C'est ici que les artistes viennent pour mourir. Je sais pas ce qu'ils y trouvent, parce que y'a rien pis y'a personne pis y fait frette en criss l'hiver.
Mais y'a un vertige qui te monte à la tête. L'appel du vide. Tu viens ici et la mer te prend par les entrailles, tu presses la fin de ton spleen sur papier et ton corps s'assoupis alors que tu regardes les mouettes crier au large.
J'en ai vu plein comme toi venir. Quand tu te seras saoulée des margaritas et soirées jazz sur Saint-Denis, des expos mondaines au Musée des Beaux-Arts, d'une ville qui se cherche toujours plus que toi, t'embarques dans ton char sur la 40, tu passes par Québec — mais sans t'arrêter, parce que là c'est le passé qui y pèse— et tu t'arrêtes quand t'entends le silence. Ça fait 50 ans que tu cours partout, à meubler ton temps, parce que t'as peur d'écouter ton silence. Mais là t'as réalisé que tu croises les mêmes personnes depuis toujours, pis que tu leur parles pour rien dire, que tu bois pour rien faire. Tu réalises que ça fait des années que tu croises Nancy quêter au métro Mont-Royal sans lui sourire. Pis y'a un soir sur la ligne orange, un soir où tu te sens seule au monde (même si y'a plein de corps qui te respirent dans le cou) et tu te dis que tout ce temps-là, quand t'essayais de combler le vide, tu le creusais. T'as meublé ta vie en criant le silence. En créant l'absence.
Pis là t'arrives ici.
Pis le silence règne.
Mais il est doux.
Il coule le long des balustrades du village, dans les voiliers de la marina.
Il se noie dans les nuits étoilées avec le sable sous tes pieds.
Et tu le humes un peu — tu marches le long du Saint-Laurent pour t'emplir de la brise de silence. L'envie te prend de baiser sur la plage. Mais tu te souviens que ton corps est gris pis que tu te portes comme une ombre. Et soudainement la mer est trop grande. Le champ de blé est trop large. Pis t'as plus le goût de marcher dans le vide.
Donc tu te caches dans une cabane et tu la meubles de vieilles choses. Question de noyer la solitude avec le passé. T'as tout le Québec dans ta cabane, en napperons de dentelle et vaisselle laitte couleur crème. Tu collectionnes les cartes postales de personnes défuntes et insignifiantes. Tu te dis que ça te servira d'inspiration pour le livre que t'écriras jamais. En même temps que ta maison, tu recommences à meubler ton temps. Tu fréquentes les mêmes galeries avec les mêmes oeuvres, où tu sirotes du cidre et fais semblant d'analyser la composition lumineuse des paysages peints devant toi pour te distraire du livre que t'es venu ici pour écrire. Le livre que tu vas jamais écrire.
Et doucement, tu t'effaces. Tu sors moins, puis plus du tout. Parfois tu fais les courses. Tu aimes bien les pâtés du coin, avec de la baguette. Le moindre effort pour un maximum de satisfaction. D'autres fois tu veux pas sortir, alors tu dors pour oublier ta faim. De toute façon, la vie se désature. Y'a moins de couleurs à nourrir dans le creux de ton coeur.
Puis, un matin, tu te réveilles pas. T'es venue chercher le vide et il t'as avalé dans ton sommeil. T'es venue écrire un livre, faire le point. Quand on viendra fouiller chez toi au bout de quelques jours, parce que le chat braille trop fort et que ça sent la mort, on le trouvera pas ton point. Ce sera plutôt un gribouillis. Des bribes de poèmes et des histoires éventrées. T'as tellement raturé le texte qu'on arrive plus trop à le lire. Tu seras morte avec un univers dans ta tête, un univers couché sur une feuille illisible. Pis personne l'aura jamais entendue à part ton chat Léon. Léon et la mer de blé qui happait ton souffle depuis le rivage.
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Blé
Short StoryIci, dans mon village, quand la mer se dore de soleil au crépuscule, elle prend l'allure d'un champ de blé. Blé Saint-Paul, que je l'appelle - le cimetière des artistes du Québec.