Chapitre 3

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La veille de la soirée, alors qu'Amina devait me rejoindre au supermarché pour qu'on fasse nos courses, je devinais qu'elle essayait de m'éviter. Probablement parce que je lui avais envoyé un sms à propos de son invitation secrète pendant qu'elle était chez son copain du moment... Mais finalement, avec presque trente minutes de retard, elle se pointa enfin. Elle avança en me souriant, comme pour m'amadouer.

- Tu m'en veux ?

- Non, mais t'aurais pu me le dire !

- Je savais pas qu'il avait une copine, il n'a rien dit quand je l'ai invité, pourtant je lui ai proposé de venir avec qui il voulait.

- Peu importe, faut pas que ça me gâche la soirée, alors allons acheter de l'alcool !

Elle rigola en attrapant ma main pour m'entraîner à l'intérieur du magasin. C'était qu'une petite déception après tout. J'avais craqué sur son physique, je ne savais rien de lui. Ce serait vite oublié.

Même si craquer de loin sur un mec comme ça... ça faisait une éternité que ça ne m'était plus arrivé.

Avec Amina on fit le plein du caddie et on rentra pour finaliser les derniers détails. À l'appart, elle vida son dernier carton de vêtements pour chercher sa tenue pour la soirée.Bien que son dressing s'étende de sa chambre jusqu'au placard de l'entrée, elle n'arrêtait pas de se plaindre de n'avoir rien à se mettre !


- Et toi ? Tu vas mettre quoi ?

- Je sais pas.

- Tu vas faire un effort ? Pas de tâche de peinture, pas de crocs et pas ton bandeau atroce dans tes cheveux ?

- Ce que t'es exigeante comme fille, c'est dingue ! plaisantai-je en rangeant les bouteilles dans le frigo.

- T'as plein de jolies choses à te mettre, comme ta robe noire, celle avec les manches transparentes, elle te va trop bien !

- Je sais pas, j'aime pas montrer mes jambes. En plus j'ai la flemme de m'épiler.

- Swann...

- Quoi ?

- M'oblige pas à parler comme ta mère !


Je la regardais avec les sourcils froncés, je voyais exactement ce qu'elle voulait dire. Et je savais qu'elle imitait ma mère à la perfection, même si elle ne me disait jamais rien de méchant. Ça, c'était la spécialité de ma chère maman.


« Si tu ne maigris pas tu ne trouveras jamais personne qui voudra de toi.»

« Tiens toi droite, on verra moins ton ventre. »

« Les jupes courtes ne te mettent vraiment pas en valeur, tu as les genoux trop épais et tu devrais cacher tes bras... »


Toutes ces remarques tournaient en boucle dans ma tête chaque fois que je me retrouvais devant un miroir. Comme si ma mère avait formé ma petite voix intérieure pour prendre la relève après que j'ai quitté la maison.

Je ne parlais plus à ma mère depuis longtemps... Parce que je la trouvais cruelle. Et pourtant, je la croyais, même si je savais que j'avais tort. C'était plus fort que moi. Je n'aimais pas ce que je voyais quand je me regardais.


- Je pourrais te maquiller... T'as déjà une peau parfaite mais je pourrais te faire les yeux. proposa Amina en pliant son linge.

- Pourquoi faire ? dis-je un peu démoralisée.

- Pour toi, pour te plaire, pour changer un peu ?


Je ne répondis pas vraiment, me contentant d'un « OK » fuyant pour que la conversation s'arrête.

J'avais toujours été « ronde ». Et dans l'ensemble je le vivais plutôt bien. Je n'étais plus sujette aux moqueries depuis que j'étais sortie du collège. Au lycée, mes formes généreuses avaient même pas mal plu à mes camarades masculins... Bien qu'en grandissant mes formes soient devenues féminines et plutôt harmonieuses, je me sentais grosse. Et je me voyais grosse.

Je pouvais facilement m'habiller. Comme je n'avais pas un style très prononcé, les vêtements larges et passe partout des rayons grandes tailles, que je prenais plus grand que nécessaire, me suffisaient. J'avais quelques pièces plus travaillées que j'avais customisées moi-même ou trouvées sur des sites étrangers. Mais je ne les portais jamais. Je passais ma vie en legging et en t-shirt.

Quelques part, mes kilos en trop s'imposaient davantage dans ma tête que dans mon quotidien. Personne, en dehors de ma mère, ne m'avait jamais vraiment fait de remontrances sur mon physique. Mais les paroles d'une mère comptent plus que les autres, pas vrai ?

C'est ce manque de confiance en moi qui avait mené ma dernière relation à sa perte. Il avait beau me dire qu'il me trouvait belle, je n'arrivais pas à le croire. Et je détestais avoir besoin de l'entendre malgré tout. Je comprenais qu'il ait abandonné... Se répéter encore et encore en vain... Ce devait être épuisant. Je ne l'aimais pas vraiment, alors je m'en étais remise. Le plus douloureux avait été de réaliser que je m'étais mise en couple avec lui parce que je lui plaisais. Parce que j'avais eu peur que ça n'arrive plus jamais. Comme si c'était un défi de m'aimer, de me désirer... Mais tout ça n'était que l'écho de ma propre vision de moi.

J'avais grandi maintenant. Je m'acceptais un peu plus, de jour en jour, j'essayais en tout cas. J'apprenais à m'aimer avec l'espoir d'être aimée à nouveau le moment venu. Il fallait que je m'en crois digne, aussi méritante que n'importe qui. Aussi méritante que la sublime et attractive femme parfaite de Léo. Je rêvais du jour où plus rien, ni mes complexes ni ma peur, ne me dissuaderaient de parler au « mec de l'ascenseur ». 

Dans son regardOù les histoires vivent. Découvrez maintenant