Blé

iii

René y avait des mains qui savaient faire l'amour. Des mains par lesquelles t'avais envie de te faire baiser. 

Fortes. Rugueuses. De la gouache sous les ongles, sur les doigts. Des mains qui murmurent contre ta peau. Qui te plaquent contre lui comme elles plaquent la peinture contre la toile. D'abord, il doit brosser à coups larges, légers. Puis, il appuie de la couleur vive. Contrastes. Ombres. Lumière. Il travaille ton corps en textures —y couche le sien. Tu l'imagines en toi et tu te sens couler de couleurs à l'image de sa langue peignant tes seins. 

Des fois, tu fais un détour pour rentrer. Tu passes devant le La Jaserie pis tu tournes sur le chemin de l'équerre. C'est moins beau que le long du ruisseau, mais t'aimes ça passer devant la maison de René. Y'avait toujours les rideaux grands ouverts, la fenêtre aussi. 

Y'a ben du monde ici qui se ferment. Leurs volets, portes, fenêtres, gueules, âmes. Ça, c'est le monde qui sont venus se fuir, pis qui ont peur de se trouver au fond de ton regard. 

Mais René gardait tout ouvert. C'est pour le soleil, qu'il disait. "Sans soleil, pas de couleurs. Sans couleurs, pas de peinture." Pis il riait un peu niais, avant de se remettre à observer le monde. Il le disait comme on dit que le soleil va se lever demain : c'est la vie pis on n'y peut rien pis c'tu beau c'te vie-là. 

À chaque fois, t'espères le croiser en train de peindre. Dans ta tête, René peint nu. René peint nu parce que le soleil se lève pis c'tu beau. 

Ça te dérangerais pas de voir René tout nu. Tu te demandes si la peinture se dépose alors sur tout son corps. T'aurais envie de venir la frotter. De le frotter. 

Mais René peint seulement à l'aube, qu'il t'as dit. T'oses pas lui demander si c'est parce qu'il est tout nu. Tu te contentes de l'imaginer quand tu passes devant. Et de sentir ses toiles de gouache sécher pendant que toi, tu sèches tes cours.