La série noire continue
Les autorités relèvent une hausse alarmante des attaques à main armée depuis plus d'un mois. En moins d'une semaine, cinq personnes ont été abattues d'une balle dans la tête sans raison apparente. Le tireur fou, toujours en cavale, semble avoir élargi le profil de ses cibles.
Le docteur Finck tient à sensibiliser les autorités sur l'aggravation probable de son état mental. L'inspecteur Laperle souligne quant à lui que les crimes sont trop décousus pour une seule personne.
L'enquête n'a pas pu établir de lien entre les armes utilisées. Aucune piste n'est cependant rassurante. La première signifie que le tueur possède une importante réserve d'armes à feu non autorisées à la vente, voire non identifiables, l'autre que plusieurs tueurs se seraient inspirés les uns les autres. Espérons que de prochains éléments permettront d'éclaircir l'affaire de meurtres en série la plus inquiétante de ces dernières décennies.Nécrologie
Tyler Ammaturo
Nous apprenons avec tristesse le décès de M. Tyler Ammaturo, 22 ans, à l'Hôtel-Dieu, le 21 mars 2034. Il laisse dans le deuil ses parents : Matteo et Lila ; ses sœurs : Lune, Océane, et Kimmy ainsi que plusieurs autres parents et amis.***
Incomparable est la fluidité de la machine. Je me perdais dans le désir. La pellicule de ses membres glissait sur mon corps, froide et dure au début, tiède et souple comme la cire à la fin. Je la pressais, en sentant rouler les fils en caoutchouc qui, comme un millier de vaisseaux sanguins, remplaçaient la chair. L'acier obtus de ses articulations tintait, grinçait, contre les craquements et choc mats de mes os. Je le connaissais par cœur. Une partie de son corps m'appartenait. Chacun de ses mouvements activait des mécanismes intérieurs que je pouvais imaginer. Yitzhak ne soupirait plus. Il cliquetait, grésillait sous mon poids. Sa technologie, ma technologie, s'imprimait sur moi. Et tandis qu'il me serrait avec une force rigide contre lui, je ne suis pas certain de vouloir goûter de nouveau à la mollesse d'un corps humain.
Ses yeux si sombres, si vifs, ont fini sur une tête de poupée, dans un bocal. Il riait de ses créations macabres. Je lui réinventais des sens, améliorais sa vue de loin, de près, de nuit, affinais son ouïe, sa perception des vibrations, tout.
— Je ne sais pas si je me sens plus vivant, me confia-t-il, mais tout devient si clair, si évident. Je quitte le monde organique, et je ne l'ai jamais mieux perçu. C'est génial.
Et, dans l'obscurité de la chambre, quand mon dos s'enfonçait sur le matelas, les prises, et les composants coupants, ses nouveaux globes oculaires éclairaient mon visage d'une douce lueur bleue.
Dehors, quand il sortait, les gens ne remarquaient rien. Le bruit de la ville couvrait celui de mes tendres machines. Je poursuivais mes études, dans l'isolement des laboratoires et salles de classes. Trop absorbé par mes expériences robotiques, je me réfugiai dans une thèse. L'État finançait mes projets. Je livrais des résultats satisfaisants, très éloignés de ce que j'accomplissais entre les murs rouges de notre repère. Yitzhak, de son côté, renonça à tout semblant de vie sociale. Il continuait à bricoler sur des armes chez lui et disparaissait régulièrement les nuits. Ce qu'il faisait ? Le mystère restait complet. J'avais mon idée, une idée à laquelle je refusais de penser.
Je le reconstruisais pour mon propre plaisir. Ma créature ne m'échappait pas moins qu'avant, mais je pensais réussir à la posséder toute entière. Il ne me demandait plus rien, je lui suggérais ses nouvelles modifications et, toujours, il applaudissait joyeusement. Arracher les poumons, modifier les connexions du cerveau, remplacer le cœur, ... Toute résistance organique se transformait en défi. Je prenais le pari de ne plus rien laisser de vivant, laisser pourrir jusqu'au dernier de ses tissu nerveux.
— Il faudra penser à modifier ton alimentation. Si nous allons plus loin, tu ne pourras plus jamais te nourrir comme avant, avais-je précisé par réflexe avant de réaliser l'opération qui devait vider son estomac.
Ses globes fixes ne me permettaient plus de deviner ses états d'âmes. Il ne restait plus grand-chose de son expressivité. Pendant un éclair de lucidité, je revis nos premières rencontres, son appétit devant les gâteaux, burgers et cocktails onctueux. D'une voix égale, devenue presque synthétique, il répondit :
— C'est un avertissement ? Je crois que je peux me passer d'un plaisir aussi bas pour devenir plus puissant. Tu as peut-être réussi à feindre beaucoup de sensations en me transformant mais tu sais Martin, ce n'est quand même plus comme avant.
— Ça te manque, parfois ?
— Bof... Tu n'as fait qu'accélérer le processus. J'avais déjà perdu beaucoup. Va jusqu'au bout, je crains de garder, de toute façon, le seul plaisir qu'il me reste.
— Je pense que même s'il me faudra aussi retirer tous tes organes, je devrais réussir au moins à préserver la sensation du plaisir.
Il ricana.
— Pitié Martin, ne sois pas si naïf. Depuis que je te connais, mon plaisir n'a jamais été que mental. Il n'y a rien d'autre que la violence. Toi et moi, c'est un défoulement en extra.
Le pied de nez me fit revenir à la réalité un instant, très court. Il me tenait. Et il revint, cajoleur, en vantant les sensualités de sa technologie si bien qu'il effaça ses révélations glaçantes. Enchaîné aux fantasmes, j'ai cru une dernière fois à l'illusion de son dévouement. Le métal saillait sous son enveloppe. Je suis allé au bout. Et j'ai recréé son désir, parce que s'il s'en fichait, je voulais qu'il continue à en éprouver pour moi. Il frémissait sous ma paume, dans ma bouche, grâce à moi.
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De Sang avide
Science FictionJ'ai longtemps hésité à partager d'autres nouvelles, mais je me lance. J'ai à la fois beaucoup de nouvelles dans mes dossiers, mais trop peu pour sortir un recueil cohérent, surtout que je n'en écris plus du tout en ce moment, je suis trop occupée...