02 - Une réalité terrible - partie 2

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Je sentis l'odeur de viande grillée. Ce doux effluve m'aida à me réveiller doucement, au contraire des marteaux que j'avais dans la tête. Ce cauchemar, je l'avais fait si souvent qu'il ne se passait presque plus une journée sans qu'il ne me vînt à l'esprit. Néanmoins, sa fin n'était pas comme d'habitude. Quelque chose n'allait pas.

Je compris bien vite ce qui me dérangeait, en me relevant. Le bruit des chaînes tinta bruyamment dans mes oreilles. Un son bien réel. Je me redressai, paniquée, embrouillée, et attrapai ma laisse métallique. Je voulu appeler, mais ma bouche resta fermée. Un élément de plus qui m'effraya : une muselière était fermement installée sur mon visage. Je regardai partout frénétiquement, je cherchai des réponses.

Par la position de la lune, je devinai que j'avais dormi toute la nuit. Riza se tenait, assise, devant un feu de camp, et faisait cuir le petit-déjeuner. Elle avait monté le camp juste à côté de la brèche, qui semblait plus refermée à présent. Tout était pour le mieux. Qu'avais-je fais ?

La guerrière m'avait naturellement entendu bouger. Elle tourna la tête vers moi, et me lança un regard sérieux, presque sombre. Elle claqua des doigts et pointa à côté d'elle. Son ordre était clair, de même que sa façon de le donner. Je m'approchai lentement, hésitante. Tant de réflexions se bousculaient dans ma tête, et aucune d'elles n'était positive. Elle m'avait prévenu de ne pas être un fardeau, et je l'avais été. Elle m'avait prévenu de ne pas être sur son chemin, et je l'avais été. Elle m'avait prévenu de ne pas être désobéissante, et je l'avais été. J'aurais voulu me confondre en excuse, mais elle avait déjà prévu ça, évidemment.

Je m'assis sagement, et attendit l'inévitable introduction :

– Faut qu'on cause, toutes les deux. A ton sujet.

A chacun de ses mots et des suivants, je me recroquevillais un peu plus. Rien de tout ce qui arrivait ne me plairait. Je me sentais déjà repartir dans ma tête pour fuir cette réalité. Riza regardait dans le vide, touillant visiblement machinalement. Elle chercha ses mots :

– Tu sais, ce monde est... Non. J'ai souvent eu affaire... Raa, je m'embrouille. Où est Tanile quand on a besoin d'elle, c'est elle qui susurre bien aux petites... Je savais que je n'y arriverai pas

Elle réfléchit encore un instant, puis fixa son regard sur moi. Je préférais l'éviter.

– Je vais être direct. Comme arracher un bandage, ça va être cuisant. J'ai un poids sur la conscience qui me taraude chaque fois que je te vois. Voilà, je t'ai menti quand on s'est rencontrée. Je n'avais vraiment pas la tête à débattre avec une petite rêveuse. Ni avant, ni maintenant, pour parler vrai. Alors je t'ai dit ce que tu avais envie d'entendre. Je pensais que ça roulerais, comme d'hab. Pourquoi c'est pas comme d'hab ? Le plan était simple, pourtant : T'es une gentille fifille, je te malmène un peu, la vie à la dure, tout ça, et je te donne à ma femme. Elle qui veut faire son propre ranch, agrandir la ferme tu sais.

Elle soupira paisiblement en retournant à sa cuisine. Elle me parlait tranquillement, comme si elle m'annonçait un simple évènement à venir. Moi, en revanche, plus rien n'allait. J'avais les yeux écarquillés, et des larmes coulaient à flot. Je la regardai, je regardai le feu, je regardai la fissure, je regardai la forêt. Je tremblais. Je convulsais. Je croisai les bras sur mon torse et les frottai vigoureusement. Je cherchai plus à réchauffer mon âme meurtri que mon corps.

Elle ne m'avait donc pas cru. Je m'étais ouvert à elle comme à personne d'autre, et rien de ce que je lui avais raconté ne l'avait touché. Où étaient tous les gens chaleureux de mon village ? Avaient-ils tous perdu leur cœur pendant mon enfermement ?

– Mais toi ! reprit-elle la bouche pleine, me pointant avec sa spatule. Toi ! T'es pas comme toutes les autres que j'me suis tapée... Oups, lapso... Lapsi ? On s'en fout. Hé, du calme, un peu. J'ai bien fait de t'équiper, dit donc, tu serais en train de me piailler dans les esgourdes sinon. Bref, maintenant que je t'ai montrée la blessure, on va pouvoir cautériser.

La guerrière aux yeux-coeurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant