De Sang avide

Acte 3

Faits Divers
Du rebondissement dans l'affaire de la main volée : sa photographie circule depuis quelques jours sur internet. Les doigts font un geste obscène qui semble destiné aux membres du groupuscule extrémiste. L'enquête n'a toujours pas permis d'identifier le coupable.

***

— Hey Machin ! Heu... Martin si je me souviens bien, c'est ton nom pas vrai ? T'es l'gus qui gère les tables de jeu toutes les semaines. Même que je suis venu une fois, tu te rappelles ?

Nous étions au printemps, et, ironie toujours, il fallait qu'il m'aborde dans une situation totalement inappropriée. Je me trouvais encore plus idiot que d'habitude. Seul, assis sur un muret, je venais de mordre dans un sandwich au jambon discount. Donc, silence gênant pendant une déglutition pénible avant d'envoyer la réplique, l'air faussement décontracté :

— Oui fidèle au poste depuis quatre ans déjà.

— Dur..., murmura-t-il avec une pitié à vous fendre le cœur. Tu veux un gâteau ?

Un paquet de biscuits au chocolat débordait de son sac. Sa condescendance m'assomma. Il paraissait très content de lui, ou il ne se rendait absolument pas compte de sa maladresse. Je ne savais pas toujours quand il était cruel volontairement ou juste en décalage malgré lui. D'un coup, je me sentais capable de le détester. J'ai pensé à lui dire de dégager, j'ai répondu un froid : « Non merci. » Bizarrement, il comprit le message. Il me tourna un sourire presque sincère.

— Enfin, sans blague, je ne suis pas venu pour t'apporter le goûter en souvenir de notre très brève amitié. T'es branché robotique prothésiste non ? Bras mécanisés, tout ça, tout ça...

— Oui.

— J'ai entendu parler de tes projets, ça a l'air pas mal intéressant. Je bricole un peu de mon côté mais j'ai l'impression que tu pourrais avoir quelques trucs à m'apprendre. Plus que tous les autres types de l'école en tout cas. Il paraît que t'es vraiment doué. Tu pourrais peut-être devenir mon mentor, qui sait...

Je crois que j'ai eu un regard totalement halluciné à ce moment. Tout le monde s'accordait sur l'intérêt passionnant de mes études sur les membres mécanisés. Les enseignants, en particulier, me faisaient bosser plus que de raison en rêvant au retentissement futur de mes recherches dans le monde de la science, et de la médecine. Ça ne m'apportait pas beaucoup d'amis cependant, quelques mecs aussi déconnectés que moi, aucune copine... Mais Yitzhak ne ressemblait pas à un pâle asocial. Je ne savais plus très bien ce qu'il était, peut-être bien la seule personne dont j'attendais ces mots-là, quelqu'un qui me donnait soudain l'impression d'être cool, l'envie d'être fier.

— ça se peut, répondis-je sobrement. Je ne pensais pas que ça t'intéressait. J'ai entendu des gens dire que tu voulais te spécialiser dans les armes de pointe.

Yitzhak nourrissait une passion assez curieuse pour les armes à feu. Je n'entends pas par-là, que c'est une chose étonnante pour un membre de l'école, les centaines d'accros aux FPS du coin vous confirmeront le contraire, mais on y croyait difficilement venant d'un mec comme lui.

— Oui, justement. Tu me dirais que tu t'es sincèrement engagé dans la robotique par altruisme, pour aider tous les pauvres handicapés, que je ne te croirais pas un seul instant, tu sais ?

Il a suffi d'un regard, d'un sourire. Entre nous, le message est passé. J'ai soudain compris ce qui m'attirait vraiment chez lui.