#GrosseDarka

135 7 6
                                    

22 novembre 2021, 19h32

Le parc des expositions, Porte de Versailles, était plein à craquer. Marion Maréchal y tenait son premier grand meeting de campagne. Elle avait choisi la Porte de Versailles parce que c'est ici que Sarkozy avait organisé la plupart de ses rassemblements en 2007, puis en 2012. Et depuis la mise en examen et le retrait de l'ancien président, c'était opération séduction au RN. L'objectif : récupérer les orphelins du Sarkozysme.

-Alors, tu as entendu la dernière de Schiappa mardi dernier sur CNEWS ?

La question de Patrick Buisson était ironique. Il était évident que son interlocuteur, Eric Zemmour, avait eu vent des déclarations de la secrétaire d'état chargée de l'égalité homme-femme, bien qu'il n'était pas à l'antenne à ce moment-là.

-C'est du pain béni pour nous, siffla Zemmour, un sourire au bout des lèvres, sirotant son café dans le hall tandis qu'un militant retardataire s'approchait de lui pour faire un selfie.

« N'attendez pas que 2002 ou 2017 se reproduisent, faites barrage à l'extrême droite dès maintenant. Les urnes, l'élection ne sont pas nos seules armes. Mobilisez-vous, refusez le fascisme ». En quelques heures, ces quelques mots de la ministre, à propos du ralliement de l'aile droite de LR à la candidate RN, avaient mis le feu aux poudres. Dans l'opposition, les réactions ne s'étaient pas faites attendre. « Irresponsabilité », « Appel à la violence » : à droite comme à gauche, l'indignation était collective.

-Le premier ministre a tenté de rattraper le coup mais c'était trop tard. Il paraît que Macron est vert, il ne veut plus étendre parler de Schiappa. Il y a de quoi en même temps, ça fait cinq ans que les mecs accusent l'opposition de violence, de terrorisme parlementaire et ils se retrouvent à prôner l'action direct... C'est un vrai sketch.

-Tu m'étonnes, fit Buisson en riant. On voit ce que ça donne.

En effet. À l'extérieur de la salle, des centaines, peut-être des milliers de militants antifascistes survoltés s'étaient massés à quelques centaines de mètres du bâtiment. Les forces de l'ordre avaient été déployées. Devant les portes, les mecs du DPS (département protection sécurité, le service d'ordre du RN) montaient la garde. Les anciens du GUD, évincés sous la présidence de Marine Le Pen et réintroduit avec la victoire de sa nièce, leur prêtaient main forte. La situation était plus qu'explosive, et le gouvernement craignait des débordements.

Au même moment, dans son immense appartement du XVIe arrondissement, Cyril Hanouna jouait au ping-pong sur sa console vidéo. Vincent Bolloré, patron du groupe CANAL, essayait d'engager une discussion.

-Cyril, tu sais que je ne t'ai jamais fixé aucune limite et que j'apprécie énormément ton indépendance d'esprit...

Hanouna restait muet, les yeux rivés sur son écran.

- ...mais il parait que tes déclarations agacent de plus en plus à l'Elysée. Et moi, j'ai la pression. J'ai eu Marlène au téléphone tout à l'heure, et...

-Elle est pas assez occupée à raconter ses conneries, ta copine ? lui lança l'animateur vedette de C8, sans même le regarder. Il paraît que Macron veut même plus entendre parler d'elle... remarque, moi, je vois pas bien pourquoi. Elle est restée en top tweet pendant trois jours, on parle plus que d'ça. Un buzz comme celui-ci, c'est pas tous les jours.

-Cyril, poursuivit Bolloré, écoute-moi. L'idée que tu puisses être candidat nous faisait tous bien marrer jusqu'à présent, mais il paraît que ça commence sérieusement à inquiéter Macron. Tu es plus populaire que jamais. Tes attaques contre lui sont reprises en boucle sur les réseaux, et...

-Tant mieux, l'interrompit Hanouna. Ça nous fait faire plus d'audience. T'as vu les chiffres de la semaine dernière Vincent ? Je suis une star. Les gens m'adorent. Ça peut paraître dingue, mais les gens veulent que j'sois candidat ! Y'a pas un jour sans qu'on me l'demande pas dans la rue.

-Le problème, c'est que...

-Y'a pas de problème, Vincent. T'as peur de quoi ? Qu'ils me fassent taire ? Comme Coluche ? J'ai pas peur d'eux, moi. Remarque, la mort de Benalla c'est bizarre, tu trouves pas ? Macron serait derrière ça que ça m'étonnerait pas...

-N'exagères pas, Cyril...

-Ben quoi ? On doit s'attendre à tout avec ces gens. Le pouvoir, ça rend fou. Et tu sais comme moi que Macron est un fou-furieux.

-Cyril, regarde moi. Tu as sans doute raison sur Macron, ce type est fou. Il a vrillé, il n'a plus rien à voir avec la personne que j'ai connu et que j'ai soutenu il y a cinq ans. Mais si c'est pas lui, c'est qui, sérieusement ? Sans Nicolas, la droite est foutue. Marion est peut-être plus intelligente que sa tante mais avec le FN, c'est la guerre civile assurée. On ne peut pas se permettre de laisser les extrêmes passer en 2022. Ce serait une catastrophe pour le business.

-Tu sais tout comme moi qu'il y a une autre option. Macron lui-même m'a encouragé à réfléchir à cette candidature il y a six mois. Et maintenant qu'il est dans la merde jusqu'au cou, il faudrait que j'me retire ? Même pas en rêve. J'ai un boulevard devant moi, et je...

-Attends, souffla Bolloré, les yeux accrochés à son portable. Enlève ton truc, allume la télé.

Hanouna attrapa la télécommande. Sur CNEWS, des scènes de guérilla défilaient. De la fumée, des cris, des sirènes et des affrontements entre antifas et forces de l'ordre. Porte de Versailles, la situation avait sérieusement dégénéré. Des bombes agricoles avaient explosé du côté des manifestants, les policiers avaient répliqué à coup de LBD. Une jeune fille, le visage en sang, était en train d'être évacuée par ses camarades.

À l'intérieur du parc des expositions, le discours de Marion Marechal venait à peine de débuter qu'il avait déjà dû être interrompu. L'effervescence du début de meeting n'était pas encore retombée que des Femen, infiltrées dans la salle, s'étaient invitées sur scène, seins nus. L'une d'entre elles avait sauté sur Zemmour, assis au premier rang entre Laurent Wauquiez et Alain Madelin, et l'avait mordu au bras. Dans le hall, une bagarre entre fachos et gauchistes avait éclaté : un gorille du GUD, le crâne en sang, malmenait une militante féministe qui se défendait tant bien que mal.

-C'était d'une violence inouïe.

Maréchal et son cercle proche s'étaient retirés dans sa loge tandis que la salle était en train d'être évacuée et les manifestants dispersés. Buisson ruminait tandis que sa candidate se repoudrait.

-Calme-toi, Patrick. C'est excellent pour nous, tout ça. La violence est de leur côté, on commence déjà à recevoir des messages de soutiens venus de toute la classe politique. Schiappa a même twitté pour s'excuser, regarde!

Souriante, la nouvelle championne de l'extrême droite tendit son portable à Buisson en évitant soigneusement le regard noir de Zemmour qui tenait encore son bras, grimaçant de douleur.

- Il y en a un autre qui a twitté lui aussi, lâcha l'un des communicants présents dans la pièces.

« Vous avez vu ce bordel à Paris mes petites beautés ? On ne peut pas laisser le pays ni aux extrêmes, ni aux incapables qui nous gouvernent et qui sont eux aussi responsables. Alors, qui est avec moi ? #GrosseDarka #HanounaPrésident ».

LE JEU DU POUVOIROù les histoires vivent. Découvrez maintenant