Un livre ouvert sur les genoux, Angèle tentait d'ignorer les babillages de sa mère, en même temps que les cahots de la calèche. Bon sang, cela faisait quatre fois qu'elle lisait le même paragraphe ! Agacée, elle referma son ouvrage dans un claquement sec. Cela fit hausser un sourcil à son père.
Occupant la banquette en face d'elle, le couple dans la force de l'âge s'accordait à merveille. Ils avaient les cheveux grisonnants, l'air heureux dans leurs vêtements confortables sans faste. Célestin de l'Esprit Saint avait toujours travaillé dur pour subvenir aux besoins de son épouse et de son encombrante progéniture. Un père, pour qui la plus grande fierté serait de voir sa fille épouser un homme de bonne condition. De très bonne condition, même.
— Ne te rends-tu donc pas compte de la chance qui est la tienne ? s'exclama Marie. Le Duc est un homme d'une richesse indécente !
— Il doit également être plus vieux que ses terres, rétorqua Angèle.
— Cela ne compte pas. Oh ! Et il vit dans un lieu des plus exquis ! Les possessions des Millicent sont réputées pour être pleines de vie et de joie ! Tu y seras bien ma fille.
Elle reporta son attention sur l'extérieur de la calèche. Dehors, les arbres défilaient à toute allure, assombris par la nuit. Le clair de lune éclairait le chemin du cocher, entre les frondaisons. Il avait accéléré la cadence dès la tombée du jour, comme si le diable était à ses trousses. Ça, ni Marie ni Célestin ne s'en étaient aperçus.
— Je me pose des questions, tout de même, fit son père au terme d'un long silence.
— Lesquelles ?
Elle se tourna de nouveau vers ses parents.
— Je ne doute en aucun cas de tes charmes, Angèle. Néanmoins... Le Duc ne t'a jamais rencontrée. Or, nous avons reçu une demande en mariage.
Tous trois se concertèrent du regard. Elle aussi y avait pensé. Il n'y avait rien de normal dans cette situation. Surtout au vu de sa réputation.
— S'il avait entendu parler de tes mésaventures, il n'aurait jamais voulu de cette alliance, murmura Marie.
— D'un autre côté, qui aurait pu en....
La parole de son père fut coupée en même temps que l'élan de la calèche. Peu importe ce qui stoppa le véhicule, cela fut si abrupt qu'il se percha sur ses roues avant, dans un craquement de bois assourdissant. Le monde bascula pour Angèle, ses parents lui tombèrent dessus avec des cris angoissés. Puis ils retombèrent sur le toit dans un nuage de poussière et d'échardes acérées.
Le souffle coupé par le choc, sonnée, Angèle entendit un sifflement aigu. Pourtant, elle trouva la force de repousser le corps de ses parents inconscients. Bon sang ! Elle ne s'y était pas attendue, à celle-là. Elle devait réagir vite, sinon ils allaient tous y passer.
À peine se fut-elle dégagée que la porte de la calèche fut arrachée. Un faciès aux yeux rouges, à la bouche pourvue de crocs démesurés, apparut. En croisant son regard, elle sut exactement ce qu'il pensait : cette vieille fille, avec sa robe marron et son chapeau à rose blanche, je n'en ferai qu'une bouchée. La bonne blague.
Le talon de sa bottine percuta le front de l'impudent. À son grognement de douleur, elle sut qu'elle avait fait mouche. Ne perdant pas de temps, elle se dandina pour atteindre la poche de son veston. Vide. Oh oh... Elle avait laissé ses affaires dans sa valise.
Des doigts griffus s'enroulèrent autour de sa cheville. Il revenait déjà la charge ! Elle fut violemment tirée hors de la calèche, ses jupons remontant le long de ses hanches. Le manant eut l'audace d'avoir un sifflement de vainqueur, en dépit de son absence de cris apeurés.
Sous l'éclat de la lune, elle eut un meilleur aperçu de son agresseur : un homme à la peau pâle, aux yeux rubis. Avec un air d'assassin. Ses crocs, d'une blancheur éclatante, semblaient prêts à se planter dans sa chair. Là, la chose était mal engagée. Elle était sur le point de lui décocher un coup de poing en plein visage, lorsqu'une forme percuta la créature. Ses griffes éraflèrent sa cheville au moment de la lâcher, mais elle n'en eut cure. D'un bond, elle attrapa la première arme en vue : une écharde de la taille d'un petit poignard.
Angèle pivota vers les cris de rage et les grognements inhumains, les paupières plissées. À côté d'elle, l'une des roues de la calèche accidentée continuait de tourner, un gémissement lui apprit que ses parents étaient toujours de ce monde. Elle n'était pas certaine de pouvoir en dire autant du cocher, quelque part sous les dizaines de valises de sa mère.
La créature à la peau pâle rejeta son agresseur, qui s'avéra être... Elle plissa un peu plus les paupières. Un chien énorme, à l'air plus agressif qu'un caniche face à une côte de bœuf. Trois autres surgirent des fourrés, prenant à revers cet humanoïde en costume de soirée. Il prit la fuite d'un bond prodigieux, passant par-dessus la calèche. Les animaux partirent à sa poursuite, avec des grondements faisant plus penser à des loups.
Seule, Angèle fronça les sourcils. C'était quoi, ce cirque ?
— Tout va bien ?
Elle sursauta en voyant un homme sortir des buissons. Torse nu, il fermait les boutons de son pantalon tout en s'approchant d'elle, apparemment tendu. Brun au clair de lune, il surveillait le coin de forêt où tout le monde avait disparu. Il est pieds nus, aussi, constata-t-elle. Néanmoins, il n'avait pas l'air belliqueux.
— Vous pouvez me dire pourquoi des loups-garous me viennent en aide ? lança-t-elle en abaissant son arme improvisée.
Il se figea un instant, ce qui lui permit de distinguer le dessin de sa musculature. Puis il lui offrit un petit sourire, amusé.
— De quoi parlez-vous, ma dame ?
— Du fait que vous me prenez pour une gourde, rétorqua-t-elle en se retournant vers la calèche. Monsieur le loup-garou, venez m'aider. Votre force me sera bien utile pour soulever ce véhicule.
— Vous me tournez le dos sans sourciller ?
Il se porta à sa hauteur, dans un silence de prédateur. Angèle adressa un regard désintéressé à son sauveur providentiel.
— Les loups-garous n'ont jamais été intéressés par ma personne. Alors, vous m'aidez, oui ou non ? Mes parents sont bloqués là-dedans, et je voudrais m'assurer de l'état du cocher.
Il ouvrit la bouche, la referma, apparemment dérouté. Elle faisait souvent cet effet-là.
— Dites-moi... comment vous appelez-vous ?
Elle leva de nouveau les yeux sur lui. Il était bien plus grand qu'elle, ce qui n'était pas vraiment un exploit. En revanche, il avait la carrure d'une armoire à glace. Elle se demanda à quoi il ressemblait, une fois transformé.
— Angèle de l'Esprit Saint.
Ses yeux pétillèrent.
— Angèle... répéta-t-il. Vous êtes la fiancée d'Oscar de Millicent, n'est-ce pas ?
Le regard dégoûté qu'elle lui adressa lui fit hausser un sourcil.
— Ça, ça reste à voir.
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1. Désagréable Attirance
FantasyPromise par ses parents à un richissime duc, Angèle doit épouser un homme qu'elle ne connaît pas... *** Angèle de l'Esprit Saint doit épouser le séduisant Duc de Millicent. Seul problème : elle ne l'entend pas du tout de cette oreille. Rebelle jusqu...
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