Laisse-moi t'aimer, toute ma vie

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11:32. Un homme entre dans une librairie. Pas n'importe quelle librairie. Sa libraire. Sa démarche chaloupée l'entraîne à travers les rayons, esquivant d'un coup de bassin gracile les piles de reliques poussiéreuses poussant comme de la mauvaise herbe sur les épais tapis richement tressés.

11:32.48sec. Ce même homme, au détour d'un rayon, tombe sur le propriétaire, un homme blond comme les blés. Ce dernier est concentré sur un énième ouvrage ouvert devant ses yeux. Il ne semble pas remarquer la présence de l'autre individu. À moins qu'il ne l'ignore délibérément, cela reste à décider. L'étranger à l'intrigante (bien qu'hypnotique) démarche s'arrête et son visage, qui jusqu'alors exprimait l'indifférence la plus pure, voir une irritation certaine, se fend d'une expression bien plus douce, apaisée et apaisante. Il se rapproche un peu du blond complètement absorbé dans sa lecture, et, d'un geste vague au goût d'interdit, il se permet de passer les doigts dans ses cheveux bouclés du libraire avec un soupir pensif. Cela fait des siècles, lui semble-t-il. Ce simple contact le rassure, lui certifie quelque part que tout ceci est réel, tangible. Le-dit blond sursaute : il n'avait vraiment pas remarqué l'arrivée, pourtant loin d'être discrète de l'autre, et était en ce moment même partagé entre la surprise de ce soudain contact, une légère gêne due à la présence de cet homme dans son dos et un désir mal refoulé qui découlait de l'action de ces doigts démoniaques dans ses cheveux. Il ne l'aurait pourtant interrompu pour rien au monde -et il mettait sa librairie en flamme avec.

Vous vous demandez peut-être combien de temps c'est écoulé durant ce looooong paragraphe. En réalité seulement 4 secondes. Mais on ne peut s'en vouloir d'avoir imaginé cela plus conséquent, car, après tout, entre eux, chaque instant avait des relents d'éternité.

Surtout si l'on considère le tumulte qui secoue la pensée d'un certain ange durant ce certain instant...

... Depuis des siècles maintenant, Aziraphel, notre blond en herbe, libraire de son métier et ange à temps partiel, réprime, avec violence, les désirs qui tentent de s'exprimer en lui dès que Crowley, notre cher ami caresseur de cuir chevelu passablement déchu, entre en contact avec lui. Tant que la distance est maintenue, le libraire n'a aucun mal à être maître de lui-même. Pour le cran supérieur... un contact à travers les vêtements admettons, il commence à bouillir, mais, passons, arrive à se contenir.

Le véritable problème, lui, apparaît encore un cran au dessus : lorsque le démon le touche directement. Que leurs épidermes entrent en contact sans intermédiaires.

Au début, lors de leur premières interactions, la douleur de son touché annihilait le reste et tout se passait pour le mieux. Tout se passait pour le mieux. La belle époque. À cette tendre époque, ils se croisaient plutôt rarement. Pas assez pour avoir réellement l'habitude de ces contacts.

Et puis, un jour, ça a déraillé. Ces temps paisibles étaient révolus.

Le plus drôle dans tout ça ? Crowley ne s'en est jamais rendu compte.

Un beau jour, ils s'étaient effleurés. C'était en décembre 1459. Cela arrive. Cela n'avait même pas été fait exprès. Mais ça avait déjà été trop.

Il ne s'y attendait vraiment pas.

Une brûlure lancinante avait dévorée la peau du blond, l'avait mordu à la racine, si intensément, si profondément, qu'il s'était senti partir vers des contrées sombres et lointaines, interdites, enfouies au plus profond de son âme. Une porte incontestablement humaine, entretenue par les forces démoniaques mais savamment dissimulée aux membres de son espèce. Le désir.

Amour, chez les anges, rime avec platonique et courtoisie. Rien qui ne puisse ébranler autre chose que les plus pures émotions et encore, tout en douce tranquilité.

Laisse-moi t'aimer [Good Omens]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant