De janvier aux vacances d'été, ma vie est devenue un enfer. Cette fois, ce n'était plus juste un ou deux bleus à la fin de la semaine, c'était parfois un jour où je me faisais tabasser pour ensuite en être recouvert. Mais à chaque fois, c'était dans le dos, le ventre, la poitrine ou les cuisses. C'était vraiment rare que j'en ai sur les bras ou le visage. Ils sont vraiment malins, les värdjad. Ils savent très bien qu'avoir souvent des bleus visibles, en particulier sur le visage, ce n'est pas juste de la malchance. Mais comme battre les gens, ils aiment ça, alors ils rusent.
C'est peut-être bizarre à dire, mais avec le temps, on finit par supporter la douleur. Je ne dis pas que l'on n'a plus mal, que finalement, ce n'est pas si douloureux que ça, non ! J'essaye juste d'expliquer qu'on arrive avec le temps à, disons... s'évader pour atténuer la souffrance quelques minutes. Un peu comme si l'esprit partait se promener et que le corps subissait les coups tout seuls. C'est super pratique, comme truc que sait faire notre cerveau.
Moi, j'allais dans une sorte de bulle. Une bulle qui flotterait je-ne-sais-pas-trop-où, peut-être dans une eau sans fin. Autour de moi c'était vert-bleu, mais parfois ça virait au violet quand j'avais trop mal - je n'aime pas le violet, c'est la couleur que prennent mes bleus le plus souvent. Là-bas, je ne sentais plus vraiment les coups des värdjad. C'est comme lorsque l'on met un casque sur ses oreilles et que les sons autour de soi deviennent moins forts, étouffés. Je sentais toujours la douleur, je sentais toujours qu'ensuite, je finissais allongé sur le sol des toilettes ou dans un coin oublié de la cour. Mais ça m'aidait à avoir moins mal. Et puis comme ça, je ne voyais que ma bulle, et pas leurs sales faces.
J'avais pris l'habitude de prendre des vêtements de rechange dans mon casier. Entre les "accidents" de plateau au self, les crachats et parfois même la pisse, il fallait que je me change à chaque fois. Deux à trois fois par semaine, je partais au lycée pour revenir le soir avec d'autres vêtements.
Et puis il y avait quelque chose que je ne supportais pas : le compas. Même ma bulle ne fonctionnait plus avec ça. Tout virait au violet, et parfois même la bulle éclatait, me faisant revenir là où était mon corps. Le compas, c'est ce que préfère Sam. Il adore le planter dans le dos ou le bras, l'enfoncer jusqu'à ce que le sang coule et ne puisse s'arrêter qu'en appuyant de toutes ses forces avec un mouchoir. Et le pire, c'est que parfois ça arrivait en cours. Il se plaçait exprès derrière moi, et choisissait le moment où son voisin de table était trop occupé à noter quelque chose pour me l'enfoncer dans le dos. Je n'avais pas le droit de crier. Si jamais je gémissais, il ferait pire. Alors je m'échappais du mieux que je le pouvais dans ma bulle, et j'attendais qu'il termine. Je finissais toujours un bras sur les yeux, pour que le reste de la classe ne remarque pas que je pleurais, et un dans le dos, pour éponger le sang.
Ça faisait sourire Sam. Je ne le voyais parfois, pas toujours, mais il souriait à chaque fois. Ça lui plaisait de me voir souffrir, de voir comment je faisais pour me débrouiller pour que personne ne remarque rien. Ça lui faisait plaisir, putain. Comment on fait pour apprécier la douleur des autres, et pour la provoquer ? Comment on peut être comme ça ? Je n'ai jamais compris. Sur Internet, les gens parlent de dérangement mental, parfois juste de personnalité. Un peu comme une personne aimant les bananes et une autre les poires. Apparemment, ce n'est pas si rare que ça. Mais ça n'empêche que je ne comprends toujours pas comment c'est possible.
Depuis que Sam a commencé avec cette histoire de compas, je ne peux plus en voir. J'ai réduit le mien en morceau avec marteau, et je criais à mes sœurs de ne jamais laisser traîner les leurs. À chaque fois que j'en aperçois un, je vois Sam. J'ai aussi du mal avec tout ce qui est aiguilles, ciseaux et couteaux pointus, parfois. Alors qu'en j'en voyais après une journée-compas, je ne pouvais pas m'empêcher d'aller m'enfuir dans ma chambre pour me cacher sous ma couette, en boule. Je me répétais que ça n'est pas la même chose, et je partais dans ma bulle.
C'est souvent Laine qui me retrouvait comme ça, réfugié dans mon lit. Elle ne posait pas de question, me tirait juste par la main pour me sortir de là et me ramenait de là où j'étais parti. Et à chaque fois, il n'y avait plus l'objet qui m'avait mis dans cet état. Je n'ai jamais su comment elle a appris que j'avais peur des choses pointues. Elle l'a sûrement deviné. Après tout, elle a l'habitude des phobies. Sa jumelle, Helena, est eisoptrophobe, la peur des miroirs ; ce qui fait que nous n'en avons aucun dans notre appartement - mis à part notre mère, qui en garde un petit dans sa commode.
(Enfin bref... Ça fait mal de parler de ça. Ce ne sont que des mots, mais ça fait mal. C'est comme si, à chaque fois que j'écris, je retourne dans le passé pour revivre la même chose. Raah, pourquoi j'ai fait ça... Pourquoi j'ai dit oui... Bon, j'arrête. Ça va encore mouiller le cahier)

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Et j'ai sauté
Teen FictionLudovic, bientôt dix-huit ans, a tenté de se suicider en sautant du haut de son immeuble. Ses proches n'ont aucune idée de ce qui l'a poussé à ce geste, et il refuse toute explication... verbale. En effet, à la demande de son meilleur ami Francis, L...