Chapitre 3

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Iqaluit, Nunavut, 20 mai 2050

Le blog de Shila s'était fait connaître sur la toile à une vitesse folle. Il contenait multiples preuves du réchauffement climatique à Iqaluit: des photos des glaciers en 2000 et en 2050, des données scientifiques sur la montée des eaux ou la disparition massives d'espèces marine, etc.  Après l'avoir consulté, il était impossible de nier l'existence du réchauffement climatique.

Shila était très contente d'avoir pu avoir un impact sur les gens concernant les changements climatique. Elle avait reçu de nombreux commentaires de lecteurs qui disaient avoir pris conscience du problème et essayer de ne pas polluer la planète encore plus. Ce succès inattendu était très bien, mais Shila savait également que ce ne serait pas assez pour sauver la planète d'une extinction. Mais, ailleurs dans le monde, un autre évènement lié au changement climatique pouvait possiblement l'aider dans sa mission: les feux de forêt qui brûlaient partout dans le monde, mais surtout en Californie.

Le feu de forêt qui embrasait la vallée de San Fernando était également une preuve du changement climatique. C'était rendu normal pour la Californie d'avoir des feux de forêt à tout moment de l'année. Lorsqu'un s'éteignait, une autre forêt s'embrasait. C'était une réelle crise humanitaire. Tous les médias parlaient des feux de forêt et parfois des glaciers qui fondaient. C'était du progrès, mais aucun gouvernement n'avait encore décidé de prendre des mesures pour le réchauffement climatique, même pas celui du Canada. C'était donc un succès mitigé.

Cependant, l'armée était arrivée à Iqaluit deux jours plus tôt. Depuis, elle travaillait sans relâche à construire des barrages pour empêcher l'eau d'inonder la ville d'Iqaluit. L'aide des soldats était grandement appréciée par les habitants de la ville, mais ils savaient également que leurs maisons finiraient quand même par être inondées. Ce n'était qu'une question de temps. Les glaciers continuaient de fondre, le niveau de la mer continuait d'augmenter. Si Iqaluit n'était pas inondée maintenant, elle le serait dans quelques jours ou quelques semaines. Toutefois, l'arrivée de l'armée avait une retombée plus positive pour les Canadiens. En envoyant l'armée pour aider les futurs sinistrés à défendre leur ville, le gouvernement fédéral ne pouvait plus ignorer le fait que les glaciers fondaient. C'était indéniable. Alors, il avait dû agir pour satisfaire la population.

-Qu'est-ce que tu regardes, Sakari? Demanda Shila en passant dans le salon.

Sa sœur était assise sur le divan, penchée vers l'avant avec les yeux rivés sur la télévision. Elle avait un sourire satisfait sur les lèvres.

-C'est le premier ministre qui annonce que le Canada combattra les changements climatiques. Tu as réussi, la félicita-t-elle en lui tapant sur l'épaule.

Shila esquissa un sourire timide. Elle n'aimait pas beaucoup avoir de l'attention, mais elle appréciait le compliment, et il était justifié. Son blog avait eu l'effet d'une bombe sur les réseaux sociaux et elle aimait bien penser qu'elle avait contribué à forcer le gouvernement à adopter des mesures. Elle se sentait utile.

Alors, Shila prit place sur le divan à côté de sa sœur aînée et observa la scène se déroulant sur la télévision. Le journaliste décrivait les nombreuses émeutes ayant eu lieu à Ottawa, devant le parlement, pour réclamer des mesures pour le climat. Il y avait eu plusieurs longues manifestations au cours des derniers jours qui avaient très mal tourné. Au départ, l'intention des manifestants était de pacifiquement réclamer au gouvernement des mesures, mais cela avait échoué. Alors, les manifestants avaient compris qu'ils devaient être plus agressifs, ce qui avait donné lieu à plusieurs émeutes. Des gens avaient été bousculés, d'autres piétinés, plusieurs manifestants s'étaient attaqués à des soldats qui gardaient le parlement. Bref, c'était le chaos, mais le gouvernement n'avait pas eu d'autre choix que d'adopter des mesures pour réduire drastiquement les émissions de carbone sous les conseils des scientifiques.

C'était très ironique. Pendant des décennies, les scientifiques avaient tenté de convaincre le gouvernement canadien de l'existence des changements climatiques et de l'urgence d'agir, mais il n'avait pas voulu les écouter alors que maintenant, le gouvernement avait sollicité l'aide des scientifiques. Tout ce chaos aurait pu être évité si les dirigeants du passé avaient accepté d'écouter les scientifiques.

Pour calmer la population et parce que le gouvernement ne pouvait plus nier le changement climatique, le gouvernement prit la décision d'instaurer des mesures qui étaient décrites dans l'extrait du discours du premier ministre qui était présenté à la télévision.

Shila observait le téléviseur lors que le premier ministre canadien, Ryan Goodman entra en scène et se dirigea vers la tribune au centre de la pièce avec un air grave. Il portait une chemise blanche et arborait une barbe, comme s'il ne s'était pas rasé depuis quelques jours, ce qui était sûrement le cas. Il avait l'air fatigué.

Il atteint la tribune, prit une inspiration et commença son discours:

-Bonjour, chers concitoyens. Aujourd'hui, je viens vous dire que le réchauffement climatique sera maintenant considéré comme une urgence nationale. L'heure est grave, dit-il, en rivant ses yeux sur la caméra. Notre planète est en train de mourir et nous ne faisons rien. Nous n'avons rien fait par le passé non plus et je m'en excuse. Au nom de tous les gouvernements et premiers ministres du Canada, je m'excuse de ne pas avoir su reconnaître l'urgence climatique plus tôt. C'était une erreur de notre part et nous allons la réparer.

Il prit une pause pour faire un effet dramatique et passa la main dans ses cheveux. Puis, il reprit son discours:

-C'est pourquoi, à partir de maintenant et jusqu'à nouvel ordre, il sera interdit d'utiliser des moyens de transport polluants et de produire des produits en usine. En arrêtant la majorité de nos émissions de carbone, nous espérons pouvoir ralentir le réchauffement climatique, même si ce ne sera pas instantané. Les résultats de cette mesure ne se verront que dans plusieurs mois ou années.

De plus, le gouvernement canadien s'engage à planter 2 millions d'arbres durant cette semaine. Nous espérons que cela pourra réduire grandement nos émissions de carbone dans l'atmosphère, mais nous avons besoin de votre aide. Nous allons engager énormément de gens pour planter ces arbres et ils seront payés. Si vous souhaitez effectuer ce travail, vous pourrez vous inscrire sur notre site web.

Ryan Goodman s'arrêta un instant avant de poursuivre avec une mine plus inquiète:

-Comme je l'ai annoncé plus tôt, l'utilisation des véhicules à essence et des usines sera interdite. Cela dit, la nourriture devra venir de votre municipalité. Puisque la quantité de nourriture dans certaines villes est limitée, nous en enverrons, mais elle devra être rationnée. Chaque personne recevra des coupons lui donnant droit à l'équivalent de 3 repas par jour. Nous savons que cette situation est loin d'être agréable, mais nous le faisons pour la planète. J'invite tous les pays à faire comme nous. Merci et bonsoir.

Et le discours prit fin. Heureusement pour Ryan Goodman, il n'y avait pas de spectateurs dans la salle. S'il y en avait eu, il aurait été hué et détesté pour avoir rationné la nourriture. Les Canadiens voulaient arrêter le réchauffement climatique, mais pas au prix de leur nourriture.

Sakari éteint la télévision et se laissa tomber sur les coussins du sofa. Elle arborait un air découragé.

-C'est très bien que le gouvernement prenne ces initiatives, mais comment allons-nous nous nourrir? Se questionna-t-elle. Nous n'avons pas de nourriture locale parce que le sol est trop gelé pour que des plantes y poussent. C'est vrai que certaines terres sont cultivables depuis que le pergélisol a fondu, mais personne ne s'est risqué à y faire de l'agriculture. Si les avions ne peuvent pas venir nous ravitailler, je ne sais pas comment on va survivre. Avant, on aurait chassé et pêché, mais le parc est inondé et les poissons se font de plus en plus rares. Nous allons crever de faim.

Shila, qui était si heureuse quelques instants plus tôt, sentit elle aussi son moral descendre. Elle n'avait pas réalisé que la nourriture allait manquer. Elle ne pensait qu'au fait que la Terre pourrait être sauvée. La question de Sakari trotta dans sa tête. Comment allaient-ils survivre? Est-ce que le fait de prendre ces mesures allait vraiment sauver les êtres vivants d'une extinction? Elle n'en était même pas sûre. Présentement, elle ne pouvait penser qu'à la survie des habitants d'Iqaluit. Pourraient-ils survivre à une inondation et à une famine? Sûrement pas.

Juste la fin du mondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant