d e u x

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d e u x
Après avoir tapé le code, qu’il connaissait bizarrement par cœur, on a monté les escaliers, j’ai ouvert la porte de l’appartement, et j'ai refermé derrière nous. On a enlevé  nos chaussures, chaussettes et sweats trempés pour les mettre à sécher.
J’ai dégluti un peu bruyamment quand je me suis rendu compte qu’il n’avait pas mis de t-shirt ce matin, et qu’il se baladait à présent torse nu, dans mon appartement, mais je n’ai rien dit.
En fait, on ne s’était plus parlé depuis longtemps, mais ça ne m’a pas dérangé. Parfois les mots sont inutiles.
Après quelques minutes passées à se sécher avec des serviettes trouvées dans ma salle de bain, je me sentais toujours mouillé. Mais un peu moins lourd. En allant étendre les serviettes avec nos vêtements dans la salle de bain, je suis vu dans la glace : pâle, les yeux rouges encore d’avoir pleuré, le bout du nez tout rose et les cheveux aplatis comme un chien mouillé abattu. Je ne ressemblais plus à rien. Pourtant, il ne s’était pas enfui. Ça m’a fait rire. Tout seul devant ma glace.
Je me suis arrêté net quand j'ai fait ce constat, et me dépêche de retourner à ses côtés, avant de devenir complètement fou. Mais quand j’arrive dans ma chambre, qui fait en réalité office de salon, d’habitude, il est allongé dans le clic clac – que nous n’avons pas replié ce matin – les couvertures sur lui, et il a les yeux fermés. Son jean est au sol. Je viens m’allonger à côté de lui, sur les couvertures. Je ne veux pas le réveiller en faisant rentrer de l’air froid.
D’ailleurs, je grelotte un peu, mais j’ai la flemme d’aller allumer le chauffage.
J’attrape un sweat qui traine au pied du lit, et je me demande en l’enfilant si c’était celui que je portais hier avant que tout ne dégénère comme d’habitude. Je souris. J’aime bien quand ça dégénère.
Quand je me rallonge, il n’a pas bougé, mais il me regarde. Je n’aurai pas du poser ma tête si près.
Il les referme finalement, avec un sourire satisfait. Non mais.
Puisqu’il n’a pas l’air décidé à se bouger plus que ça, et que j’ai froid aux pieds, je me glisse aussi sous la couette, mais je prends soin de lui tourner le dos. C’est bien mieux. Mes pieds froids se réchauffent un peu plus.
J’entends du mouvement de son côté, ce qui me fait immédiatement me retourner. Comme si tout ce qu’il faisait était forcément intéressant. Je me retourne, en me réprimandant moi-même pour ce piètre jeu d’acteur dont je fais preuve, sauf que je sens son souffle dans mon cou. Ce qui me fait frissonner.
Quel imbécile.
Je ne suis pas vraiment doué pour ne rien lui montrer, c’est comme s’il y avait sans arrêt une pancarte lumineuse et clignotante sur ma tête indiquant tout ce que je pense.
J’espérais encore faire passer ça comme étant la faute des basses températures, mais il passe ses bras autour de ma taille, et colle son torse à mon dos. Il me chatouille les cheveux avec son nez, et je frissonne une seconde fois. OK, je suis cramé.
Je ferme les yeux, respire un grand coup, et pose mes mains sur les siennes, gentiment nouées devant moi.
J’espère qu’il n’entend pas les battements de mon cœur, parce que j’ai l’impression que c’est tout ce qu’on entend. Il n’y a même aucun bruit dans l’appartement, et j’ai l’impression qu’on peut l’entendre jusqu’au bout de mes doigts.
« Te force pas tu sais. »
Je rouvre les yeux d’un coup. Sa voix a percé le silence, et c’était si inattendu que mon cœur jusqu’ici trop bruyant à mon goût, a failli s’arrêter. D’ailleurs, ça faisait tellement longtemps que sa voix – et la mienne – n’avait pas été utilisée qu’elle était un peu rauque, comme encore un peu enfermée, et tout à fait adorable.
« Ça me va. » je dis.
« C’est pas la peine non plus si tu te sens pas. » j’ajoute même après quelques secondes.
Il soupire. Je le sens dans mon cou. Mais il ne fait que souffler.
« En fait. Je crois que j’ai pris froid. » il me répond.
Il aurait pu le dire plus tôt ! Je me retourne un peu brusquement, et je regarde la température de son front. Il est chaud. J’ouvre de grands yeux.
Je jette la couette par-dessus moi, et je prend bien soin de la remettre pour qu’il soit au chaud dessous. Il me dit de ne pas m’affoler et de revenir sous les draps avec lui.
Je ne réponds pas. A la place, je lui donne mon sweat-shirt, que je venais de mettre, et je lui fais signe de l’enfiler. Il s’assied adossé à la tête de lit, et l’enfile lentement, me laissant tout à fait le temps de mater.
Avant de ne me faire plus honte, je file à la cuisine, avec l’intention de revenir avec une boisson chaude et des glaçons à mettre sur son front.
En passant dans la cuisine je crois entendre quelque chose comme : la seule chose dont j’ai besoin avec moi c’est toi.
Mais je dois rêver. Je prend mes rêves pour la réalité. Comme ces héros de romans qui trouvent la bonne personne du jour au lendemain, et comme par hasard leurs sentiments sont toujours réciproques. Malheureusement la vraie vie c’est souvent des déceptions. Je ne veux pas en subir une seule de plus. On est déçu trop de fois par la vie.
Alors je me dépêche d’aller chercher des glaçons et un thé bien chaud. Rouge comme une tomate.
Je fais chauffer l’eau au micro-ondes, parce que ma bouilloire est dans le salon, et que je n’ai aucune envie de me montrer à lui ainsi. Il semblerait que ce soit uniquement à lui que j’aie choisi de montrer mes pires côtés. C’est tout moi. Je me demande combien de mes défauts il a relevé. Même comme ça. Moi je n’en ai relevé aucun. A son sujet. Mais au mien, oh, j’ai de quoi écrire une trilogie. Je pense que c’est impossible pour moi de ne pas complexer face à lui. C’est comme si mon corps entier voulait que je sois minable. Je m’en veut un peu pour ça. Mais honnêtement, j’ai aussi accepté l’idée depuis un moment. Qu’est-ce que je peux faire ?
Je sors la tasse du micro-ondes, mais elle est brûlante, et elle m’échappe des mains, pour venir de renverser sur mes jambes et mes pieds. Ce qui m’arrache un cri. Ou un couinement. Difficile à dire.
Mais je n’ai pas le temps de réfléchir à ce que je vais faire pour nettoyer ce bazar que débarque mon malade préféré, nez rouge et cheveux en bataille, comme s’il y avait le feu.
« Retourne te coucher ! Tout va bien regarde, je vais bien. T’inquiète pas. Désolé de t’avoir réveillé. » je lui dit, en lui montrant mes jambes intactes d’un geste de la main.
Il souffle.
« Va te recoucher. » je répète.
Je me lève pour le ramener à la chambre par la main. Je prend les devants. Il se tient à moi pour marcher. Il devient de plus en plus lourd, jusqu’à ce qu’il ne m’écrase au milieu du salon, et me tombe dessus.
« Hé ! » je lui crie.  « Hé ! »
Je lui crie son prénom, mais il ne répond pas. Je tente de lui donner quelques petites claques, sans succès. Je le secoue et il ne se réveille pas.
J’ai soudain peur.
Et si il ne se réveille pas ?
Je n’ai pas la force de le relever.
Je ne peux même pas atteindre le téléphone pour appeler les secours.
Je continue de l’appeler, de crier son nom sans réponse, jusqu’à lui chuchoter directement dans l’oreille, à bout de souffle.
« Répond moi, s’il te plaît. Répond moi. Répond moi !... Tu ne peux pas, tu ne peux pas ! » je bégaye entre deux sanglots.
Je le serre dans mes bras. Il est complètement collé à moi, immobile. Il a encore le cœur qui bat. Ça me fait comme une décharge d’adrénaline dans le sang.
Je réussi à sortir de sous lui, et je le mets de côté, avec les gestes qu’on m’a appris au centre de l’école. Je lui lève même les jambes. Je trouve que la télécommande est assez fraîche, alors je lui pose sur le front.
Et alors j'attends.
J’attends qu’il se réveille. Parce que son cœur bat toujours. Je garde ma main sur la sienne pour sentir son pouls.
Une seule larme coule. Aujourd’hui est la journée des gouttes de pluie.
Il ne se réveille pas tout de suite. Mais il me serre un peu la main. Je sais que c’est bon.
Quelques minutes plus tard, il ouvre les yeux, et encore quelques minutes après il commence à bouger et à parler.
« Ça va ? » il me demande.
« Non, toi, ça va ? » je lui répond avec le sourire.
Il me fait signe que oui, ça va. Mais comme d’habitude il a l’air plus de s’intéresser à mon état qu’au sien. Je ne veux même pas voir ma tête. Je dois être horrible. Mais lui, il m’a fait peur.
« Tu m’as fait peur. Abruti. »
Il vient essuyer mes yeux, pour la deuxième fois de la journée. Peut être pour vérifier si j’ai pleuré ou pas.
Oui. Un peu.
Il essaie de se mettre debout. Je l’aide en le laissant s’appuyer sur moi. Finalement, on atteint le lit ensemble, et il s’y laisse presque tomber, sans moi. Je le borde.
« Soit sage, OK ? » je lui demande avec un sourire en coin.
Il acquiesce avec un petit sourire, et je me dépêche de retourner à la cuisine.
J’avais oublié pourquoi il y a eu tout ce grabuge. C’est peut être un peu ma faute, s’il s’est évanoui en plein milieu de la pièce. Toutes ces émotions en une seule matinée. On n’a même pas mangé. Et il est presque 14 heures déjà.
Je lui refait chauffer son thé, correctement cette fois, et lui amène, avec un torchon contenant des glaçons. Je lui met autant de coussins que je peux en bout de lit pour qu’il puisse y mettre ses pieds. J’allume le chauffage en mode « doux ».
Je ne sais pas réellement quoi faire pour lui être utile.
« Tu as faim ? » je lui demande.
« Arrête de t’agiter. Viens ici. »
Il tapote le lit. Je secoue la tête. Je vais faire du riz. Avec ce que je trouverais dans le frigo.
Je repars en direction de la cuisine, mais j’ai à peine fait un pas, qu’il crie mon nom.
A-t-il réellement crié ? C’était une petite voix toute faible. Ça doit certainement être le contre coup du malaise, mais ça m’a fait tout drôle. Ça m’a remué.
Je suis venu, et je me suis exécuté.
Je me suis glissé sous la couette avec lui. On s’est juste regardés. Mais je ne me souviens pas quand est-ce qu’on s’est endormis.
Quand je me réveille, il est lové dans mes bras, et il sent mon odeur. Puis je me rappelle qu’il porte mon sweat-shirt. Je lui fait un tout petit bisou sur la tête.
Il est trop adorable quand il dort. Il a cette moue trop belle, alors que n’importe qui aurait l’air d’un gnome, lui ressemble à un prince. C’est mon prince à moi.
Je l’ai embrasé une deuxième fois. C’est plus fort que moi. Je le serre un peu plus contre moi, et j’essaie de fermer les yeux.
Mais j’ai trop faim pour me rendormir. J’essaye de me bouger le moins possible. Pour ne pas le réveiller. Mais on est collés, donc ça s’avère plus compliqué que prévu.
Quand j’ai réussi à sortir, je m’assieds sur le bord, et je souffle un coup. Il fait plus froid que prévu hors du lit.
Je me lève, mais je sens que quelque chose me tire, alors je me rassieds et je regarde ce que c’est.
Il a accroché sa main à mon t-shirt. Mais quand je regarde son visage, il a les yeux fermés. Il grogne un peu et me lâche.
Je lui prend la main, et je la range sous la couette.
Je vais lui faire une bouillotte.
Et moi, je vais regarder ce qu’il reste dans les placards.
Sur ce je me dirige vers la cuisine. C’est vrai que ces week-ends en impro, c’est bien, mais ça se ressens dans mon garde manger. Tout ce qu’il reste de mangeable immédiatement, c’est les pêches de tout à l’heure, trempées, qu’on a même pas sorties du sac. Je les prends, et j’en croque une, pendant que je sèche l’autre. Une fois qu’elle est sèche, j’allume ma bouilloire.
Je termine la pêche, et je commence la deuxième. L’eau finit par bouillir et je la fait couler dans la pochette. Je l’enroule dans une petite poche en peluche, avec des oreilles d’ours – que j’ai trouvé dans une petite boutique du 13e un jour – et je la glisse en dessous des draps en douceur. Ça ne le réveille pas.
Mais j’ai encore faim, et quand il se réveillera, il aura certainement faim aussi. Sans compter qu’il mange beaucoup plus que moi. Je vais aller faire des courses. J'enfile mes chaussures et je prend le maximum de sous que je peux trouver sur le plan de travail, c’est-à-dire un total de 5,32€.
Je mets un sweat-shirt, et je referme derrière moi.
Je souffle un dernier « je fais vite, je te le promets », inaudible, et je m'en vais.

Regards CroisésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant