Crowley est... effaré. Dire qu'il est dans l'incompréhension la plus grande est un euphémisme. Ses mains sont devant lui, palpant timidement le vide avec hésitation. Une seconde plus tôt, il effleurait l'ange, son ange du bout des doigts, il touchait presque la magnificence de ce qu'il représente, la beauté de sa personne, l'interdit aussi et puis... et puis quoi ? Il ne saurait l'expliquer. Une vive pointe de panique mêlée à une inquiétude certaine le prend à la gorge. Son ange a... disparu ? Comme ça, comme un souffle, dans un claquement de doigts. Plus rien ne témoigne de sa présence quelques secondes plus tôt. A-t-il été trop proche dans ses gestes ? Il ne comprends pas. Il cligne des yeux plusieurs fois, terrifié, comme si l'ange allait miraculeusement réapparaître devant lui en le gratifiant d'une remarque amusée : "Tu pensais vraiment que je m'étais volatilisé ? Mon cher, tu sais aussi bien que moi que j'en suis incapable !"
Cependant, ce n'est que ce que Crowley aimerait entendre.
Il cherche tout autour de lui ce qui aurait pu provoquer quoi que ce soit. Des livres, des livres, et encore des livres. C'est comme si toute la pièce tournait autour de lui. Toujours plus de livres. Il se cramponne à la chaise sur laquelle siégeait Aziraphel avant de... de s'évaporer ? Rien que le formuler dans son esprit aussi clairement le fait déraillé.
Dans le flou complet, il envoie avec rage le pauvre siège en bois valser à travers la pièce avant d'agripper à pleines mains ses cheveux roux dans un geste de pure frustration. Il regrette expressément son geste et en un clin d'œil la chaise - parfaitement similaire à celle qu'elle fut en tout point - retrouve sa place devant le bureau.
Les mèches rousses de Crowley viennent s'échouer sur ses pommettes alors qu'il soupire sans réussir à se détacher de la sensation désagréable qui oppresse ses poumons et sa gorge. Ses cheveux lui arrivent maintenant aux épaules. Il ne sait même pas si l'ange s'en est rendu compte. Il déglutit. Si l'ange a eu le temps de s'en rendre compte. Il tente de se calmer, de reprendre depuis le début...Il est arrivé depuis l'entrée, l'ange lisait. Tout était ok.
Il s'est approché de lui, l'autre ne l'a même pas vu. Tout allait pour le mieux.
Il a frôlé ses cheveux blonds du bout des doigts. Soupire apaisé du libraire, puis tension soudaine : c'est là précisément que tout a dérapé.Ça ne peut pas être ça ? La dernière fois qu'ils se sont touchés, cela n'a pas pris une telle ampleur, non ? De quand cela date ?...
Crowley ne sait pas ce qu'il lui a pris aujourd'hui, cependant il lui est impossible de se remémorer de quand date une interaction similaire. Il pourrait sûrement se le rappeler en se concentrant mieux, mais la peur sourde qui le gagne malgré ses tentatives de self-contrôle l'en rend incapable.
Et puis... Il sait en réalité exactement ce qui l'a amené à chercher ce contact qu'il tente d'éviter le plus possible pour son propre bien d'habitude. Un besoin intense de certifier, ne serait-ce qu'une dernière fois, que l'ange devant lui est réel. Qu'est-ce qui lui prouve qu'il ne rêve pas ? Ce qui le tue, c'est que ce qui vient de se passer sous ses yeux est l'exacte teneur de ses pires cauchemars. Ça le rend fou. Pourquoi n'a-t-il pas pu s'en empêcher ? Il est intimement convaincu que, sans ce geste, son ange serait encore là. Là, à lui parler en souriant, et, le couvant amoureusement du regard, Crowley aurait pu simplement l'observer et cela l'aurait emplit de cette pureté et de cette douceur que l'ange diffuse dans l'air de Soho lorsqu'il parle d'un sujet qui le passionne. Le blond l'aurait sûrement réprimandé sur sa façon de se tenir et le démon n'aurait pu s'empêcher de flirter sans la moindre discrétion avec lui. Et, comme à son habitude, l'ange n'aurait rien remarqué. Si adorable.
Si seulement.. Mais, les événements récents lui paraissaient à la fois si proches mais si irréels : la dispute du kiosque, la Presquapocalypse, leurs jugements respectifs... Le roux n'avait pas pu s'empêcher de laisser son esprit divaguer à la vue de cet être qui lui est si cher et ses désirs avaient pris le dessus. Comme il s'en veut de cette faiblesse.
Depuis 6 000 ans, il aurait tellement aimé être comme lui, de la même espèce, et ce, quelle qu'elle soit. Si il avait sû, il aurait anesthésié sa réflexion si fertile - trop diraient certain - et se serait borné à penser au Grand Plan sans loucher sur la connaissance si salvatrice. On lui aurait promis Aziraphel, il aurait tout pris sans la moindre hésitation. Humain si son ange l'avait été, volatile si l'autre l'avait désiré, même poussière il le supporterait sans peine. Cependant, lui, le déchu, il se doit de se contenter de ce que l'ange daigne lui offrir. Il devrait lui en être éternellement reconnaissant. L'amitié la plus petite fait de lui le plus heureux des démons. Et un ange est intouchable pour ceux de son espèce.
Seulement, lorsque son esprit s'égare, il en vient à s'imaginer un monde où il aurait donné sa vie à Aziraphel et où ce dernier lui aurait donné la sienne en retour. L'ange ne soupçonne pas qu'il a déjà la sienne entre ses mains quoi qu'il arrive. Mais parfois, il s'imagine pouvoir tout lui avouer. Qui sait, peut-être que son ange lui aurait appartenu, ne serait-ce qu'un tout petit peu ? Juste assez pour se dire que ses actes avait un impact, même minime, dans le cœur du blond. Un monde où il ne se serait pas "contenté de".
Il soupire à cette pensée lointaine avant d'être assailli par un sentiment de profonde tristesse et de remords qui lui tenaille la poitrine.
Comment peut-il encore être là divaguer alors qu'il ne sait même pas où se trouve son ange ? Il se dégoûte. Sans qu'il ne fasse rien de volontaire, son émotion fait tomber ses lunettes en poussière même pas deux secondes plus tard. Le roux n'en a cure.
Il n'a aucun indice, rien ! Quelque chose lui échappe. Il en est persuadé. Les traits sur le visage angélique avaient été déformés par... la souffrance ? Mais pas une souffrance extérieure, non, plutôt une souffrance muette, comme un déchirement sourd et pourtant bien plus douloureux. Jamais le démon n'aurait cru que ce genre de capacité d'analyse relevant presque de la déformation professionnelle se révélerait utile un jour. Il lève les yeux au ciel, désemparé. Il ne sait pas quoi penser. Un contact lui paraît toujours abusif. Il tente de se persuader qu'il ne peut pas être l'unique cause du mal qui lui a ravi sa raison d'être.
Il explore alors les autres hypothèses qui se présentent à lui. Il parirait sa main dans l'eau bénite que même Belzébuth n'est pas capable de plier un ange ainsi par sa seule volonté - sinon les Enfers n'en serait pas à ce stade aujourd'hui -, et il mets en sérieux doute que des archanges soient détenteurs de ce type de "pouvoir". Ce n'est pas vraiment leur rayon. Il ne sait même pas qui tenir pour coupable... À par lui, celui qui cherche tant un coupable... Si ce n'est pas un comble...
Il arme son poing en l'air dans le but d'évacuer ce trop-plein de rage contre l'humanité toute entière en se défoulant sur quelque chose avant de se raviser (l'anecdote de la chaise ne se reproduira pas). Certes, on venait de malmener sous ses yeux sa raison de vivre... comme il est aujourd'hui, cependant, il est ici dans le sanctuaire de le raison en question, et, pour aucune raison il ne veux intentionnellement rajouter une peine supplémentaire à son ami. Ce mot lui écorche rudement les oreilles, mais il décide de passer outre ses propres soucis pour l'instant. Il y avait plus important que sa petite personne.
Il n'a qu'une certitude, il doit trouver Aziraphel, coûte que coûte.
Et alors, une pensée le frappe, le coupant dans son élan : et si Aziraphel ne veut pas qu'il le retrouve ? Et si le roux a tout mal interprété depuis le début ? Et si il avait acquis un pouvoir dont il a usé pour s'éloigner de lui ?
Il secoue la tête, mets ses pensées sombres de côté. Si il ne veut plus de lui, il devra le lui dire en face. Pour le moment, il doit s'assurer que son ange n'est pas en danger. Dans son désespoir fulgurant lui vient une envie de chanter. Après tout, il ne peut pas tomber plus bas. "So don't stop me now..." Il se redresse de toute sa hauteur, se mets à siffloter... "I'm burnin' through the sky, yeah !
Two hundred degrees... " D'un souffle, il déploie ses ailes noires comme la nuit, déchirant au passage tous ces tissus devenus futiles. "... That's why they call me Mister Fahrenheit !"Il s'envole, comme un souffle à travers le cosmos.
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Laisse-moi t'aimer [Good Omens]
FanficAziraphel a longtemps gardé pour lui un secret inavouable de par son statut d'ange... Il va être contraint de se remettre en question par la force des choses. Normalement un 4 shot :) (Du moins je croyais mais en fait une 6eme partie va être nécess...