Acte 4

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Faits Divers
L'arme du crime était un pistolet rose ! Vendredi dernier, un homme a été retrouvé mort à son domicile. La nature de l'arme (un pistolet rose sur lequel on pouvait lire les mots « Good Bye Baby» en strass) laisse les enquêteurs dans l'incompréhension et écarte la piste du suicide. Plusieurs kilos de cocaïne ont été retrouvés dans l'appartement de la victime.

***

Lorsque les masques tombent, Yizhak révèle un côté attachant. Je découvrais quelqu'un de passionné dans à peu près tout ce qu'il entreprenait. Il pouvait parler des heures sans s'épuiser, en s'enthousiasmant pour chaque idée nouvelle qui lui traversait l'esprit. Je dois reconnaître que je le suivais parfois avec peine. Sans grande surprise, j'appris qu'il avait sauté deux classes en primaire. On ne lui donnait pourtant pas dix-sept ans. Il me le confirma, sans s'étendre sur les raisons de son étonnant retard scolaire : « Non, j'ai bien dix-neuf ans. Je me suis laissé aller. » Je ne sus jamais ce que ces mots impliquaient, il n'aimait pas évoquer son passé. Nous ne parlions que du travail. Parfois, il semblait prêt à se confier, mais il reculait, lançait un méprisant « Bah, tu ne pourrais pas comprendre ! » et passait à autre chose.

Au bout de quelques semaines, je me retrouvai chez lui, dans un loft que ses parents, visiblement aisés, louaient pour ses études. L'intérieur dépassait toutes mes attentes.

— C'est une ancienne boîte de nuit, m'expliqua-t-il le plus naturellement du monde en remarquant mes yeux ébahis.

La pièce principale était gigantesque. Les murs, comme les plafonds arboraient le même rouge criard, les meubles allaient du noir au gris métallisé. Je me voyais pénétrer une sorte d'autre monde où le temps s'arrêtait, où personne n'existait, à part nous. On pouvait y trouver un équipement électronique qui ferait baver d'envie n'importe quel technophile et, surtout, un chaos assez indescriptible dans les espaces où il préférait bosser. Yitzhak était d'une intelligence totalement désorganisée. Des composants, des papiers, gisaient un peu partout, au milieu de paquets de chips, de canettes de boissons sucrées ou alcoolisées vides, et semblaient avoir été sauvagement retournés à de nombreuses reprises. Le désordre de sa chambre m'impressionna encore plus. Il me fallut un certain temps avant de réaliser que le pire amoncellement de matériel dissimulait son lit.

— Faut que je range. Ça fait un mois que je dors sur le canapé. Tiens, t'as vu ma collection de dinosaures ?

Évidemment, il ne m'avait pas invité pour me montrer ses jouets. Ou, plutôt, il possédait des gadgets bien plus intéressants, des plans d'armes, des maquettes à faire passer les trafiquants pour de petits joueurs, des reproductions de fusils d'assaut utilisées par les tirailleurs les mieux équipés de la planète : la panoplie parfaite pour causer un véritable carnage en ville. Comment avait-il obtenu tout ça ? N'importe qui d'autre que moi, j'imagine, prendrait peur.

Ma réaction la plus intelligente sur le moment fut de siffler en m'exclamant :

— T'as dévalisé la planque d'un super-héros ?

Il éclata de rire. Je n'ai pas osé lui poser de questions, pas tout de suite. J'acceptais totalement l'idée d'un simple intérêt scientifique dans sa volonté de construire les inventions les plus destructrices possibles. J'y voyais un business comme un autre. Il fallait bien des gens pour s'en occuper. Et, au final, il restait en début de chaîne, ce n'était pas lui qui les utilisait.

De semaines en semaines, je lui découvrais un vaste rayon de connaissances. Il voulait profiter de mon savoir pour créer des drones, des robots, ou même des cyborgs.

Il gardait, au fond de lui, un désir de puissance terrible, une rage de vivre débordante. Je me surprenais à rêver avec lui, à imaginer des projets aussi fous.

Nous ne nous quittions plus. La passion de nos esprits devint charnelle. Ses hanches étaient minces, un vice irrésistible étincelait dans ses yeux ardents, un désir d'être possédé troublant. Entre couvertures, circuits imprimés et transistors, il montrait une propension à la tendresse étonnante, mais, quand tout s'arrêtait, des paroles plus dures me frappaient : « T'es quand même pas terrible. J'ai été habitué à mieux. Dommage que les mecs les plus sexys soient si débiles. »

Je n'ai jamais réussi à savoir s'il éprouvait de réels sentiments pour moi. Ou alors, je ne voulais simplement pas connaître la réponse, je préférais me persuader qu'il se montrait dur par pudeur. Avec du recul, je crois que nous étions surtout liés par ce qu'on appelle en psychiatrie : « une folie à deux ». Nous étions seuls. Pour moi, rien de nouveau, je me fermais à l'idée de vivre autrement que par l'étude depuis le collège. Lui, s'était isolé volontairement. Je n'étais qu'une distraction au milieu d'un projet qui me dépassait. Il courait après quelque chose, après une sorte d'Absolu qui le fuyait sans cesse. Il en voulait aux gens de ne pas le comprendre, de réfléchir si lentement, de se borner à des idées toutes faites, de s'arrêter à des bons sentiments contre-productifs. Il voulait voir toujours plus loin. Il voulait que tout soit logique. 

Souvent, Yitzhak disait ne plus se supporter. Son corps se bardait de cicatrices aux origines apparemment variées. A le croire, certaines venaient de ses colères, « J'étais énervé à cause d'un truc », d'autres, plus nombreuses, portaient la marque d'opérations chirurgicales, « Je passais mon temps à me blesser quand j'étais gosse. » Je le soupçonnais surtout d'avoir essayé de se faire des implants tout seul et, certainement, de taire de très sales souvenirs. Il était toujours évasif dès qu'une nouvelle blessure apparaissait. Et leur fréquence prouvait qu'il défiait la mort sans cesse, comme si le devenir de son corps l'importait peu.

De Sang avideWhere stories live. Discover now