Le Royaume de l'Humain

13 0 0
                                        

Le Royaume de l’humain.
C’est ainsi. Nous nous mettons une pression quasi perpétuelle pour un paraître. Celui qui paraît sûr de lui sera entouré de gens qui auront l’air un peu moins assuré, et cætera. Comme une pyramide en haut de laquelle règne incontestablement le chef d’une tribu.
Moi, je ne suis pas un de ces chefs de clan. J’ai bien entendu l’apparence de quelqu’un d’affirmé, et sûre, mais au fond, j’ai reçu une éducation de fille. Naître fille, c’est un peu comme venir au monde avec un handicap. La fille, c’est le « sexe faible », la cinquième roue du carrosse de la société, la « mouche du coche ».
Bien entendu, il existe des femmes chefs d’entreprise, ou représentantes au gouvernement, des bodybuildeuses ou des maîtres d’œuvres en bâtiment, parfois même pilote de chasse ! Bref, de quoi montrer au reste du monde qu’en tant que pays évolué, nous reconnaissons les femmes comme des égales. Tout ceci, évidemment, ce sont des vitrines, pour nous faire croire que nous sommes les égales de l’homme – c’est en fait, une simple illusion, digne d’Houdini en personne ! Un formidable tour de passe-passe d’hommes extrêmement qualifiés dans l’art du marketing – Bref, une publicité mensongère.
Ces apparences … voyez comme notre monde est merveilleux ! Mais voilà, l’autre côté du décor n’est pas réellement comme le prétend cette odieuse publicité mensongère.
Je suis née fille, pour devenir femme. Et être femme, encore aujourd’hui, signifie être en lutte permanente pour préserver son intimité, son autorité, sans jamais devoir montrer aucune vulnérabilité. Sinon, personne ne viendra au secours. Tout le monde préfèrera river son regard sur son journal ou son écran, essayant de se convaincre que tout va bien, et que toute cette laideur n’existe pas vraiment.
Je suis née victime. Victime d’une mère alcoolique et d’un père désengagé de sa famille, pour lequel j’étais plus un investissement sur l’avenir qu’un être humain. Je ne pouvais être élevée que comme telle. Evidemment, j’ai eu une petite enfance dorée. Je ne manquais rien d’autre que de parents dignes de ce nom, et d’une santé meilleure. Matériellement parlant, j’étais une gosse de riche, même si ce n’était pas le cas. J’aurais peut-être attiré davantage l’attention de mon père si j’avais été un garçon, mais au lieu de cela, j’étais sa pire déception, reléguée au rang de pertes et profits dans sa vie bien organisée. De ce fait, il avait une conception de l’éducation assez spéciale que je vais tenter de vous expliquer. Il avait, ce qu’il convient d’appeler une belle situation, et comme tous les hommes qui ont ce type de « pouvoir », il ne manquait aucune occasion de nous rappeler qu’il était détenteur du compte en banque, et par conséquent, de nos vies, à ma mère et à moi. Imaginez le mélange … une pro de la manipulation mentale dépressive, avec un homme souffrant d’un complexe d’infériorité, faisant preuve, sur ceux dont il pensait qu’ils étaient encore plus inférieurs, autrement dit, les femmes … le couple de l’année ! Toutefois, dans les années soixante-dix, c’était plutôt courant.
Je n’ai jamais réellement compris entre ces genres de mariages et la prostitution. Les femmes comme ma mère, comme il en existe encore de nos jours, qui sont plus stimulées par le nombre de chiffres sur le CCP que par le romantique mais néanmoins pauvre. Mon idéal résidait dans les opéras dramatiques tels que La Bohême, Mme Butterfly … bref, j’étais loin du compte. En vrai, ces genres de mariages, ce e sont ni plus ni moins que de la prostitution légale.
Donc, je suis née victime, parce que je suis née fille, qui plus est malade. Ce n’est pas un excès d’imagination, c’est juste un état de fait. Avec l’âge, on sait que c’est mal, pourtant, à cet instant, il me rongeait de l’intérieur, déjà, une pression absolument intolérable pesait sur moi, étant à la fois le fardeau, l’objet de dispute, et l’otage entre ces deux-là.
L’inconvénient, dans le fait d’ignorer le mal, c’est que ce n’est pas parce qu’on ne s’en préoccupe pas, qu’il n’existe pas. Et le mal était pourtant là, tout proche, dans ma famille que je croyais être un cocon douillet et protecteur. C’est avec ce genre de certitudes que l’on commet des erreurs fatales, on ne voit pas le piège, et on y fonce droit dedans. Le mien s’appelait Pierrot.
Pierrot était un membre éloigné de ma famille paternelle, et lorsque je déambulais en vélo dans les rue de mon village, j’aimais bien être la petite-fille polie - et ambassadrice de l’ambition familiale – et dire bonjour aux habitants de mon papi, parce qu’après tout, j’étais intouchable.
C’est lors d’une de ces balades en vélo que Pierrot m’a proposé gentiment de venir caresser le chien Brutus et gouter un de ces gâteaux qu’aucun enfant ne saurait refuser d’un ami. C’était ma première rencontre avec le diable personnifié. Je ne me rappelle que peu de choses, mais l’une d’elle, la plus marquante, est incontestablement la plus ignoble : sa main dans ma culotte. Je me rappelle de ce sentiment de gêne intense, et d’une envie de vomir abominable. Je me souviens aussi que c’est à partir de ce jour que j’ai compris ce qu’était le mal absolu. Celui qui vous salit, qui fait de vous moins que rien, un simple ustensile, un génie mis dans une lampe pour ne plus jamais en sortir, parce que parler c’est mal, je suis fautive de ça, c’est moi qui l’ai cherché. C’est dans ces circonstances que j’ai créé un alter ego : une princesse aux longs cheveux roux qui avait connu le mal et qui avait survécu. Ce n’était qu’une histoire dans un recoin de ma petite tête bouclée, et je l’ai oublié, sans savoir que le cerveau fait ce qu’il veut, et que ces souvenirs-là, on ne peut pas les ranger dans un coin et les laisser là, à prendre la poussière. Le mal met le mal en nous, et même si l’on croit que ce n’est qu’une histoire passée, elle finit toujours par transpirer par chaque pore de notre peau. Elle se voit, sans qu’on le sache. Pourtant, je l’ai oubliée, jusqu’à mes 17ans.
Du haut de mes 6 ans, je savais que je n’étais plus dès lors en sécurité nulle part, et toute ma vie durant, j’ai recherché celui qui, sur son fier destrier, viendrait me sauver comme le prince qui sauve Blanche-neige d’une mort certaine. Là, je vais me permettre une digression : inculquer aux jeunes demoiselles cette folie de penser qu’il existe partout un prince pour elles, et que la confiance peut être accordée aussi facilement à un inconnu est une aberration sans nom ! Que veulent-ils nous raconter exactement, ces messieurs de chez Disney ? Que quel que soit le danger, il faut foncer car il y a toujours un héros pour nous sauver ? Qui nous parle du devenir de ces jeunes et jolies princesses aux mains d’un soi-disant prince venu pour lui mettre la main dessus ? Je pense qu’on confie plus facilement nos vies à des pseudo-héros lorsque l’on est en position de faiblesse initialement, et que c’est précisément à cette période, qu’il ne faut pas mettre sa vie, son cœur, et son corps au premier mâle venu.
Me voilà donc, dès ma 6ème année, à la recherche de mon prince charmant, la peur au ventre de devoir être à la hauteur de ce qu’on attendait de moi. J’avais en tête une idée que je croyais très précise de qui je voulais épouser. Je l’ai trouvé, dans cette étrange boîte carrée où tous les rêves sont réalisables, la télévision ! Nous sommes, nous, enfants des années 80, les membres de cette foutue secte du virtuel, confinés dans nos cocons audiovisuels ! Je crois qu’ils en ont même fait un reportage, de mémoire, nommé « Matrix » à la fin des années 90. Jusque dans les années 2000, je n’ai pas trouvé cet être qui serait au-dessus du lot.

V.I.O.L.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant