16 novembre 2021, 20h50.
« Le come-back d'Eric Drouet ». C'était l'intitulé du bandeau de BFM ce soir-là. Depuis quelques mois en effet, l'ex-leader des gilets jaunes avait fait son retour sur la scène politique. Soutenu par le gratin de la contestation populaire, de François Boulo à Maxime Nicolle, il était prêt à en découdre. Après le ralliement de l'humoriste Rémy Gaillard, Drouet croyait même en ses chances pour la présidentielle.
-C'est un idiot, je le dis, ce type est un idiot. Regardez sa page Facebook, lisez ses commentaires, c'est bourré de fautes, et ce type veut être président ? C'est une blague. Une vraie blague.
Devant son poste de télévision, Drouet souriait. Il était habitué à ce genre de réflexion venant des éditorialistes de BFMTV. Ces gens le haïssaient, et c'était très bien comme ça : c'était la preuve qu'il allait dans le bon sens. Ça le crédibilisait.
Alors qu'il allait changer de chaîne, la sonnette retentit. Le jeune chauffeur routier se leva de son canapé et se dirigea vers la porte. Quand il l'ouvrit, il ne fut pas surpris de trouver sur le perron un vieil homme, emmitouflé dans une écharpe rouge, qui le regardait derrière ses lunettes d'un air sévère.
-Bonsoir Eric, grommela Jean-Luc Mélenchon.
-Bonsoir, Jean-Luc.
Eric Drouet était plutôt rassuré. Quand Mélenchon grommelle, c'est qu'il est de bonne humeur.
-Je vous fais un café ? Un thé peut-être ?
-Un thé, c'est très bien, merci.
Cela faisait un mois que les deux hommes communiquaient régulièrement. Une rencontre avait déjà eu lieu chez Mélenchon. Le leader de la France Insoumise, à la ramasse dans les sondages et paria du reste de la gauche, espérait obtenir un ralliement de Drouet. Cela faisait cinq ans qu'il ventait les vertus de la « stratégie populiste », s'il voulait faire taire les critiques au sein de son parti et se renforcer, c'était maintenant ou jamais.
-Vous avez demandé à me voir, fit Mélenchon qui espérait l'officialisation d'un soutien le plus tôt possible.
-Oui, souffla Drouet sans le regarder dans les yeux. J'ai pris ma décision. Je ne peux pas, Jean-Luc. Les gens comptent sur moi. Dans la rue, on m'arrête, on me demande d'y aller. J'ai du respect pour vous, pour...
Mélenchon arrivait à peine à y croire. Il avait placé tellement d'espoir dans cette alliance, il avait consacré tellement de temps à ce clown, à lui parler de l'histoire des révolutions de 1789 et de 1848, à lui parler de son homonymie avec le révolutionnaire Drouet qui avait reconnu le roi à Varennes, à lui lire du Jaurès et du Hugo, à lui citer du Marx et du Blum, à lui parler de Mitterand... Mais comment ce débile profond pouvait avoir l'outrecuidance d'imaginer qu'il pourrait gagner et gouverner la cinquième puissance mondiale ?
-Vous n'êtes pas sérieux, rassurez-moi Eric. Vous n'imaginez tout de même pas pouvoir gagner seul ?
-Je ne suis pas seul Jean-Luc. J'ai...
-Vous êtes seul, Eric, vous êtes faible, vous n'avez aucun soutien, rien. Vous allez nous faire perdre, c'est tout ce que vous allez réussir à faire ! Vous savez qu'ils veulent tous ma peau, chez moi ? Ruffin veut même un accord avec les verts, vous imaginez ?
Le ton commençait à monter entre les deux hommes.
-Je n'aime pas votre ton moralisateur, Jean-Luc. Je comprends votre position, j'ai aimé discuter, échanger avec vous, vous êtes d'une grande qualité, mais...
-Mais quoi ? Tu sais ce que c'est la politique, toi ? C'est toi qui as été ministre ou c'est moi ? C'est toi qui as été sénateur pendant 30 ans ou c'est moi ?!
-C'est vous, Jean-Luc, et c'est pour ça que vous allez perdre, assena Drouet d'une voix monocorde.
Mélenchon voyait rouge. Plus que d'habitude en tout cas.
-Écoute-moi bien, fit-il d'un ton menaçant. Je ne sais pas qui t'a mit dans la tête que tu avais ne serait-ce qu'une seule chance. C'est sans doute un coup de ce taré de Chouard, ou de ce traitre de Branco, mais laisse-moi te dire une bonne chose : tu n'es rien. Tu n'incarnes rien, tu ne représentes rien. Tu n'es que le porte-voix d'une bande d'idiots, de fachos.
-Je vous ai connu moins méprisant. Les masques tombent, on dirait bien.
-Tu veux y aller ? Tu veux être candidat ? Ainsi soit-il. Mais sache une chose : je te tuerai. Tu es mort, Drouet, tu m'entends ?
Mélenchon était en transe, Drouet restait impassible.
-Sortez de chez moi.
-Avec plaisir !
Le député de Marseille tourna les talons, attrapa son manteau et claqua la porte. Eric Drouet resta seul dans son salon. Il sortit son IPhone de la poche arrière de son jean et arrêta l'enregistrement. Il s'empressa d'envoyer un texto à Juan Branco : « C'est fait. Il a réagi comme prévu. Tout est dans la boîte. »
À Paris, au même moment, François Ruffin donnait une conférence de presse improvisée dans un bar du VIIe arrondissement. À ses côtés, Eric Piolle, maire écolo de Grenoble.
-M...merci d'être ve...venu, clama tant bien que mal Ruffin aux dizaines de journalistes prévenus.
Alors qu'il était en voiture, encore échaudé par son altercation avec Drouet, Mélenchon désactiva le mode avion de son téléphone portable. Il avait 176 appels en absence et 234 sms non-lus. La notification de l'AFP qui s'affichait en haut de son écran ne laissait désormais plus de place au doute : « Ruffin et les verts annoncent une candidature commune et la tenue d'une grande primaire de la gauche et des écologistes. »
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LE JEU DU POUVOIR
General FictionSeptembre 2021. La campagne présidentielle est à peine lancée que les coups bas et les crasses sont déjà de mise. À travers cette politique fiction en plusieurs parties, suivez les trajectoires de ces femmes et de ces hommes qui n'ont désormais plus...