Le talent de Zéro, c’est de remarquer presque immédiatement la marque de la victime redondante, et dans ce domaine, il est excellent. Se faisant passer pour un auteur-compositeur-interprète en devenir, mon Zéro n’en était pas moins qu’un simple employé dans une plateforme téléphonique comme télévendeur d’une entreprise vendant des plats surgelés. C’est un homme ayant des origines malgaches, brun, légèrement dégarni, mais mince et musclé. Il était gentil et pourvu de la meilleure volonté du monde lorsqu’il s’agissait de musique et de rêveries en tout genre, et de vous gaver de paroles tendres et réconfortantes. Il avait cette assurance naturelle et une grande confiance en lui qui avaient l’air de pouvoir lui faire déplacer des montagnes, tout en souffrant du manque de reconnaissance de son talent par les maisons de production. En clair, un homme que je pouvais aider, armée de mon savoir, de ma volonté et de mon amour, et un homme qui, à priori, avait tout l’air d’être une épaule solide sur laquelle compter, et qui semblait s’animer d’une folle passion à mon égard ! Je suis donc tombée amoureuse, petit à petit, jusqu’à me retrouver, moi, mon chat, mon chien et mon bagage, un soir, devant sa porte.
Le début de notre relation était idyllique, et très vite, je suis tombée enceinte de mon premier enfant. Je me suis investie dans cette relation comme une femme des années 30, restant à la maison pour m’occuper de ma princesse, et faisant office de secrétaire pour mon chéri, montant une association, récoltant des fonds pour des enregistrements studio professionnels. Avec le recul, je me rends compte que cette enfant était pour lui comme une « monnaie d’échange » : j’avais un bébé, ce dont j’ai toujours rêvé, et lui, avait une pro de la musique qui se dévouait corps et âme pour sa famille et la maisonnée.
Je ne savais pas alors, que Zéro, sous couvert de concerts ou de déplacements, cherchait par tous les moyens à avoir d’autres maîtresses. Je sais qu’il est parvenu à ce but plusieurs fois, me sachant pouponner bien tranquillement à la maison.
Bien vite, nous affrontions des problèmes financiers, mais bien entendu, il ne me montrait seulement ce dont il avait envie, et j’étais loin de me douter du trou béant que nous traversions. Tel une funambule sur un fil, les yeux bandés de ma confiance en lui, j’étais sur le point de tomber dans un abyme infernal duquel on ne peut pas sortir indemne. On a parfois cette étrange intuition que quelque chose ne va pas, et cette intuition est doucement venue me titiller le cerveau. C’est à cette période que j’ai commencé à prendre le taureau par les cornes, et me suis mise à travailler, ci et là, dans des restaurants, comme serveuse. A cette époque, j’ai eu comme un éclat de lucidité. Une perte de confiance en lui soudaine. Une petite voix dans ma tête me disait de faire quelque chose pour mettre à l’abri ma fille et moi en cas de besoin. J’avais repris des études afin de ne pas faire des petits boulots le reste de ma vie. J’avais conscience que mon physique ne pourrait pas suivre un rythme de travail lorsque je serais plus âgée, et j’ai donc décidé de passer un diplôme dans ce domaine, afin de gérer un établissement. Vous devez penser, à cette étape, que je suis quelqu’un qui a la tête sur les épaules, et que je ne suis pas dénuée d’intelligence ou de courage, et vous avez raison, sur la forme, car sur le fond ce n’était pas le cas. Zéro avait toujours travaillé en plus de ses rêves de gloire, dans des postes qui ne requéraient pas d’investissement personnel ou intellectuel, sans doute parce qu’il était trop occupé à ménager la chèvre et le chou dans sa vie privée – en effet, tromper sa femme sans que celle-ci s’en aperçoive réclame, je suppose, une énergie considérable. Il savait que ma soudaine prise de conscience sur l’avenir de ma fille et moi était dangereuse pour lui, aussi, il devait trouver un moyen urgent de me garder, ayant des plans en tête pour moi très précis. C’est dans ces circonstances que je suis tombée enceinte de mon second enfant, trois ans après la première.
Sans doute s’est-il dit que cet enfant allait encore calmer ma curiosité quant à l’état de nos finances, et surtout, le contenu de sa boîte mail, boîte de Pandore de sa double existence. C’est là qu’il a fait la plus grossière des erreurs. Zéro n’a absolument aucune idée de ce qu’une mère est capable pour son enfant. Sa propre mère, avait rencontré le papa de Zéro alors que celui-ci était marin. Elle avait bondit sur l’opportunité de sortir d’une famille pauvre, baignée dans le vaudou et des histoires sombres, pour devenir une femme respectable de marin, mais il n’en fut rien … le papa de Zéro, à priori, avait ce point commun avec son fils, l’idée de « fidélité ». La venue de Zéro n’avait rien changé, et ne lui avait apporté que des problèmes, car n’ayant pas l’intention de se retrousser les manches pour travailler, elle fut donc contrainte à traîner ce fils qui lui rappelait son échec. Par conséquent, Zéro ne savait pas ce qu’était une mère prête à tout. Vous pourriez vous dire que je n’en sais pas davantage, étant donné ma génitrice, mais j’ai baigné dans l’amour, celui de ma grand-mère. Elle a été très importante dans ma vie de femme tout autant que ce qu’elle l’a été pour ma vie de mère. Je n’ai jamais vu mamie se plaindre, et pourtant … éduquant trois enfants en pleine période de guerre, dont l’aînée était handicapée mentale, et avec elle, entrant dans la résistance par amour pour sa patrie et surtout, par amour pour son mari. Rien d’étonnant au fait que je l’ai prise en référence, estimant – à juste titre – que cette femme est un modèle. En un sens, c’est un peu à cause d’elle que j’ai nourri un amour indéfectible à Zéro, mais aussi grâce à elle que j’ai trouvé les armes pour me battre dans ma chute imminente.
La grossesse de mon second, un petit garçon, a été très compliquée, du fait de ma méfiance de plus en plus accrue envers Zéro, qui avait de plus en plus une fâcheuse tendance à prendre la poudre d’escampette à la moindre occasion, et aux tensions que cela engendrait. Je me sentais de plus en plus cloîtrée à la maison avec ma princesse et mon petit ange … de plus en plus seule, et pour cause : c’était bel et bien le cas ! Seule la compagne de Johnny, ayant vécu sensiblement la même histoire que la mienne comptait dans mon entourage. Anna, est restée à ce jour, la seule vraie amie à m’écouter et me soutenir. C’était la seule que Zéro tolérait à la maison, avec Johnny. Pourquoi ? Elle m’aidait à élever mes enfants, et nous nous soutenions chacune dans notre solitude, ce qui avait pour effet de nous enfermer encore plus. Anna et Johnny n’avaient pas d’enfant. Nous avions, elle et moi les mêmes ambitions de famille unie et soudée, mais voilà, durant tout le temps qui passait, Johnny ne pensait qu’à boire, chanter avec Zéro, prévoyant de faire de grosses scènes à la manière Jackson’s five, et s’enivrant de vapeurs d’alcool, de drogue et de rêveries. Nous grandissions, pas eux. Et Zéro, n’ayant pas prévu que je puisse avoir l’idée de faire passer les enfants avant lui s’était piégé lui-même. C’était trop je ne me sentais pas à la hauteur dans mon rôle de mère, et de moins en moins dans celui d’épouse.
Le miracle internet, celui où l’on vit à travers un écran, celui où on est raccordé au monde entier ! Le trou de serrure par lequel on voit la vie telle qu’elle est, mon trou de serrure par lequel j’ai vu la vérité en face : c’est assise devant mon écran d’ordinateur que j’ai pu constater l’étendue des dégâts dans lequel nous avaient mis Zéro. Il cherchait via internet, à faire un rachat de crédit d’un montant global de vingt-cinq mille euros ! Comment avait-on pu en arriver là ?! Pas de voiture neuve, mobilier bas prix, trois restaurants en dix ans, pas de vacances en dehors des visites annuelles à la famille, pas de vêtements de marque ni de bijoux, et j’ai les huissiers devant mon nez bientôt ! Je réfléchis, interroge mon compte en banque, cent euros pour quinze jours … je n’ai pas de quoi remplir le frigo, et mes enfants sont là, dehors, insouciants, inconscients de la précarité de notre situation. Je ferme cette page web, mais mon trou n’en a pas fini avec moi non … une autre page apparait, c’est une conversation avec Florence (qui est-elle ?). Il lui dit qu’elle est belle, désirable, qu’il va lui faire des tas de choses, qu’il lui promet monts et merveilles, qu’il se sent revivre avec elle, qu’il va la retrouver.
Mes jambes ne me portent plus, mon univers entier s’écroule, mon souffle se fait court et ma gorge se serre. Comment cet homme à qui j’ai tout donné peut-il me mentir et me trahir ? Ce n’est forcément pas vrai, je vais me réveiller.
C’est à ce passage de mon histoire que mon éducation a joué un rôle très important : une autre femme aurait sans doute pris ses jambes à son cou, mais pas moi. Ma grand-mère n’a jamais laissé tomber son époux, j’en ferais autant. Nous avons eu une longue conversation, et tout ira bien, il me le promet. Officiellement, nous serons séparés, afin de toucher des allocations suffisantes pour nourrir les enfants, mais nous resterons soudés, parce que je lui ai promis. C’est le père de mes enfants, mon âme-sœur, mon amour. C’est par amour pour lui, et par compassion que j’ai donc monté son dossier de surendettement, et que je l’ai accompagné dans ses douloureuses démarches. Je lui prouve, par mon dévouement, que je suis prête à tout pour lui, que je l’aime envers et contre tout, quitte à oublier mon égo. Ce qui est important dans le déroulement de ces faits, et ce qui fait de nous des victimes, c’est ce besoin impétueux de jouer les « mères courage » ou les « femmes dévouées ». On a besoin d’être utiles à quelqu’un, non, à tout le monde à vrai dire. La question est pourquoi ? Au jour d’aujourd’hui je ne sais toujours pas y répondre clairement. Je cherche, dans mon passé, des explications plausibles avec des raisonnements de type « est-ce que je cherche inconsciemment l’approbation et l’attention de mon père ou de ma mère ? » étant privée d’amour parental, je n’en étais pas moins une enfant choyée par mes grands-parents … non, peut-être est-ce que j’ai une image de moi salie du fait de ma première agression sexuelle ? Il existe des tas de raisons pour lesquelles on a ce genre de réaction, on les a et c’est comme ça. Je n’ai pas envie de me lancer dans une analyse Freudienne parce que je n’en vois pas l’intérêt, étant donné que quelle que soit la réponse, les conséquences restent les mêmes : on est aveuglé et on fait des choses sans queue ni tête, point. Le fait est qu’à ce stade, mesdames et messieurs les jurés, Zéro avait compris qu’il pouvait faire de moi ce qu’il voulait, avec des pleurnicheries et des petites touches de culpabilité bien placées qui fonctionnent très bien, encore aujourd’hui chez moi. Il avait cette emprise et je lui ai renvoyé un message avec ce comportement « fais de moi ce que tu veux mais garde moi, sinon je suis perdue ». Trois années durant, j’ai fait celle qui ne voyait et n’entendait pas ce que quelques-uns de mes proches essayaient de me faire comprendre : qu’il m’enfonçait, qu’il me mentait, que c’était un tricheur, mais j’ai préféré ignorer et même couper les ponts avec ceux-là. Si nous étions dans un film, nous critiquerions bien volontiers une telle bêtise (moi la première, j’en conviens, j’ai souvent pris les victimes pour des idiotes sans cervelle et sans courage). Cette phase d’aveuglement a duré presque quatre ans ! Puis je l’ai senti de plus en plus distant, et pour cause, je ne prenais plus guère soin de moi. Mon corps était devenu gros, difforme, au même titre que mon reflet mental dans le miroir de ses yeux. Beaucoup de personnes bien intentionnées répètent à qui veut l’entendre qu’elles se fichent bien du regard des autres, que l’essentiel réside dans le fait d’être fidèle à soi-même, d’avoir sa propre façon de penser … mais pourquoi donc ces gens-là sont les premiers à non seulement s’acheter les dernières fringues à la mode, mais en plus à vilipender les êtres qu’on ne peut pas établir dans une case, elle-même bien placée dans leur hiérarchie sociale ! Ah ! Je ris de les voir faire, et je leur prie de bien vouloir faire très attention au déroulement des faits qui vont suivre, et de tâcher de bien vouloir se mettre dans ma peau par la suite.

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V.I.O.L.
No Ficciónc'est l'histoire d'une enfance défigurée par un viol, qui a entrainé des dégâts quasi irrémédiables sur l'auteur, ayant été la victime malheureuse d'un pervers narcissique, qui apprend à remonter la pente, et à rendre coup pour coup.