marchandage (gourmandise).

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00h (20h avant la damnation).

- Ne sommes-nous pas trop habillés pour un lieu pareil ?

- Cela vous importe-t-il donc ?

Hyunjin jette un coup d'œil légèrement dubitatif à l'entrée pour le moins modeste de ce qui serait, à entendre Minho, le meilleur endroit de la capitale entière. Dans une ruelle sombre et déserte, derrière un bâtiment décrépi, s'enfoncent dans le sol une volée de marches usées et sales, presque glauques. En bas, une grande porte en métal à l'allure peu accueillante, menant sans doute aux sous-sols de la structure, qui menace presque de s'écrouler sur elle-même.

Le Miroh est sans doute l'un des bars les plus populaires de Séoul, et pourtant, l'un des plus secrets, à croire qu'il relève du mythe. Les entrées sont multiples, mais pratiquement toutes impossibles d'accès, ou tout du moins, introuvables sans l'aide d'un connaisseur. On y entre accompagné uniquement d'un visage connu des vigiles, sans quoi l'accès vous demeurera interdit. Illégal, le gouvernement a maintes et maintes fois tenté de faire fermer les lieux, sans jamais y parvenir. D'après les quelques rumeurs qu'il a pu entendre, on y accède après une succession de couloirs obscures et labyrinthiques, et chacun d'entre eux débouche sur une des nombreuses pièces constituant le club. C'est d'ailleurs là sa plus grande particularité, la quantité astronomique de salles, toutes différentes, qui s'enchaînent les unes à la suite des autres. Un véritable réseau sous-terrain, une jungle sans fin, où, en cherchant bien, il est toujours possible de trouver son bonheur. 

On dit que là-bas, la drogue se commande à la carte, qu'il serait possible de s'acheter les faveurs du moindre des employés si on ose y mettre le prix, et que la violence n'y est que rarement réprimandée. On dit que c'est ici que les masques tombent et que l'humanité dévoile son vrai visage, ici que tous les soirs se joue l'énième bal des dépravés, où se mélangent pécheurs d'un soir et prêcheurs fêtards, valsant sur un air de déchéance humaine ; des hommes désinhibés de leurs vices les plus profonds, les plus secrets, auxquels on a retiré toute pudeur et sainteté d'esprit, et qui pour un nouveau verre ont troqué ce qui leur restait de dignité.

Hyunjin ne saurait dire ce qui relève de la vérité parmi toutes ces légendes, et il n'est pas certain qu'une soirée passée ici l'aiderait d'avantage. 

- Je savais les entrées du Miroh discrètes, mais c'est tout de même étrange de faire face à... Ça. C'en est presque décevant.

- Ne vous en faîtes point, assure le brun avec un sourire confiant. Vous changerez vite d'avis une fois à l'intérieur.

L'ancien violoniste hoche simplement la tête, et entame prudemment la décente des escaliers, soutenu par la poigne ferme de Minho sur ses hanches. Ce dernier, une fois arrivé devant la grande porte, pose le plat de sa main contre le mur en pierre froide, à une place manifestement stratégique puisque quelques secondes plus tard, l'illusion laisse place à un écran d'où émane une lumière bleutée, et un petit voyant vert s'allume ensuite. Alors, le portail s'ouvre, et les deux hommes pénètrent dans un corridor noir, faiblement éclairé par la lumière d'un néon blanchâtre. Deux vigiles se tiennent de part et d'autre du sas, l'air implacable, et Minho se permet de retirer sa veste, manifestement grand habitué des lieux. Hyunjin l'imite avec plus d'hésitation, et dépose ses affaires dans un des bacs numérotés mis à disposition.

- Ils seront transférés au vestiaire dans la demi-heure, lui explique son acolyte avant de l'entraîner plus loin dans le couloir. 

À mesure qu'ils progressent vers leur destination finale, les échos sourds et lointains d'une basse trop prenante vient vibrer dans sa cage thoracique, et l'excitation monte d'un cran. La curiosité du noiraud atteint son paroxysme lorsque, après un énième virage, il aperçoit finalement le bout de l'allée, où la lueur rougeoyante qui se faufile de derrière le battant en bois semble découper un rectangle à taille humaine au milieu de l'obscurité. Cela ressemblerait presque à s'y méprendre à l'entrée des Enfers. Minho le tient toujours contre lui, comme s'il avait peur de le perdre, ou qu'il tente de s'échapper ; mais un contrat est un contrat, et Hyunjin ne compte pas s'enfuir, au contraire. Il a la ferme intention de se servir de ces prochaines heures pour profiter autant que possible, et pourquoi pas, pour un instant, un instant seulement, être heureux à nouveau.

la chute (ruiné) [minjin]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant