choc (colère).

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20h (24h avant la damnation).

L'orchestre symphonique résonne dans la grande salle de réception. L'impétuosité des cuivres et l'exaltation des bois viennent compléter le virtuose des cordes. Un maestro, debout au milieu des violoncelles et des altos, agite sa baguette dans un geste fluide et pourtant sec, et le mouvement presque chorégraphié de ses mains envoûte le regard des spectateurs. Un bref silence se fait, et les percussions viennent relancer la mélodie dans un coup aux sonorités fatalistes. Un tintement léger et répété se fait entendre du fond de la scène, et un hautbois vient lui susurrer mille et une promesse à l'oreille. L'air est grave, précipité, à bout de souffle ; des frissons traversent son corps alors que son regard lorgne sur les violons, majestueux, grandioses. La Marche Hongroise de Berlioz, accompagne un Faust ténor, et sa damnation future résonne dans le son rigide, rythmé, des soldats qui, au pas, traversent les plaines et la campagne hongroises.

Hyunjin aurait aimé être là. Installé à son balcon, dans une parure des plus habillée, le garçon observe avec tristesse et nostalgie le spectacle qui se déroule sous ses yeux admiratifs. Méphistophélès entre en scène, le regard plein de malice et les paroles pleines de vices, et le démon entraîne un Faust désabusé dans une course folle aux plaisirs interdits. Le poison est abandonné là, alors que, dans un saisissant fondu de paysages digne du grand cinéma, les deux protagonistes font leur entrée à la taverne. La nuit progresse mais ce n'est jamais assez, Faust n'est point satisfait. Il ferme les yeux quelques secondes, se laisse aller sur son siège. Il connaît déjà l'histoire. Moins d'une année auparavant, il était sur scène lui aussi, à jouer cet air à présent familier. Aujourd'hui, malheureusement, il est coincé de l'autre côté de la barrière, devenu incapable de faire chanter son violon. Devenu incapable de manipuler son propre instrument.

L'intrigue progresse, bientôt Marguerite apparaît, et son honneur finira bafoué quelques notes plus tard par les machinations du démon. La demoiselle tuera accidentellement sa mère en abusant de somnifère, tout ça pour une partie de jambes en l'air. Faust est fou amoureux de sa belle, mais la voilà incarcérée pour matricide, et elle refuse de le suivre lorsqu'il lui propose une nouvelle porte de sortie. Le Pandémonium résonne dans la salle, et le chœur des démons célèbre la victoire de Méphistophélès dans leur langue infernale. Épilogue, Faust est à présent damné, le voilà qui tombe en Enfer, et comme convenu lors de son pacte avec le Malin, son âme est condamnée à la souffrance éternelle ; Marguerite est, de son côté, accueillie par les anges, et un nouveau chœur l'acclame. Maestoso non troppo lento, Laus ! Laus ! Hosanna ! Hosanna ! Elle aime beaucoup le Seigneur, Margarita !

Standing ovation, le public se lève et applaudit la tragédie, mais Hyunjin, lui, demeure assis. Un faible sourire étire ses lèvres, il regarde les artistes saluer leurs spectateurs, fait signe à quelques-uns d'entre eux, informés de sa présence et qui regardent dans sa direction, tout aussi heureux d'être acclamé que désolés de voir que lui ne l'est point.

Il aurait dû être là.

Le rideau tombe, la foule quitte la salle pour regagner le grand hall, réaménagé à l'occasion. Ce gala de charité n'est qu'une vaste farce, un faux-prétexte pour venir afficher sa richesse et passer un bon moment à l'Opéra. Après un bref instant de rêverie, l'esprit plein d'images de gloire et de lumière, il se lève à son tour de son assise, pour descendre de son perchoir. La longue traîne en dentelle carmin de sa robe vient balayer les marches du Grand Théâtre derrière lui, et le fendu faiblement excentré du jupon laisse entrevoir, à chaque pas qu'il fait, ses longues jambes pâles sur lesquelles trônent quelques cicatrices à peines visibles désormais. Le drapé du vêtement épouse ses mollets avec élégance, tandis que ses frêles chevilles sont encerclées par la sangle ébène de ses escarpins, dont les talons culminent à une douzaine de centimètres. Le pourpre du tissu tranche avec sa peau opaline, et ses cheveux couleur corbeau accentuent le contraste saisissant avec sa peau de porcelaine. Une pièce en cuire de la même teinte souligne sa taille fine à la perfection. Un ruban accordé enserre sa nuque fragile, ornée de plusieurs colliers et autres parures dorées qui descendent en cascade sur son épiderme exposé. Les manches bouffantes et pratiquement transparentes se resserrent sur ses poignets, et le col en V s'ouvre jusqu'à atteindre le haut de sa ceinture, permettant à tous d'admirer ses clavicules marquées, son torse d'un blanc autrefois immaculé ; aujourd'hui pourtant, le voilà abîmé par le terrible accident qui est venu réduire sa vie à souffrance sans fond et ennui sans fin.

la chute (ruiné) [minjin]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant