux de Ludwig, jeta ses bras autour de son cou, et sentit les bras forts et sécurisants de Ludwig l'entourer. Leurs lèvres se rencontrèrent facilement, à la perfection un rire transporté de joie s'éleva entre eux. Il n'y aurait plus d'au revoir ici.
Par cinq fois Feliciano avait embrassé Ludwig dans ce champ. Il savait, au-delà de tout doute, qu'il l'embrasserait bien plus. Mais Feliciano savait aussi qu'aucun ne serait aussi libérateur, aussi merveilleux, aussi magnifiquement parfait que ce simple baiser de bonjour, en ce magnifique après-midi d'hiver en Italie, ailleurs, sous leur chêne.
 
 
Il était déjà tard lorsqu'ils atteignirent la petite allée qui menait à la maison de ferme. Il avait couru sur ce chemin des milliers de fois, avec le soleil bas dans le ciel et les étoiles qui brillaient déjà. Mais cette fois, avec les lumières allumées devant lui et Ludwig à ses côtés, Feliciano avait vraiment l'impression de rentrer chez lui. Et dans la lumière déclinante, Feliciano pouvait tout juste distinguer son frère qui se tenait déjà dans le cadre de la porte.
- Lovino ! » Feliciano courut sur le reste du chemin en riant lorsqu'il tomba dans les bras impatients de Lovino.
- Ralentis, Feli ! » Lovino serra Feliciano fort contre lui, dans une étreinte chaleureuse, familière, et chez lui. « Tu vas tomber et te faire mal.
- Mais non, ne sois pas ridicule. Tu as beaucoup attendu ? Où est Antonio ? Où est Papy ? » Feliciano fit un pas en arrière avec un large sourire. « Oh, j'ai hâte de tout te raconter, et j'espère que personne n'est vexé qu'on soit arrivés si tard, mais c'était un après-midi parfait pour une ballade, et avec la ch… » Feliciano s'interrompit aussitôt. Il s'aperçut avec un pincement coupable qu'il avait oublié de mentionner la chaise roulante de Ludwig dans les courtes lettres qu'il avait envoyé. « Je, heu… » Lovino regarda par-dessus son épaule, les yeux écarquillés, et Feliciano se retourna pour voir Ludwig s'approcher du pas de la porte.
- Bonsoir, Lovino. »
Lovino se mordit la lèvre, croisa les bras et regarda ses pieds. Il avait l'air de ne pas savoir quoi dire : en même temps, Lovino savait rarement quoi dire. Feliciano ne savait pas trop s'il devait rassurer son frère ou Ludwig, mais juste avant que le silence ne devienne inconfortable, il fut heureusement brisé par une voix familière.
- Qui est-ce que j'entends à la porte ? » Antonio mit quelques instants à passer le cadre de la porte – il marchait lentement ces jours-ci. Lorsqu'il remarqua la chaise de Ludwig, il détourna vivement la tête, une expression douloureuse sur le visage. Il prit une profonde inspiration, comme s'il ressentait, et comprenait, et acceptait. Puis l'expression disparut et il sourit à la place. « Petit Ludwig. Ça fait longtemps. »
Ludwig eut presque un mouvement de recul en remarquant le bras manquant d'Antonio. Feliciano se donna mentalement un coup de pied : encore une chose qu'il avait oublié de mentionner. Mais Ludwig se remit d'aplomb aussi vite qu'Antonio, et il était évident qu'il était ravi de revoir l'ami de son frère. « Dix ans, à peu près, je crois. C'est bon de te voir, Antonio. »
Antonio se pencha et enlaça chaleureusement Ludwig. « Vous, les Beilschmidts, vous êtes indestructibles. »
La voix de Ludwig s'enroua lorsqu'il répondit, les bras entourant les épaules d'Antonio. « J'aurais bien aimé, oui. »
Antonio pressa l'épaule de Ludwig, se redressa et pendant un instant lui et Ludwig se regardèrent en silence. Feliciano pouvait presque voir les souvenir se rejouer derrière leurs yeux. Puis Antonio rit. « Mais bon Dieu, petit Ludwig, ce que tu as grandi ! » Il se retourna vers Feliciano et cligna rapidement des yeux. « Et Feli ! Fais-moi un câlin ! Oh-oh, je crois que toute cette cuisine allemande t'a fait grossir… »
Feliciano eut un hoquet indigné tandis qu'Antonio jetait un bras sur ses épaules. « Ce n'est pas de ma faute ! Ils mangent du chocolat pour le petit-déjeuner ! »
Cela attira l'attention de Lovino. « Du chocolat pour le petit-déjeuner ?
- Mais bien sûr, enfin ! » s'écria Antonio. « Un petit-déjeuner allemand n'en est pas un sans un bloc de chocolat, un tonneau de bière, et un cochon rôti tout entier !
- Seulement pour les grandes occasions, » dit Ludwig, les coins de ses lèvres remontés en un minuscule sourire.
Antonio mit une main sur sa poitrine et hoqueta bruyamment. « Est-ce que c'était une blague, Ludwig Beilschmidt ?! Bon Dieu, qu'est-ce que Feli t'a fait ? » Antonio rit et secoua la tête, abasourdi. « Mais j'ai tellement de questions à poser ! Comment va ton grand-père ? Et Roderich ? Tu as rencontré Lovino, bien sûr. Pardon s'il t'a semblé impoli, il ne fait pas exprès…
- T'excuse pas à ma place, bâtard ! »
Antonio gloussa. « Ça non plus, il ne le pense pas. »
Feliciano dut ravaler l'émotion insoutenable qui montait dans sa gorge. Il n'avait jamais osé imaginer, n'avait jamais même osé espérer qu'un jour il se tiendrait devant cette porte avec Ludwig qu'ils rentreraient à la maison ensemble. Antonio avait l'air si heureux et conciliant, et Lovino apprendrait à comprendre. La seule chose qui inquiétait Feliciano était la réaction de Papy Roma. Et s'il était encore fâché ? Et s'il refusait de parler à Ludwig ? Et s'il lui disait de partir ? Les pensées de Feliciano commençaient à lui échapper. Oui, Papy Roma lui avait dit d'aller en Allemagne, mais et s'il avait changé d'avis ? Et si Feliciano devait choisir entre Ludwig et sa famille ? Il avait fait ce choix une fois, auparavant, et il savait qu'il ne supporterait pas cette douleur à nouveau. Mais et si…
- Ah, vous êtes enfin là. »
Feliciano sursauta presque, son cœur décollant dans sa gorge, lorsqu'il s'aperçut que Papy Roma était debout dans le cadre de la porte. Antonio s'écarta et Ludwig fit un signe de tête poli, bien que ses mains soient fermement accrochées aux accoudoirs. « Major Vargas.
- Lieutenant Beilschmidt. » Papy Roma se tenait bien droit, l'expression fixe et insondable. Il y eut un moment de silence qui parut durer une éternité où les deux hommes se contentèrent de s'observer. Enfin, Roma baissa les yeux et inclina la tête. « Mais n'utilisons pas les vieux titres militaires ici. » Puis, à la plus grande stupéfaction de Feliciano, Papy Roma se pencha et enlaça Ludwig. « Bienvenu chez nous, Ludwig. »
Ludwig eut l'air complètement ébahis. Finalement, il tapota l'épaule de Roma, l'air mal à l'aise. « Euh… Grazie, Signore. »
Feliciano fondit promptement en larmes.
 
 
Le matin suivant fut plus frais, le vent apportait avec lui un léger froid tandis que Feliciano marchait dans les champs fraichement labourés avec Ludwig. C'était encore le petit matin, le soleil s'était à peine levé au-dessus des montagnes et la rosée scintillante collait encore à l'herbe. Mais Papy Roma avait dit que les lys étaient en fleur dans le champ nord, et l'aube était toujours le meilleur moment pour cueillir des fleurs, et puis, c'était un matin bien trop beau pour ne rien en faire. Au début, Feliciano eut peur que la longue route fût trop rocailleuse pour la chaise de Ludwig, mais ce dernier la manœuvrait avec une grande facilité, et ses bras étaient assez forts pour passer les endroits difficiles. Feliciano leva les yeux vers le soleil levant qui teintait le ciel d'orange à l'horizon. « Je n'arrive pas à croire que Papy, Lovino et Antonio préfèrent dormir plutôt que de voir ce joli ciel. »
Ludwig pouffa doucement. « Eh bien, il faut dire que l'on s'est couché il y a trois heures. »
Feliciano haussa les épaules. « Ce n'est pas une excuse, Ludwig. On est là, toi et moi, non ?
- Oui, mais je préfère qu'il n'ait ait que toi et moi. »
C'était drôle, comment des mots aussi simples de la part de Ludwig pouvaient couper le souffle de Feliciano et faire battre son cœur. Il repoussa ses cheveux battus par le vent et s'appliqua à envoyer d'un coup de pied un caillou dans l'herbe. « Moi aussi, Ludwig. Mais c'était une nuit charmante, tu ne trouves pas ? »
Ludwig hocha la tête, même s'il avait l'air un peu incrédule. « Etonnamment. Charmante et… étrange. »
En vérité, cela avait été une charmante, étrange, surréaliste et pourtant parfaitement merveilleuse soirée. Avec le feu qui brûlait et l'odeur de café dans l'air, tous les cinq parlaient de trains, et du village de Ludwig, et de musique, et de Shakespeare, et de tout sauf de la guerre. Antonio racontait de vieilles histoires sur Gilbert et Ludwig qui firent rire tout le monde, même Lovino. Et Feliciano s'était endormi sur l'épaule de Ludwig, heureux et content. Il adorait le village de Ludwig, mais c'était merveilleux d'être de retour à la maison avec sa famille – sa famille italienne. Feliciano supposait qu'il avait deux familles, maintenant.
- Je crois que Papy Roma était très heureux d'apprendre que tu es le petit-fils d'Opa Aldrich, même s'il a recraché son verre dans tous les sens. Mais ça m'a fait rire quand il a dit que vous vous ressemblez. Vous ne vous ressemblez pas du tout ! Tes cheveux sont beaucoup plus courts, après tout. » Feliciano tendit le bras vers la branche d'un arbre sous lequel ils passaient, cueillit une feuille et la fit tourner entre ses doigts. « Et tu souris plus.
- Ah bon ? » Ludwig eut l'air plutôt surpris.
- Bien sûr. Opa Aldrich ne sourit jamais, il a juste l'air un peu surpris en permanence. »
Ludwig poussa un petit soupir lourd. « Seulement avec toi. »
Feliciano pencha la tête d'un air interrogateur. « Je suis si surprenant que ça ?
- Constamment, Feliciano. » Mais Ludwig l'avait dit gentiment, et Feliciano savait qu'il disait cela comme une bonne chose. Feliciano chercha à attraper une autre feuille lorsqu'ils passèrent sous l'arbre suivant.
- Eh bien, ce n'est pas grave, je suppose. Je suis surpris tout le temps. A dire vrai, là, tout de suite, je suis surpris. Je veux dire, Papy Roma a dit qu'il y avait des lys en fleur du côté nord du champ, mais je ne vois pas de lys, je vois juste des arbres et de l'herbe et des marguerites et le cottage, là-bas… » Feliciano s'interrompit brusquement, fronça les sourcils et mit une main au-dessus de ses yeux pour scruter le terrain. Là, au bord du champ, se trouvait la vieille grange qui vivait, aussi douce qu'amer, dans sa mémoire. Sauf que ce n'était plus la même. Elle était beaucoup plus grande maintenant, avec un jardin coloré entouré de barrières, de grandes fenêtres et une porte d'entrée d'un vert vif. Ce n'était plus une grange – c'était un petit cottage. Feliciano s'arrêta, les feuilles oubliées tombèrent d'entre ses doigts. Il était complètement ahuri. « Que… Qu'est-ce qu'il s'est passé ?
- Est-ce que c'est… » Ludwig s'arrêta, scruta les environs, puis soupira en comprenant. « Quand est-ce qu'elle a été changée en maison ? »
Feliciano secoua la tête, le regard fixe, médusé et confus. « Je ne sais pas. Peut-être que quelqu'un l'a achetée, ou… je ne sais pas.
- Elle n'était pas comme ça quand tu es parti pour l'Allemagne ?
- Non ! C'était juste une grange ! Enfin, pas juste une grange, je veux dire… je… » Feliciano s'interrompit à nouveau, les souvenirs doux et amers inondant son esprit. Cette nuit pendant la guerre, avec Ludwig, dans un lit de paille près du feu, sous un toit battu par la pluie. Cette nuit torride de proximité, de bonheur et de plénitude cette fois où Feliciano s'était uni si parfaitement à Ludwig. Derrière le choc et la confusion au sujet de pourquoi cet endroit avait changé de façon aussi drastique, Feliciano s'aperçut soudain d'une chose : d'à quel point il voulait le revivre. « Ludwig, tu te souviens… »
Ludwig répondit avant même que Feliciano puisse finir. « Oui. »
Le vent froid souffla une puissante bourrasque, plaquant les cheveux de Feliciano contre sa joue. Il se tordit les doigts, prit une profonde inspiration et demanda. « Tu crois qu'on pourra le refaire, un jour ? »
Cette fois, Ludwig mit trop de temps à répondre. Il détourna le regard en parlant. « Je ne sais pas. »
Feliciano hocha la tête, soupira et sourit. « Allons voir de plus près. » Feliciano courut jusqu'au petit cottage, suivi par Ludwig. Lorsqu'il atteignit les arbres à feuilles vivaces qui bordaient l'immense champ, Feliciano prit la petite allée clôturée qui menait à la porte vert vif du cottage. Son estomac se retourna lorsqu'il vit un papier qui y était attaché. « Ludwig ! » appela-t-il, en l'arrachant de la porte. « Il y a quelque chose… »
Tu es un homme, Feli. Tu ne peux pas vivre avec ton Papy pour toujours.
Feliciano était certain que son cœur s'était arrêté lorsqu'il lut le mot, griffonné à l'écriture familière de Papy Roma. Tout d'abord, il ne comprit pas, puis il crut avoir mal lu, et enfin il fut à peu près sûr de rêver. Les mots se brouillèrent sur la feuille et il se retourna lentement, bouleversé et bouche-bée, pour voir Ludwig rouler jusqu'à lui sur la large allée de jardin. « Feliciano ? » Ludwig s'approcha lentement, l'air perplexe et inquiet. « Qu'est-ce que c'est ? »
Feliciano se contenta de secouer la tête, à peine capable d'y croire. « Elle est à nous. »
Ludwig s'arrêta, et fronça les sourcils sous la confusion. « Elle est quoi ? »
Feliciano rit. Lorsqu'il commença, il n'arriva plus à s'arrêter. « Elle est à nous ! » s'écria-t-il à nouveau en agitant le papier blanc tout en courant le long de l'allée. Une inondation de joie s'empara de lui et il ne put que rire, et hoqueter, et jeter ses bras autour de Ludwig en tombant sur ses genoux. Ludwig prit le papier d'entre ses doigts, lut les mots, et serra tout simplement Feliciano dans ses bras.
Feliciano n'avait jamais su qu'un tel bonheur existait. Il ne comprenait pas comment il pouvait mériter tout cela. Il ne savait tout simplement pas comment contenir une joie aussi formidable.
C'était là qu'il vivrait avec Ludwig. Là, dans les champs d'or italiens là, adossé à leurs montagnes et près de leur chêne. Là, ils auraient enfin leur place.
L'hiver italien passa aussi rapidement et joyeusement que l'automne allemand. Feliciano passait ses matinées à travailler dans leur petit jardin, à planter des lys blancs et des marguerites rouges et des touffes de basilic et de romarin. Généralement, Ludwig le regardait en silence en écoutant Feliciano parler ou chanter dans le soleil du matin. L'après-midi, ils marchaient parfois jusqu'au village, faisaient leurs courses au marché ou allaient prendre un café avec Antonio et Lovino à la cantina – ces après-midi-là se terminaient généralement sous le chêne, où ils discutaient et ramassaient des fleurs et où Feliciano chantaient parfois. C'était une vie parfaite, magnifique, et Feliciano savait qu'ils la méritaient. C'est vrai qu'au début certains villageois eurent du mal à se faire à l'idée d'un ancien officier allemand vivant parmi eux, mais la plupart l'acceptèrent avant le printemps. Après tout, il était un peu embarrassant de perdre un combat contre un homme en fauteuil roulant.
 
 
L'orage de l'après-midi éclata soudainement, de façon inattendue, surprenant Feliciano et Ludwig tandis qu'ils revenaient du marché. Le temps qu'ils s'engouffrent par la porte d'entrée, mouillés et essoufflés, ils étaient complètement trempés. Ludwig secoua la tête pour en chasser la pluie et se dirigea immédiatement vers la cheminée dans leur chambre. « Je ne me ferai jamais à cette météo italienne, » grommela-t-il avant d'entendre Feliciano rire en guise de réponse tandis qu'il le suivait dans le couloir.
- Au moins, les orages de printemps ne sont pas aussi effrayants que ceux d'hiver ! » Un coup de tonnerre soudain secoua les fenêtres et Feliciano hurla, le bruit de ses pas se faisant plus fort jusqu'à ce que Ludwig sente des bras s'accrocher à son cou. Il s'arrêta, lâcha un soupir résigné, puis retourna sa chaise et fit monter Feliciano sur ses genoux. L'expression de terreur de Feliciano passa d'abord à la surprise, puis à une joie éblouissante lorsqu'il se laissa joyeusement aller contre l'épaule de Ludwig. Ce dernier leva les yeux au ciel en poursuivant sa route vers la chambre. C'était ridicule, vraiment. Feliciano passait presque autant de temps dans cette chaise que Ludwig lui-même.
- Qu'est-ce que j'ai dit à propos du tonnerre, Feliciano ?
- Le tonnerre est le bruit que font les éclairs, pas le bruit des anciens dieux qui se battent dans les montagnes, » récita Feliciano avec application.
- Exactement. Aucune raison d'avoir peur. » Ludwig manœuvra sa route par la grande porte de la chambre, la lumière terne de l'après-midi distillée par les rideaux projetait des ombres sur le tapis et le parquet. Il frotta brièvement les bras froids de Feliciano avant de le pousser de ses genoux. « Change-toi vite, tu es gelé. Je vais faire du feu. »
La cheminée de la vieille grange était maintenant le point central de la chambre, à l'opposé de la commode et du lit, surmontée d'un rebord verni couvert de pots de fleur colorés, d'images encadrées et d'une simple petite boite en bois qui contenait deux très précieuses photographies. Ludwig se prépara à allumer le feu tandis que Feliciano continuait de parler derrière lui.
- Si le tonnerre est le bruit que fait l'éclair, alors pourquoi est-ce qu'on voit l'éclair d'abord ?
- Parce que la lumière voyage plus vite que le son, » expliqua patiemment Ludwig en mettant du petit-bois dans le foyer.
- Ça a l'air très bizarre, Ludwig, mais je suis sûr que tu en sais plus que moi. Et je ne trouve plus le tonnerre aussi effrayant, sauf quand je ne m'y attends pas, mais ça je n'y peux rien. Il faudra retourner au marché, demain, au fait, parce que j'ai fait tomber les tomates sous la pluie et il faut que je fasse ce flan pendant que le basilic est encore frais – oh non, est-ce que tu crois que la tempête va détruire mes herbes ? Je viens d'en planter des nouvelles ! »
Ludwig ferma les grilles sur le feu crépitant et tourna sa chaise, près à rassurer Feliciano en lui disant que ses herbes n'avaient probablement rien à craindre. Les mots moururent instantanément sur ses lèvres. Feliciano était debout à la fenêtre, nu jusqu'à la taille, tenant le rideau ouvert pour jeter un œil dans le jardin. Ses cheveux mouillés étaient collés à sa nuque, lissés par la pluie à l'exception de cette unique boucle rebelle, laissant couler de luisants filets d'eau sur sa peau nue qui brillait comme de l'or dans la lumière du feu. Il était absolument magnifique. Ludwig déglutit lourdement, la gorge sèche et le souffle de plus en plus court. Une vague de chaleur frappa son dos, piquant la base de sa colonne vertébrale et se répandant à des endroits où il n'avait plus l'habitude d'avoir des sensations. Feliciano tourna un pied nu sur le sol, essuya l'eau qui lui coulait sur le front et sourit en se retournant.
- Je crois que ça ira, j'imagine que je peux tout simplement en replanter si… Ludwig ?
- Feliciano. » Ludwig tendit une main vers Feliciano, il avait besoin qu'il la prenne besoin qu'il comprenne. Feliciano se contenta de le fixer pendant encore une seconde. Ses yeux d'or s'assombrirent, ses lèvres douces s'entrouvrirent, et il souffla un petit « Oh. » silencieux et tremblant. Puis il sourit à nouveau, magnifique, calme et confiant. Le cœur de Ludwig se retourna dans sa poitrine, vif et plein, lorsque Feliciano se jeta dans ses bras. Bien sûr qu'il comprenait.
En quelques minutes à peine, la pluie devint encore plus forte, frappant lourdement sur le toit tandis que la lumière vacillante du feu peignait la peau de Feliciano d'une douce lueur dorée. Allongé sur le lit bas et large, Ludwig leva les yeux sur Feliciano, à cheval sur sa taille Passa ses mains calleuses sur les cuisses douces et tremblantes et sur ses hanches chaudes et fermes. Les yeux de Feliciano ne quittaient pas ceux de Ludwig, ses propres mains traçaient de légers cercles sur sa poitrine. Ludwig savait qu'ils avaient tous les deux, en un sens, peur d'essayer. Après tout, ils avaient essayé plusieurs fois depuis l'hiver, et n'avaient eu jusque-là qu'un succès limité. Mais il savait aussi qu'il faisait confiance à Feliciano, et l'aimait désespérément, et Ludwig le voulait autant pour son petit Italien adoré que pour lui-même.
- Tout va bien, Feliciano. » Ludwig leva une main pour toucher la joue de Feliciano, laissant sa main tomber doucement sur des lèvres hésitantes et des épaules fragiles et cette cicatrice blanche de blessure par balle sur la poitrine de Feliciano qui perçait encore le cœur de Ludwig. « On ira doucement. »
Un long roulement de tonnerre résonna dans la pièce. La main de Feliciano s'accrocha fermement à celle de Ludwig, mais ensuite il sourit. « Il y avait un orage la première fois aussi, tu te souviens ? »
Ludwig sourit en retour. Bien sûr qu'il se souvenait. Il hocha la tête en réponse et dit simplement, « Baciami. »
Les yeux de Feliciano étincelèrent au souvenir et il se pencha vers lui dans un baiser brûlant. Dans le même temps, il leva lentement ses hanches et s'abaissa sur Ludwig. Ce dernier eut un bref hoquet de surprise en sentant la pression sourde qui se resserrait, un frisson grandissant, le lent commencement d'une sensation. Feliciano gémit doucement contre ses lèvres et Ludwig l'embrassa à nouveau, ses mains se faisant légères sur ces cuisses lisses qui travaillaient tandis que Feliciano prenait son temps pour s'habituer à la position. « Oh, » murmura-t-il, le souffle court, le ton béat, presque surpris, de sa voix envoyant des vagues de chaleur le long du cou de Ludwig. « Oh, Ludwig… »
Ludwig passa ses mains des cuisses de Feliciano à sa taille, le souleva doucement, le faisant bouger facilement. C'était différent, et c'était un peu étrange, ce désire instinctif de s'enfoncer sans en avoir la capacité. Mais c'était aussi autre chose. Le mouvement accéléré des hanches de Feliciano, la chaleur proche de ses soupirs voilés, le regard assombri de ses yeux lourds : tout enflammait les veines de Ludwig et s'accumulait sous ses hanches, créant une sorte de plaisir. C'était le fait d'être avec Feliciano, aussi près que leur permettaient leurs corps c'était le fait d'assombrir ces yeux d'or et de tirer ces soupirs d'entre les lèvres de Feliciano.
Feliciano écarta les genoux, se pressa plus près et souffla doucement, « Tu me sens, Ludwig ?
Ja, Feliciano. » Ludwig raffermit sa prise, souleva encore Feliciano pour le ramener vers le bas. « Je te sens. »
L'expression de joie pure et de soulagement sur le visage de Feliciano fit fondre la moindre trace de doute restante. Parce que Ludwig le sentait bel et bien. Ce n'était pas comme cette première nuit agitée par l'orage auprès de cette cheminée, et cela risquait bien de ne jamais être pareil. Pourtant c'était plus pur, plus réel chaque regard radieux, chaque caresse de la perfection de Feliciano faisait remonter plus de sensation du corps brisé de Ludwig. Il leva une main pour toucher la joue de Feliciano, son cou fit courir ses doigts le long de la courbe douce de son dos passa le long de son flanc et chercha entre ses cuisses. Feliciano cria, se cambra à la sensation et Ludwig sentit son souffle se bloquer devant la pure beauté dorée qui était la sienne. Ludwig se perdit presque dans le rythme entre eux, dans la sensation d'harmonie qui le consumait, jusqu'à ne presque plus savoir où se terminait son corps et où commençait celui de Feliciano.
Il était maintenant habitué à ses bruits, à son rire et à son chant et à son babillage constant. Pourtant, pour ces rares moments, Feliciano resta silencieux à l'exception du rythme rapide de sa respiration et de ses soupirs montants qui se transformaient en de minuscules gémissements tremblants. Ludwig adorait les bruits de Feliciano, et il adorait son silence. Il adorait sa vivacité et sa joie. Et lorsque le ventre de Feliciano se serra, ses joues rougies et ses grands yeux fixés sur ceux de Ludwig, ce dernier adora le fait d'être la raison de sa jouissance époustouflante.
Ce moment parut durer à la fois un instant et une éternité, les nerfs de Ludwig enflammés par sa propre jouissance stable, muette, jusqu'à ce que la respiration de Feliciano se calme et que ses mains tremblantes s'immobilisent sur la poitrine de Ludwig. Ce dernier mit la main sur la nuque de Feliciano et l'attira dans un baiser profond, enveloppant son corps chaud et somnolant dans une étreinte stable. Les lèvres de Feliciano étaient lentes, paresseuses contre les siennes, jusqu'à ce qu'il rompe le baiser avec un court et doux rire. « Oh, Ludwig, um… Je, euh, oh. »
Ludwig ne put s'empêcher de ressentir une satisfaction orgueilleuse en entendant cela, encore béat de pouvoir donner cette sensation à Feliciano de pouvoir être la cause de ses soupirs lourds et de ses membres fatigués. Pendant si longtemps, Ludwig n'avait pas su si cette union était possible, et maintenant un soulagement pur et limpide coulait dans le moindre de ses organes. Le soulagement de pouvoir encore faire cela pour Feliciano. Le soulagement d'avoir encore cela ils s'avaient l'un l'autre, et ils avaient tout.
Le bruit du tonnerre et de la pluie oubliés remplit à nouveau la chambre tandis que Feliciano tombait aux côtés de Ludwig, passait un bras sur sa poitrine et respirait contre son cou. Ludwig tendit le bras vers les couvertures et essaya de ne pas trop attirer l'attention sur le fait qu'il ajustait ses jambes sous les draps. Feliciano se contenta de sourire contre sa peau. « Ludwig ?
- Mmh ?
- Je suis très heureux, là. »
Ludwig attira à nouveau Feliciano contre lui et embrassa son front. « Moi aussi, Feliciano. » Et il l'était. Ludwig était sûr de n'avoir jamais été aussi heureux. Feliciano calmait les souvenirs sombres et apaisait la douleur aiguë il donnait à la vie sens et espoir. Il était l'innocence dans un monde de culpabilité, une étincelle de lumière dans ce qui ne serait autrement que ténèbres et confusion. Feliciano était étrange et sauvage, et Ludwig savait qu'en cinquante ans il ne le comprendrait jamais tout à fait. Mais en sentant les doigts de Feliciano danser sur sa poitrine et en entendant sa respiration se transformer en un fredonnement indistinct, Ludwig se demanda si c'était bien important. Parce qu'il l'aimait, et avait besoin de lui et ne cesserait jamais de l'apprendre. Et c'était sûrement assez.
Ludwig s'était peut-être endormi, ou peut-être qu'il était juste en train de rêvasser, concentré sur la sensation parfait d'avoir Feliciano dans ses bras. Quoiqu'il en soit, il fut surpris brusquement lorsque Feliciano se redressa et sauta du lit, tirant derrière lui un drap autour de sa taille. Ludwig le regarda dans une confusion trouble. « Où tu vas ?
- J'ai une idée ! »
Ludwig décida qu'il valait mieux ne pas poser plus de questions. Il savait déjà qu'il ne pourrait pas convaincre Feliciano de laisser tomber son idée folle, quoi qu'elle fût. A la place, il essaya de ne pas rire en voyant Feliciano se dépêtrer à travers la pièce jusqu'à la cheminée, le drap entortillé bizarrement autour de ses chevilles. « Tu peux enlever le drap, Feliciano.
- Mais je serais tout nu !
- Exactement. »
Feliciano fit un bruit à mi-chemin entre un hoquet et un éclat de rire. « Ludwig ! Ne sois pas malpoli. Alors, voilà. » Ludwig fronça les sourcils en s'apercevant de ce que Feliciano était allé chercher. Il prit la petite boite en bois sur le rebord de la cheminée, la rapporta maladroitement jusqu'au lit et s'assit lourdement tandis que Ludwig se redressait un peu contre la tête de lit.
- Feliciano ? » Ludwig ne savait pas quoi demander d'autre.
Feliciano tenait la boite entre eux et regardait Ludwig avec des yeux honnêtes. « Ludwig, tu as dit que tu te souviens qu'il y avait un orage la première fois. Tu te souviens aussi quand je t'ai demandé de ne pas me dire au revoir ? »
Ludwig hocha lentement la tête, sa gorge se serra soudain à ce souvenir. Il n'oublierait jamais. « Oui, je me souviens.
- Ça me faisait toujours tellement mal de te dire au revoir. » Feliciano baissa les yeux sur la petite boite, l'expression soudain triste et hésitante. « Chaque fois que je l'ai fait, je ne savais pas si ce serait la dernière fois et… Et même maintenant, je n'aime toujours pas le dire, parce que ça me rappelle… » Feliciano se mordit la lèvre et ses yeux commencèrent à rougir. « Et ces photos, là, on avait écrit nos au revoir dessus, et… ils y sont encore… »
Ludwig poussa un soupir de compréhension. Avant que Feliciano ne s'attriste trop, Ludwig lui pressa gentiment la main. « Passe-moi ma chemise. »
Feliciano leva la tête, et bien qu'il parût un peu confus, hocha la tête et alla chercher la chemise de Ludwig sur la table près du lit. Ludwig prit un stylo dans la poche de devant et Feliciano rit aussitôt. « Tu as encore un stylo dans ta poche, Ludwig ! »
Ludwig sourit. « On ne sait jamais quand on pourrait en avoir besoin. » Il tendit une main vers la boite et l'ouvrit sortant délicatement la photo froissée et tachée de sang de Feliciano qui souriait radieusement à l'appareil. Ce précieux morceau de Feliciano évoquait tant d'émotions en Ludwig qu'il trouva presque difficile de la regarder. Il leva rapidement les yeux vers le vrai visage de Feliciano, son sourire magnifique, avant de retourner la photo. Il posa la photo sur sa cuisse, traça un trait sur les mots écrits au dos : bella ciao. Et à la place, il écrivit, buon giorno bello.
Feliciano contempla les mots pendant quelques instants, les larmes s'accumulant dans ses yeux. Ludwig tendit une main vers la boite pour prendre la seconde photo, et lui tendit avec le stylo dans une suggestion silencieuse. Feliciano les prit tous deux, lentement, passant une main tremblante sur l'image avant de la retourner. Il barra l'auf wiedersehen, sweetheart griffonné au dos. Puis, à côté de la phrase familière, il écrivit soigneusement les mots guten tag, sweetheart.
- Voilà, » dit légèrement Ludwig, tendant une main pour passer son pouce sous l'œil de Feliciano. « Plus d'au revoir. »
Feliciano rit et s'essuya les yeux. Il prit une profonde inspiration, puis expira lentement, une expiration d'acceptation et de soulagement. Ludwig comprenait. La dernière fois qu'ils s'étaient couchés sous ce toit battu par la pluie, cela s'était terminé en au revoir. Feliciano s'en souvenait toujours si profondément mais Ludwig était déterminé à toujours trouver un moyen de le rassurer.
- Voilà, maintenant. » Ludwig remit les photos dans la boite, la posa sur la table à côté du lit, et attira à nouveau Feliciano dans ses bras. « Tu ferais quelque chose pour moi ?
- Oui, » répondit immédiatement Feliciano.
Ludwig rit doucement à ces mots. « Promet-moi que tu te réveilleras à côté de moi, tous les matins – et que tu ne me diras jamais au revoir. »
Ludwig sentit les lèvres de Feliciano s'étirer en un sourire avant de presser un baiser chaleureux sur sa poitrine. « Je te le promets, Ludwig.
- Bien. Au lit, maintenant.
- Oui, Ludwig. »
Le cœur de Ludwig se gonfla dans sa poitrine lorsque Feliciano s'allongea joyeusement, souriant, contre sa poitrine. Ludwig ne savait toujours pas comment simplement essayer de remplir son devoir envers sa nation l'avait conduit à cette étrange conclusion. A un étrange, surprenant, magnifique petit italien qui avait renversé le monde et changé tout ce en quoi Ludwig pensait croire. En une vie qui ne ressemblait à rien qu'il ait jamais imaginé pour lui-même, et plus merveilleuse que tout ce dont il aurait pu rêver. Tout ce que Ludwig savait, c'était que malgré les obstacles, malgré les années d'enfer, malgré les cicatrices et la douleur, il n'en changerait rien. Ludwig ne regretterait jamais d'avoir pris le risque, toutes ces années auparavant. Cela avait valu la peine.
Ludwig regarda les photos installées près du lit ces vieux au revoir douloureux barrés et remplacés par des salutations. Il était temps d'oublier le passé – temps de vivre leur avenir. Il était temps de voir où cette vie étrange, magnifique et inattendue les mènerait. Tout ce dont Ludwig était sûr, en serrant Feliciano contre lui et en l'écoutant sombrer dans le sommeil, c'était qu'ils le vivraient ensemble. Parce qu'ils ne se diraient plus jamais au revoir.

auf Wiedersehen sweetheart (français)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant