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En ce samedi matin, j’avais juste envie de dormir. Ce lit était trop confortable. Pour m’étirer, et surtout ne pas quitter ce monde trop merveilleux qu’était celui de la nuit de manière trop brusque, je me suis assis en tailleur, dos à la tête de lit.
« T’es réveillé. »
Ça sonnait plus comme une affirmation qu’une question. Mais j’ai pris quand même.
Sa tête est venue se poser sur mes genoux.
« Ca se pourrait. » je lui ai lancé, un léger sourire sur les lèvres.
J’ai pris la liberté de lui remettre sa mèche de cheveux.
« Bien dormi ? » m’a-t-il demandé.
« Très drôle. » lui ai-je dit, en lui caressant la tête. « Et toi ? »
« Ça se pourrait que quelqu’un m’en aie empêché. »
Je n’ai pas répondu. Je me suis levé. Il a grogné. Ça m’a fait rire.
« Allez marmotte. Debout. » j’ai dit.
J’ai enfilé un sweat par-dessus mon t-shirt, et un pantalon. J’ai entendu les draps derrière moi, signe qu’il s’était levé, mais je m’attendais à ce qu’il vienne me faire un câlin. Même pas. Je me suis retourné, et il était en train d’enfiler un pantalon. Bon, ok, il était canon, mais ce n’était pas une raison pour me laisser en plan. Je ne lui manquais même pas un peu ?
Je commençais déjà à bouder, que je ne m’étais pas aperçu que je continuais de le mater. Il a relevé les yeux quand il a eu fini. Avec ce petit sourire malicieux.
« Te gêne pas. » a-t-il dit, après m’avoir vu rougir comme un dingue.
Je n’ai pas répondu, surtout parce que je n’avais plus rien d’autre à répondre. Tout ce que j'ai trouvé à dire, c’est un « te fous pas de moi » à peine audible. J’ai croisé les bras, et j’ai tourné le dos. En vrai j’y croyais à peine à mon cirque du mec qui boude, mais bon.
Deux bras sont venus encercler ma taille, et deux mains sont venues se poser sur mon ventre, sous mon sweat. Odeur vanille est venue me chuchoter à l’oreille.
« T’es trop mignon. »
Il a appuyé son menton contre mon épaule, et on est restés comme ça un petit moment. J’ai posé mes mains sur les siennes et j’ai collé ma tête contre la sienne. Ça me semblait être le moment idéal pour lui dire ce que je ressentais, mais le connaissant, ça l’aurait fait fuir. Alors j’ai préféré me taire. Parce que si tout ça disparaissait, je ne sais pas si j’étais assez fort pour m’en relever. Il m’a soufflé dans le cou, et malgré le regret que j’éprouvais, je savais que j’avais bien fait. Je n’échangerais ces moments de pur bonheur contre rien au monde.
Ce matin, je ne compte plus le temps qu’on est restés comme ça. Peut-être des secondes entières. Des minutes. Des heures.
Finalement son téléphone a sonné, il a soupiré et il est parti éteindre la sonnerie. Il a jeté le téléphone sur le lit. Il m’a demandé si j’avais des trucs de prévu aujourd’hui. Mais on était samedi matin, et je n’avais pas pris les options du samedi à la fac, du coup le prochain truc que j’avais de prévu était pour lundi. Donc j’ai dit non. Il n’a pas répondu.
Il a enfilé un sweat sans même mettre un t-shirt, a mis son téléphone dans sa poche et m’a pris la main. On est sortis. Il n’a rien dit.
Parfois la vie c’est étrange. Ça aurait fait classe si il avait eu une moto et qu’on aurait fait Paris collés l’un à l’autre. Ça aurait fait classe si j’habitais dans le troisième arrondissement, avec vue sur les toits et qu’on aurait fait une petite ballade main dans la main. Ça aurait fait classe si c’était vraiment mon petit ami. Et pas mon plan cul.
Ça commençait d’ailleurs à faire quelques semaines, et je n’avais toujours aucune idée de ce qu’on était l’un pour l’autre. Certainement rien d’autre que des partenaires de baise. Mais je crois que le plus paumé d’entre nous, c’est bien moi.
Je n’avais aucune idée de ce qu’il voulait me montrer. J’habite dans le 12e, dans un studio perdu entre deux grands immeubles, et tout ce qu’il y a à proximité c’est le bois de Vincennes. Et cette supérette ouverte 24h/24, en bas de chez moi.
Il me tenait toujours la main, et on n’avait rien dit depuis qu’on était sortis. On marchait dans la rue, et personne ne faisait attention à nous. En tout cas moi j’étais focalisé sur notre seul point de contact. Et ça me dérangeait que ça me dérange. Parce que je ne devrais pas être absorbé et obnubilé par lui.
Finalement, il a ralenti le pas, et je me suis rendu compte qu’il marchait assez vite jusqu’ici, tout en faisant attention à ne pas me perdre en chemin. Il faut dire que comparé à lui je suis assez petit, et ses longues jambes avancent beaucoup plus vite que moi. Mais là il marchait sur mon pas, et il faut dire que ça me faisait plaisir.
Même si je me faisais remarquer que je me faisais trop de films – ce qui n’est plus exceptionnel quand il s’agit de lui – j’allais très vite chuter, et l’atterrissage serait des plus violents. Je suis un garçon avec assez d’imagination, il fallait le dire.
Il avait l’air de savoir où il allait.
A un tournant de rue, il est rentré dans une supérette, moi toujours accroché à lui. Il n’avait pas l’air énervé. Juste… lui. Parfois j’avais du mal à le cerner, à mettre des mots sur ce qu’il était. Il était indescriptible, depuis le début, et jamais depuis je n’avais réussi à le décrire, du moins avec les bons mots. Incroyable, impressionnant, beau, passionné, affectueux. Il était tout ça à la fois. Mais ce n’était pas assez. Pas assez pour le décrire. Pas assez lui.
Dans les rayons, je regardais un peu à droite à gauche, histoire d’essayer de deviner sur quoi il ferait main basse, mais en réalité, je n’en avais aucune idée.
Je me posais de sérieuses questions sur la tournure que prenaient les évènements, quand soudain il s’est arrêté net devant moi. Je me suis cogné la tête contre son dos, en murmurant un pardon qu’il n’avait certainement pas entendu. Il s’est arrêté au rayon fruits et légumes. Il a pris un sac plastique. Et il s’est approché du côté marqué « fruits de saison ».
Et il m’a lâché la main. Et comme d’habitude, mon corps a souffert automatiquement du manque qu’il a provoqué. Vous voyez cette situation qu’on nous décrit tant dans les livres ? Là j’avais carrément l’impression qu’il avait emmené mon cœur avec lui.
Etonné, je me suis posté à côté de lui, et j’ai commencé à regarder l’étalage, presque suspicieux. Mais qu’est-ce qu’il avait l’intention de faire ? Je veux dire, acheter des légumes, mais ensuite ?
Il ne m’avait pas regardé depuis la chambre, et je n’avais même pas noté que ça m’avait manqué, jusqu’à ce qu’il repose les yeux sur moi à nouveau, captant mon incompréhension. Je l’ai regardé dans les yeux, et j’ai ressenti quelque chose d’indescriptible. Il m’a fait un petit sourire.
Et alors tout s’est envolé. Y compris la vitesse des battements de mon cœur, que je sentait à nouveau, bien vivant. Et je crois qu’il savait quel effet il avait sur moi. Parce qu’il a changé d’expression faciale. J’ai vite détourné les yeux.
Il a attrapé des pêches dans l’étalage, et les a mises dans un sac, les a pesées, et m’a entraîné à sa suite en tirant sur mon sweat. Toujours aucun signe de parole. Même si on n’avait jamais été trop bavards lui et moi, ça me stressait de savoir que lui savais où il allait, et pas moi. Car je n’avais toujours aucune idée de ce qu’il comptait faire. Je pouvais juste lui faire confiance.
Une fois que c’a été payé, il a repris ma main d’un côté, et les pêches de l’autre. Pourquoi des pêches ? Enfin, il me touchait à nouveau, et ça semblait suffire à ma conscience corrompue. Quel petit malin. Je suis sûr qu’il l’avait fait exprès.
Je dois bien reconnaître qu’il était canon. Si je ne l’avais pas déjà reconnu un peu avant. Mais putain, qu’est-ce qu’il était beau ! Comment c’était possible ? Ce n’était pas très juste. Mais est-ce qu’il l’était réellement, ou est-ce que c’était juste mon amour pour lui qui l’embellissait ? Certainement un peu des deux. Parce qu’il n’était pas juste beau. Il était juste tout ce qu’il me fallait.
Quand on a passé les portes automatiques, une trombe d’eau nous est tombée juste devant le visage. Des gens couraient se mettre à l’abri, si bien qu’au bout de trois secondes, toute trace de vie avait disparu au coin de la rue. Il ne restait que nous, devant cette supérette vide, un samedi matin. Et cette averse était si soudaine, que ça m’a fait sourire. Puis, j'ai reporté mon attention sur lui – puisque c’est devenu normal de le regarder depuis qu’il est dans ma vie – et j’ai observé un petit peu si ça allait contrarier ses plans. Ça aurait été marrant. Ok, nan, je ne veux pas qu’il soit triste.
Mais il souriait.
Il m’a serré la main une fraction de seconde, et m’a entraîné sous la pluie. En quelques secondes, nous étions trempés. Et il riait. C’était encore plus beau que tout ce qui existait sur cette planète. J’aurai voulu garder ce moment, cet instant de bonheur pur dans une bulle impérissable pour la fin de ma vie.
Est-ce que c’était lui qui me rendait niais comme ça ?
J’étais pas ce genre de mec à trop exprimer ce qu’il pense, certains diront que je suis introverti, d’autres timide, en fait je ne sais pas. Ça a toujours été tellement compliqué de parler aux autres. Mais avec lui ça devenait tellement simple que c’était effrayant. Je l’aime. Mais lui ? Sa réponse m’effrayait. Voilà pourquoi j’étais toujours coincé là.
J'ai baissé la tête. Il m’a attrapé le menton, avec sa main libre, et j'ai plongé dans le profond de ses yeux. Le vertige m’a pris, mais très vite, mon esprit s'est relevé. J’ai cru entendre le sac tomber dans un bruit de plastique mouillé, et il a pris mon visage entre ses mains, et m’a embrassé doucement. Un seul baiser volé.
Ça m’a fait pleurer.
Et je ne crois pas qu’il l’ai vu.
Donc ça m’a fait pleurer encore plus. Heureusement qu’il y avait la pluie.
Parce qu’il ne m’embrasse pas doucement d’habitude. D’habitude c’est fort, enfiévré, bousculé et complètement chaotique. Mais doucement, jamais. Pas comme ça.
Pour moi, ce sont les couples qui s’embrassent comme ça. Mais là ce n’est pas vraiment ça. Même si on a une relation ambiguë, on n’est pas en couple. Et bordel, je m’en veux, parce que je me fais des films, et si c’est juste dans ma tête, ça fait mal. Je souffre là. Juste à l’intérieur de mon cœur, j’ai un poids. Soudain avoir le cœur brisé devient une expression au sens propre.
Il m’a caressé les joues, et il a essuyé mes larmes.
Ce qui signifie qu’il savait que je pleurais. Mais il n’a toujours rien dit. Il m’a regardé, avec cette incroyable patience dans les yeux, et il n’a rien dit.
Je voulais le remercier, à l’infini, mais j’ai eu peur de briser le silence, de dire une bêtise. Qui le fera s’enfuir.
C’est fou, ce que c’est étrange, la vie. Hier je riais avec lui, aujourd’hui je pleure avec lui. Mais comme c’est simple, il me comprend sans que je ne dise un seul mot.
Il a descendu ses mains le long de mon tronc, pour trouver les miennes, et les a posé dans son dos. Et il m’a enlacé à son tour, en me chuchotant quelque chose que je n’ai pas entendu. Mes oreilles sifflaient et la pluie martelait le béton froid et humide, mais je sentais son souffle contre ma nuque.
Il sentait bon.
Il sentait le chez moi, celui que je connais partout où je vais.
Petit à petit, mes larmes ont cessé de rouler sur mes joues, il a attrapé ma main, et il a ramassé les pêches, pour rentrer à la maison. Finalement, je me demande à quoi il pensait en venant acheter des pêches.
Et la pluie avait cessé de tomber.

Regards CroisésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant