Ténèbres - Le Mage noir

Chapitre 2 - Rencontre avec la banshee

Rosov descendit les nombreuses marches d'escalier pour atteindre le rez-de-chaussée de son château. Il traversa ensuite quelques longs couloirs ornés de tableaux représentant sa famille et des grandes figures de son Royaume, de statuettes de faucheuses et d'anges sombres ainsi que de plantes de couleur rouge sang implantées dans des vases en cristal noir. Il finit par arriver à l'entrée du palais où un elfe aux allures fantomatiques était tenu en otage par plusieurs gardes royaux.

Le Roi fronça les sourcils et dévisagea cette banshee : il avait des yeux spectraux à la couleur bleu pâle, des larmes noires ancrées sous son regard, un visage aux traits fins et sombres à la fois, de longs cheveux blancs tirés en arrière par une couronne d'épines, de grandes oreilles pointues et une peau blafarde. Il n'était ni trop grand, ni trop petit, et avait une allure effilée trompant un corps d'elfe finement musclé. Des vêtements noirs en lambeau soulignaient cette morphologie qui était souvent propre aux elfes et renforçaient l'image obscure qu'il déployait.

Rosov prit une grande inspiration puis joignit ses mains derrière son dos tout en continuant à épier attentivement l'elfe fantomatique. Il reconnaissait que ce dernier était doté d'une grande beauté, comme beaucoup d'elva'lanor, les elfes de la Lune, dont les mâles détenaient un charme à la fois viril et féminin.

Cependant, lorsque le détenu leva sa tête et que le vampire croisa son regard bleu pâle, celui-ci se tétanisa une brève seconde avant de froncer davantage les sourcils. Au-delà de sa beauté, il cerna également une grande puissance en lui, une puissance terrifiante et mortelle qui ne faisait que renforcer sa méfiance à son égard.

Après avoir pris une grande inspiration et s'être un peu plus approché de lui, il lui demanda d'un ton froid :

— Comment osez-vous pénétrer ma cité de vos pas maudits, banshee ?

L'elfe fantomatique ne lui répondit pas et se contenta de l'observer avec insistance d'un air étrange. Rosov se pinça les lèvres, pencha la tête sur le côté et menaça :

— Si vous ne me répondez pas, je n'hésiterai pas à vous envoyer au donjon. A moins que vous ignoriez ce qu'est un donjon.

— Je sais... ce que c'est, finit-il par répondre.

Sa voix était grave et douce à la fois, ponctuée de quelques échos discrets qui donnaient un air mystique à son timbre. Rosov le scruta en silence, le visage fermé et les poings serrés dans son dos.

— Pourquoi êtes-vous venu ici ? insista-t-il sèchement.

— Car je dois vous parler, votre Majesté.

— Me parler ? reprit-il en haussant un sourcil. Quelle surprise. Je pensais que vous aviez forcé les portes de ma cour pour venir me hanter. A moins que ce soit votre volonté cachée, finit-il sur une pointe de sarcasme.

— Pour votre magie, votre Majesté. Votre sombre pouvoir....

Le Roi se figea et ouvrit grand les yeux avant d'observer rapidement les gardes qui retenaient la banshee et qui le regardaient d'un air intrigué. Après quoi il revint sur cette dernière en la fusillant du regard. Son pouvoir mystérieux et sombre était encore un secret qu'il gardait pour lui. Même sa famille n'était pas au courant qu'il détenait une telle magie obscure. Il n'y avait que Lordanel, le grand commandant de l'armée de Noctarosa, et grand ami du Roi, qui connaissait ce secret.

Rosov ne désirait pas parler de cette puissance noire qui émergeait en lui à ses proches, car il estimait que celle-ci pouvait être dangereuse et qu'il devait garder l'existence de celle-ci sous silence, tant qu'il ne la maîtrisait pas. Mais plus les nuits passaient, plus ce pouvoir grandissait en lui et le vampire parvenait de moins en moins à l'endiguer. Lordanel, malgré le fait qu'il était un grand tacticien et un soldat rusé, n'avait aucune idée de comment dompter cette magie.

— Sottise, riposta Rosov.

— Si vous refusez de m'écouter, votre Majesté, un drame va arriver dans votre famille.

— Vous osez jouer au chantage, maintenant ?

— C'est la vérité, votre Majesté, répliqua l'elfe d'un air grave.

Le vampire soupira et regarda ailleurs, l'air pensif. Les banshees étaient très mal vues par beaucoup de mortels du monde de Liacar, car ces dernières étaient maudites : lorsqu'elles criaient, pleuraient ou chantaient une litanie de la Mort, elles pouvaient provoquer des ravages et créer des hécatombes au sein des villes et des villages. Ces créatures damnées et mortes avaient incessamment soif de tourments, et celles-ci les trouvaient chez les mortels, souvent en les tuant.

Mais cet elfe semblait différent des autres banshees, une différence notamment marquée par un corps physique et palpable tandis que les autres damnées étaient intangibles. Il n'avait également pas l'air de vouloir faire du mal à Rosov, cependant ce dernier préférait garder sa méfiance à son égard.

Le Roi, après quelques courts instants de réflexion, remua mollement la main dans les airs et ordonna à ses gardes :

— Liez ses mains et emmenez-le dans la salle d'audience privée, au rez-de-chaussée. Surveillez-le le temps que j'arrive.

Un des soldats s'empressa d'aller chercher des chaînes pour lier les mains blafardes de la banshee. Rosov, durant ce temps, fit volte-face et s'écarta du détenu en se dirigeant vers le couloir d'où il était venu.

Il n'était pas prêt à parler de son pouvoir, surtout avec un inconnu qui portait une puissance de Mort dangereuse en lui. S'ajoutait à cela les remords qui le rongeaient quant à la discussion déchaînée qu'il avait eue avec sa femme. Il s'en voulait terriblement de rendre Yahrena aussi malheureuse, mais il était certain qu'il n'avait pas d'autre choix que de la refuser quand cette dernière insistait pour venir avec lui. Il était témoin des désastres que les guerres provoquaient, le sacrifice que devaient faire certains soldats pour mener l'armée de Noctarosa vers la victoire, et Yahrena, si elle se retrouvait seule, serait facilement assassinée, selon lui.

Il se frotta nerveusement le visage et pénétra un des nombreux salons du château puis se dirigea vers une des trois fenêtres présentes dans ce dernier. Celle-ci donnait sur un jardin qui avoisinait la cour, et qui était composé de fleurs rouges et noires ainsi d'arbres fleuris. L'ambiance était à la fois sombre et poétique, ce que Rosov chérissait beaucoup.

Mais avec la pluie qui commençait doucement à noyer les environs, il se contenta de contempler l'extérieur à peine éclairé par quelques lampadaires à feu. Il joignit à nouveau ses mains derrière son dos et profita de cet instant de solitude pour penser, réfléchir et, surtout, retrouver son calme. 

Beaucoup de questions tournoyaient sur l'identité de cette banshee. Il se demandait également comment celle-ci avait-elle pu avoir connaissance de l'existence de sa magie noire. Peut-être avait-elle soufflé cette information par pur hasard, pensait le Roi. Mais son air sérieux et le fait qu'elle insistait brisait cette théorie ; cet elfe savait très bien de quoi il parlait.