Je fais partie de l'équipe junior de handball de ma ville depuis la sixième. Je crois bien que j'ai toujours aimé ce sport, et qu'au collège, j'ai insisté pour pratiquer celui-ci. Mon grand-père dit que c'est parce que je m'appelle Ludovic, comme le frère de mon père. En fait, cet oncle est mort à à peine vingt ans, donc me donner son nom a été une sorte d'hommage selon mon père. Et pour revenir à ce lien entre un prénom et un sport, c'est parce que Ludovic-premier-du-nom en était complètement fou. Il ne pouvait pas rater un seul match, et faisait lui aussi partie de l'équipe de la ville - l'entraîneur a d'ailleurs été content de savoir que je suis son neveu, il parait que le talent, c'est génétique. Mais bon, je suis loin d'être aussi bon que lui.
Je disais donc que je faisais du handball - c'est devenu du passé, maintenant : les joueurs à cloche-pied, ce n'est pas terrible. C'est surtout grâce à ça que Francis et moi sommes devenus amis. Même si nous étions dans le même collège et dans la même classe, nous nous sommes vraiment intéressés l'un à l'autre grâce au handball.
Mais à partir du lycée, c'était devenu compliqué. Entre mes courbatures permanentes à cause des coups et le passage obligatoire au vestiaire, c'était devenu un véritable parcours du combattant. Je devais toujours faire attention, ne rien laisser au hasard. Je savais que si jamais on apercevait mon torse, mon dos ou mes cuisses, on devinerait ce qu'il se passait. Comme les värdjad étaient passés à la vitesse supérieure, je ne pouvais plus trouver d'excuse si on voyait une zone frappée. Ce ne serait plus un hématome, c'en serait cinq à la fois. Et personne n'a cinq bleus juste parce qu'il s'est cogné.
Je devais m'organiser à chaque fois. Ne jamais être dans les vestiaires avec un autre gars, c'était le plus compliqué. Parfois, j'arrivais en avance, souvent en retard. L'entraîneur, ça lui a vite tapé sur les nerfs. Parce que si avoir de l'avance, ça ne gêne personne, être en retard, c'est le contraire. Comme il commençait à menacer de m'interdire les séances où j'arriverais trop tard, j'ai dû essayer du mieux que je le pouvais de n'arriver que trop tôt.
Je crois qu'un gars a commencé à se douter de quelque chose ; il s'appelle Erwen. Vers la rentrée en première, je le voyais me fixer lorsque qu'il m'apercevait. Au début, ça pouvait passer pour de la curiosité, mais... je sentais quelque chose dans son regard. J'ai fait mine de l'ignorer pendant un mois, en espérant qu'il se lasserait : peine perdue. Au contraire, il faisait tout pour essayer de jouer près de moi, et arrivait souvent plus tôt que les autres dans l'espoir qu'on se croise aux vestiaires. Et si j'arrivais en retard, et que j'attendais de voir sortir mes coéquipiers pour entrer à mon tour, il était le dernier à s'en aller.
Il a essayé de me parler plusieurs fois. À chaque fois, je ne lui ai pas laissé le temps d'entamer une conversation. Aujourd'hui, je me dis qu'il voulait sûrement juste qu'on soit amis. Peut-être que j'aurais dû lui laisser une chance, et non pas m'esquiver à chaque fois qu'il essayait de m'aborder. Mais j'avais trop peur des questions. Déjà qu'éviter celles de Francis n'était pas simple...
Erwen n'a jamais lâché l'affaire. Même si je faisais en sorte qu'il comprenne que non, je ne voulais pas qu'il me parle, il continuait. C'est la personne la plus obstinée que je connaisse. Parfois, je le voyais faire une mimique étrange quand je me défilais une fois de plus. La même que lorsqu'il rate un but, ou une passe importante. Ce gars est incroyable, il ne se laisse jamais abattre. Que ce soit pendant un match ou avec moi, c'est pareil, il ne lâche rien.
Aujourd'hui, j'ai décidé que j'irai lui parler dès que je serai en état. Que j'irai lui présenter mes excuses pour l'avoir toujours évité et ignoré. Et lui dire aussi que je l'admire. Parce que oui, Erwen est admirable. Pour moi, c'est juste incroyable de faire preuve d'une telle volonté, de continuer sans se laisser décourager. Il est tout ce que je ne suis pas. Moi, je me suis laissé battre par les värdjad, et j'ai décidé de sauter pour leur échapper. Lui, il aurait sûrement trouvé une solution depuis longtemps ; non, en fait il n'en n'aurait pas eu besoin : dès les premières fois, il ne se serait pas laissé faire.
Quand je compare nos volontés, je me déteste un peu plus. Pourquoi, pourquoi, pourquoi... ? Pourquoi je suis comme ça ? En me laissant faire par Sam et Tobias, je me suis moi-même tué. Oui, c'est ça : je me suis tué deux fois. La première fois en signant un pacte de mutisme, la seconde en montant sur le toit de mon immeuble. C'est exactement pareil, hein. Dans les deux cas, je me suis tué. Dans les deux cas, c'est parce que mon putain de cerveau est idiot. Parce que je suis idiot. Raaah, je m'énerve. Foutu Ludovic ! Je m'énerve, je me pleure. Je ne suis qu'un crétin. Je me hais.
Foutu moi.
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Et j'ai sauté
Ficção AdolescenteLudovic, bientôt dix-huit ans, a tenté de se suicider en sautant du haut de son immeuble. Ses proches n'ont aucune idée de ce qui l'a poussé à ce geste, et il refuse toute explication... verbale. En effet, à la demande de son meilleur ami Francis, L...