— Bien joué ma fille.
— Merci Carlos.
La fierté visible dans le regard de son entraîneur lui réchauffa le cœur. Ornella n'avait jamais connu l'approbation paternelle. La façon dont Carlos se comportait avec elle après chaque combat était ce qui s'en rapprochait le plus.
Pour être plus exact, elle ne se souvenait pas d'avoir un jour reçu les félicitations de la part de son père, pour la simple et bonne raison que ses parents lui avaient été arrachés physiquement et mentalement lorsqu'elle n'était encore qu'une enfant.
À l'âge de neuf ans, sa famille avait eu un grave accident de voiture et elle était la seule survivante. Du moins, c'était ce que lui avait rapporté la police. Pour sa part, Ornella n'avait aucun souvenir de cette tragédie. Mais le pire était qu'elle n'en avait aucun de ses parents.
Les médecins lui avaient expliqué que le choc violent de l'accident avait provoqué une amnésie. Et il n'existait aucune solution miracle pour y remédier. Peut-être qu'avec le temps, ce pan de sa vie lui serait rendu, avaient-ils dit. Cependant, quinze ans après les faits, elle doutait maintenant de retrouver un jour la mémoire. Elle avait donc fait un trait sur ce passé volé.
Après avoir recueilli les félicitations de quelques-uns des boxeurs, Ornella prit la direction du vestiaire pour se changer. En chemin, elle croisa le groupe accompagnant son adversaire. Elle ne fut pas surprise de les entendre lâcher des insanités sur elle. En retour, elle ne put retenir un petit sourire en coin. D'autant qu'ils se contentaient de les lancer à voix basses, comme s'ils avaient peur de subir le même sort que leur pote.
Une fois seule dans les vestiaires – un des rares avantages à fréquenter une salle de boxe quand vous étiez une femme – , elle fila sans tarder sous la douche. L'eau bien chaude lui fit un bien fou. Elle l'aida à détendre ses muscles toujours contractés après l'effort qu'elle venait de fournir.
Contrairement à Toby, elle ne prenait jamais un combat à la légère. Elle refusait de prendre un coup qui lui donnerait ensuite l'allure d'une femme battue. Elle ne pensait pas être spécialement vaniteuse, mais elle aimait son visage tel qu'il était, nul besoin de venir l'agrémenter de quelques bleus.
Or, si elle ne faisait pas appel à toute sa concentration, elle ne se faisait aucune illusion sur ses chances. Son ego ne lui pardonnerait pas une défaite à cause d'une inattention de sa part. Si elle devait se prendre une dérouillée (chose qui ne s'était pas encore produite une seule fois), elle voulait n'avoir aucun reproche à se faire.
Ornella était lucide et avait pleinement conscience du handicap que représentait son gabarit. Si ses adversaires avaient l'occasion de lui mettre la main dessus, ils auraient immédiatement l'avantage sur elle. Chaque instant nécessitait donc une attention accrue de sa part, afin de deviner les mouvements de ses adversaires dans le but de pouvoir les esquiver. Heureusement pour elle, Ornella excellait dans ce domaine. Certains s'amusaient même à dire qu'elle avait des dons de prémonition. Cette idée la faisait gentiment sourire.
Une fois séchée et habillée, elle ralluma son téléphone pour vérifier ses messages. En l'occurrence, elle en avait un de Sue.
J'ai besoin de prendre un verre, la crevette. Joe a été horrible.
Depuis quelques mois, Ornella travaillait dans un cabinet d'avocats. Joe, l'un des deux avocats ayant la chance d'avoir leur nom gravé sur la plaque du cabinet, était un horrible personnage. Il mettait toujours un point d'honneur à utiliser des sobriquets dégradants pour appeler ses employées femmes, tels que « Machine », « Hé, la blonde », « Truc ». Ornella en venait même à douter qu'il connaisse leur prénom.
Si elle n'avait pas eu cruellement besoin d'argent pour vivre, elle l'aurait envoyé balader depuis longtemps. Malheureusement, ce n'était pas un luxe qu'elle pouvait s'offrir, tout comme Sue. Alors, toutes les deux se retrouvaient de temps en temps autour d'un verre pour vider leur sac.
Même si l'idée de sortir ce soir ne la tentait pas vraiment, Ornella ne voulait pas laisser tomber la seule fille qu'elle pouvait considérer comme une amie.
À cause de sa jeunesse merdique d'orpheline trimbalée d'une famille d'accueil à une autre, Ornella avait noué très peu de relations que ce soit avec des filles ou des garçons. Cependant, elle s'entendait bien avec Sue et celle-ci semblait réellement l'apprécier.
Ayant fini de se préparer, elle lui répondit :
OK. Je viens de finir. On peut se retrouver Chez Michel.
Chez Michel était un bar plutôt calme dans lequel elles avaient l'habitude de se retrouver après le travail pour décompresser. Grâce à la disposition des lieux, même plein, il ne donnait pas la sensation d'étouffement et n'était pas noyé sous le brouhaha.
Super. Je préviens Michel pour qu'il nous garde notre table. Je t'attends directement là-bas.
Michel, le patron, les appréciait beaucoup. Chaque fois qu'il avait connaissance de leur venue, il bloquait leur table attitrée. Elle était placée stratégiquement pour limiter les tentatives peu subtiles de drague des hommes ayant quelques coups de trop dans le nez.
OK
Ornella attrapa ensuite sa veste et quitta le vestiaire pour traverser la salle de boxe. En chemin, elle ne vit aucune trace de Toby et ses acolytes. Ils avaient dû filer sans demander leur reste.
Elle se dirigea ensuite vers sa voiture pour rejoindre Sue.

VOUS LISEZ
Ornella - Nefasta T1
VampirOrnella est une jeune femme comme les autres. Enfin, elle le croyait, jusqu'à ce qu'un événement aux conséquences irrémédiables vienne bouleverser à jamais sa vie. Lorsqu'une inconnue s'invite à l'improviste chez elle en prétendant avoir la clé pour...