La jeune femme boit les paroles du prêtre. Les murs de l'église sont froids. Cette place sacrée est calme. On entend la respiration des quelques personnes qui terminent leurs prières.
Elysabeth Du Tonquin ferait une parfaite nonne. Tout est dans sa démarche, la tête baissée, les lèvres et le sourire clos. Elle est convaincue que durant la dernière heure, elle s'est donnée à Dieu et au Saint Esprit. Elle avance jusqu'aux pieds du prêtre. Sa robe austère rencontre les plis de la soutane. Devant le regard des autres fidèles, elle ploie le genou. Elle dépose un baiser aux pieds de l'homme d'église. Elysabeth se lève tout doucement et embrasse chaudement le crucifix. S'il y a bien des baisers ardents qu'elle sache donner, ce sont ceux-là. Elle prend Jésus entre ses lèvres. Les fidèles aiment ça. Son père, à la première rangée, aime ça.
Ses cheveux d'un roux pâle sont ajustés sur son crâne avec une pince en or.
Elysabeth a vingt-cinq ans.Son père, Luc Du Tonquin, richissime secrétaire d'État au ministère des affaires étrangères, hoche la tête. Sa fille est la preuve que la chrétienté vivra éternellement. Elysabeth est la preuve vivante que la pureté existe encore. Cela fait vingt-cinq ans que Monsieur Du Tonquin se bat pour préserver sa fille de la saleté et des turpitudes. Sa fille ne côtoie que Jésus et ses livres.
Un jour, elle embrassera une carrière prolifique dans la haute administration ou dans la politique. Il rêve qu'elle prenne les rênes du parti catholique français et qu'elle actionne un retour de la monarchie. Il ne sourit pas mais il admire son œuvre. Sa fille marchera toujours dans ses pas. Il ne pourrait en être autrement.
L'année 2018 touche à sa fin et Elysabeth est aussi creuse qu'un tonneau de vin vide.***
La table traverse l'immense pièce sombre. Elysabeth se tient au centre. Son père est à l'extrémité. Sa mère est installée à l'autre bout. Le silence est identique à celui qui règne dans une église, dans les lieux sans vie. Les servants posent les plats démesurés sur la table.
Luc Du Tonquin invite sa femme et sa fille à bénir longuement ce repas. Elysabeth baisse la tête et murmure son amour au Christ.Ici, mis à part pour prier, on ne parle pas à table. Dans cette famille, on parle rarement. Il y a une place vide aux côtés d'Elysabeth. C'est la place de sa petite sœur Eve, tête brûlée. Elle a préféré fuir cette famille trop arriérée. Les seuls repères de la jeune rouquine sont sa mère Veronica, ancienne présentatrice de TV italienne qui a tout quitté 26 ans en arrière pour se consacrer à son mari, à ses interminables voyages aux quatre coins du monde.
Cette jeune femme aux allures d'enfant malade, avec cette tignasse épaisse, dont le nez petit et assez large est parsemé de toutes petites taches de rousseurs, a reçu une éducation très stricte par des prêtres et des bonnes sœurs. Son père a tout misé sur elle quand il a compris qu'Eve Du Tonquin était l'enfant irrécupérable, l'enfant du diable.
Est-ce que les français savent qu'ils sont dirigés par cette aristocratie austère ? Par cet homme plutôt grand et d'une musculature bien prononcé qui a très tôt interdit à sa fille choyée Elysabeth de fréquenter des hommes, les décrivant comme des animaux. Elysabeth a toujours été d'une extrême douceur. Cet enfant ne contredit rien, obéit et a une crainte terrifiante de tout. Une jeune femme d'une beauté innocente ne fréquente pas les gens du bas peuple.
Elle maîtrise l'anglais et l'italien à la perfection. Elle connaît la bible par cœur. Sa chambre est fleurie par la vierge Marie et des portraits de Jésus. Son père lui dit que seul Jésus est fiable, qu'un jour Jésus lui trouverait un homme pur, qu'il faudra qu'elle écoute les signes que Jésus lui enverrait.Son père bien qu'absent a banni très tôt tout ce qui touchait de près ou de loin à l'affect. Chez les Du Tonquin, on ne se prend pas dans les bras, on ne se dit pas je t'aime. C'est réservé au tout puissant. Chez les Du Tonquin, la réussite est la seule préoccupation vient après Dieu.

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Les folies de Tess
RomanceElysabeth du Tonquin, parisienne et fille du richissime secrétaire d'État au ministère des affaires étrangères, atterrit suite à la réussite du concours de la fonction publique en Province... En Ardèche... C'est le choc thermique. Elle, habituée au...